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Comment le Canada devrait-il commémorer nos efforts militaires d’après la guerre de Corée?

Pendant de nombreuses décennies, les deux guerres mondiales et la guerre de Corée ont, à juste titre, été au cœur de notre mémoire collective des efforts militaires du Canada.

Le 19 mars 2021, nous avons tenu une rencontre virtuelle mettant en vedette trois vétérans des Forces armées canadiennes qui ont discuté des façons de reconnaître les Canadiens qui ont servi récemment.

Voyez le lieutenant-général (à la retraite) Lloyd Campbell, le lieutenant-colonel (à la retraite) Chris Hutt et le sergent (à la retraite) Geneviève Gauthier partager leurs réflexions personnelles sur la meilleure façon de souligner les contributions de toutes les personnes qui ont servi.

Transcription

Faith McIntyre

Bonjour et bienvenue à cette rencontre virtuelle sur la commémoration des efforts militaires du Canada depuis la fin de la guerre de Corée. Je m’appelle Faith McIntyre, directrice générale des communications à Anciens Combattants Canada, et je suis heureuse d’être votre modératrice aujourd’hui. Je tiens à reconnaître d’abord que je me trouve sur un territoire traditionnel non cédé des Mi’kmaq. Comme nous nous réunissons virtuellement, je tiens à saluer les peuples des territoires sur lesquels vous êtes tous rassemblés, d’un océan à l’autre.

Avant de commencer, je tiens également à souligner le courage des vétérans des Forces Armées Canadiennes et de la Gendarmerie Royale du Canada qui ont servi, et qui continuent de servir aujourd’hui.

Je voudrais vous demander de vous joindre à moi pour observer un moment de silence en hommage aux sacrifices des nombreuses personnes qui sont mortes au service de leur patrie.

Moment de silence

Faith McIntyre

Nous aurons maintenant le plaisir d’entendre le discours d’ouverture de l’honorable Lawrence MacAulay, ministre des Anciens Combattants et ministre associé de la Défense nationale.

L’honorable Lawrence MacAulay

Merci beaucoup, Faith, et c’est un plaisir d’être ici. Lieutenant-général Campbell, Lieutenant-colonel Hutt, Sergent Gauthier... et je tiens à vous remercier ainsi que tous ceux qui se sont joints à nous aujourd’hui.

En novembre dernier, nous avons discuté avec des historiens du Musée de la guerre de la manière dont nous devrions nous souvenir de nos vétérans de l’après-Corée. Nous avons eu une excellente conversation, mais ce que nous n’avons pas compris, c’est le point de vue des vétérans. Nous avons tous vu des films et des documentaires ou lu des livres sur la longue histoire militaire du Canada. Des tranchées de Belgique aux plages de Normandie, il y a des histoires... certaines histoires que nous connaissons beaucoup mieux que d’autres, mais ce que nous connaissons moins n’est pas moins important.

Il existe des centaines de milliers de vétérans, des centaines de milliers de vétérans dont les histoires valent la peine d’être racontées et commémorées, car à partir du moment où une personne porte notre uniforme, elle fait partie de notre histoire militaire. Quel que soit leur grade, la durée de leur service ou l’endroit du monde où leur service les a conduits, leur histoire est notre histoire.

En tant que Canadiens, il est de notre devoir de reconnaître et de rendre hommage à nos vétérans, y compris les centaines de milliers qui ont porté l’uniforme depuis la guerre de Corée.

Il y a eu des femmes et des hommes, des Autochtones et des immigrants qui sont venus ici en quête d’un nouveau départ, mais qui ont décidé de redonner à leur nouveau pays. Des Canadiens de tous horizons qui ont servi ce pays avec fierté. Ils ont tous des histoires qui méritent d’être racontées et que les Canadiens voudront entendre. C’est donc formidable aujourd’hui d’avoir des vétérans avec nous et de nous concentrer sur la façon dont les vétérans de l’ère moderne estiment que leur service devrait être reconnu.

Encore une fois, je vous remercie tous d’être présents ici et j’attends vos réflexions avec intérêt. Encore une fois, merci beaucoup et je vous redonne la parole, Faith.

Faith McIntyre

Merci beaucoup, monsieur le ministre MacAulay, d’être avec nous aujourd’hui et merci pour votre déclaration d’ouverture. C’est certainement une discussion très importante alors que nous façonnons l’avenir des commémorations. Il s’agit donc du dernier volet d’Anciens Combattants Canada dans notre nouvelle série de rencontres virtuelles sur l’avenir de la commémoration. Nous tenons à remercier le Musée canadien de la guerre pour son aimable soutien à ces initiatives de sensibilisation.

Depuis de nombreuses décennies, la Première et la Seconde Guerre mondiale, ainsi que la Guerre de Corée, a naturellement une place importante dans la mémoire collective des efforts militaires des Canadiens.

Mais les contributions et les sacrifices des militaires canadiens n’ont certainement pas pris fin après les années de guerre. Notre Ministère entreprendra des consultations auprès des vétérans et d’autres intervenants afin de déterminer la meilleure façon de faire en sorte que ces efforts plus récents soient mieux connus de tous les Canadiens.

Nous parlerons aujourd’hui avec trois vétérans des Forces Armées Canadienne qui ont servi durant toute un éventail de missions au cours de leurs longues carrières, afin de savoir comment les contributions et les sacrifices comme les leurs devraient être commémorés et soulignés d’après eux.

Rencontrons donc nos conférenciers : 78 ans et plus de 680 000 heures. C’est le service cumulé de ces trois estimés conférenciers. C’est un honneur pour moi d’être avec eux aujourd’hui et de consacrer à peine 60 minutes de mon temps pour écouter et apprendre.

Le lieutenant-général (à la retraite) Lloyd Campbell a servi dans les Forces aériennes pendant 37 ans. Il a été pilote de chasse et a ensuite occupé divers postes de commandement et d’état-major, notamment pendant la guerre froide en Europe et au sein du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD), avant de prendre sa retraite en 2003 en tant que commandant des Forces aériennes du Canada.

Le lieutenant-colonel Chris Hutt a servi dans l’armée canadienne pendant 25 ans. Il a été un officier du corps blindé au sein des Royal Canadian Dragoons et a participé à des missions en Bosnie et en Afghanistan, et a occupé d’autres postes de commandement et d’état-major avant de terminer sa carrière militaire en 2017.

La Sergente à la retraite Geneviève Gauthier a servi dans les Forces Armées Canadiennes pendant seize ans. Elle était membre du 5e Régiment du génie de combat, et a été déployé en Afghanistan où elle était Sergente des opérations de son escadron. Plus tôt dans sa carrière, elle a participé à une mission en République centrafricaine.

Merci également à ceux qui ont soumis des questions à l’intention de nos conférenciers. Nous avons utilisé ces questions et en avons ajouté d’autres afin de susciter une discussion intéressante pour notre séance d’aujourd’hui.

Commençons!

Un des principaux objectifs d’une nouvelle approche commémorative visant à honorer et à reconnaître les nouvelles générations de vétérans est d’établir des parallèles entre les efforts des Canadiens qui ont pris part aux grands conflits du 20e siècle et ceux qui ont servi au cours des dernières décennies. Nous venons d’entendre un aperçu des carrières militaires mouvementées de nos conférenciers, mais nous aimerions en savoir plus sur vous et sur ce que vous avez fait lorsque vous étiez en uniforme, et peut-être pourriez-vous ensuite nous faire part de vos réflexions sur les liens que vous pouvez voir entre le service de différentes époques de vétérans.

Lieutenant-général Campbell, nous allons commencer par vous. Veuillez nous en dire un peu plus sur votre carrière militaire et nous faire part de vos réflexions personnelles sur cette question.

Lieutenant-général (à la retraite) Lloyd Campbell

Le premier faux pas de Zoom est de s’assurer que la sourdine est désactivée, n’est-ce pas?

Merci beaucoup et, vous savez, en ce qui concerne l’introduction, toutes ces années font que l’on commence à se sentir un peu vieux, mais je vais essayer de remonter dans ma première partie à l’époque où j’étais beaucoup plus jeune.

Certes, la guerre froide était axée sur la dissuasion; il s’agissait d’essayer d’assurer la dissuasion contre la menace très étendue et réelle que représentait l’Union soviétique à l’époque, et cela signifiait le maintien en Europe des troupes de l’Armée, de la Marine et des Forces aériennes qui étaient dans un état de préparation assez élevé en tout temps.

J’ai eu l’occasion d’y apporter ma petite contribution. Tout d’abord, au moins en 1971, lorsque j’ai été affecté à Baden-Soellingen en tant que jeune pilote de chasse à bord des CF-104 dans le rôle de frappe et d’attaque. Dans le jargon de l’OTAN, « frappe » signifie nucléaire, et la première partie de la formation consistait donc à se préparer au combat dans ce rôle particulier, mais nous ne volions pas avec des armes nucléaires pour des raisons évidentes. Chacune de nos bases disposait donc d’une zone d’alerte de réaction rapide où se trouvaient un certain nombre d’avions entièrement chargés, prêts à partir, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par an; et en tant que jeune pilote d’avion, vous aviez la possibilité, deux ou trois fois par mois, de prendre le commandement d’un de ces avions et de passer 24 heures dans la file d’attente en alerte de réaction rapide, comme nous l’appelions à l’époque.

Et, vous savez, nous nous attendions à ne jamais en arracher pour de vrai; il n’y avait aucun doute, mais c’était une expérience qui donnait le frisson et qui faisait réfléchir, de se trouver en état d’alerte avec une arme aussi puissante. Le Canada a quitté ce rôle en 1972, et à partir de ce moment-là, nous avons joué le rôle d’attaque au sol avec des armes conventionnelles, donc contre des choses comme des sites de missiles, des aérodromes, des concentrations de blindés, etc.; et les missions étaient toutes assez standard, volées à très bas niveau dans des conditions météorologiques assez marginales, souvent en Europe, à des vitesses de 450 nœuds en route et de 540 nœuds dans la zone cible. Cela correspond à environ 1 000 kilomètres à l’heure, ce qui, comme vous pouvez l’imaginer, est une course assez excitante pour y participer. Le plus triste dans tout cela, c’est que l’environnement n’était pas non plus très clément, et que cette mission n’a pas été sans pertes importantes au cours de toute la période de 104.

J’ai passé au total 14 ans de ma carrière en Europe, les quatre dernières années à la fin des années 1980 et au début des années 1990, lorsque c’était passionnant, mais pour une raison différente bien sûr, à savoir la chute du mur de Berlin, la réunification de l’Allemagne en 1990 et la dissolution du pacte de Varsovie en 1991. En fait, le monde entier là-bas a été bouleversé d’une manière que la plupart des gens ne pensaient pas qu’il le serait un jour. Et cela a conduit, évidemment, les gouvernements à vouloir profiter des dividendes de la paix, ce qui a amené le gouvernement canadien, dans ce cas, à fermer nos deux dernières bases en Europe, dont l’une que je commandais à l’époque.

Et donc, cela a en quelque sorte marqué la fin de la Guerre froide. Mais comme je suis sûr que mes autres co-conférenciers en témoigneront, contrairement à cette grande période de paix et de stabilité que l’on imaginait à l’époque, les choses ne se sont pas passées ainsi, et ils parleront de certains des événements auxquels ils ont participé, mais nous devons nous rappeler que même aujourd’hui, vous savez, depuis 2014, le gouvernement canadien a déployé des forces – terrestres, maritimes et aériennes – par rotation en Europe de l’Est, parce que la menace russe s’est à nouveau manifestée, et que le besoin de dissuasion est toujours là, donc, comme le dit le vieil adage, plus ça change, plus c’est pareil.

Pour répondre à votre question, Faith, sur le lien entre les générations de vétérans, je pense qu’il est important, comme le ministre l’a mentionné, de parler de l’immense contribution et des sacrifices consentis par ceux qui ont participé à la Première Guerre mondiale - plus de 620 000 Canadiens servirent, 60 000 sont morts au combat. La Seconde Guerre mondiale a fait plus d’un million de morts, dont 45 000 étaient des aviateurs lors des bombardements; la population de l’époque comptait moins de 12 millions d’habitants, ce qui signifie que presque tout le monde au Canada a participé à la guerre ou faisait partie d’une famille dont les membres ont participé à la guerre.

Donc, je pense qu’il y avait une véritable compréhension qui existait. Mon propre père a servi outre-mer dans l’Aviation royale du Canada pendant trois ans à cette époque, et bien que je sois né après la guerre, lorsqu’il est rentré au pays, j’ai fini par porter le nom de deux de ses camarades d’escadron qui ont été tués lors d’opérations en Europe, et j’ai donc eu en quelque sorte ce rappel personnel de leurs sacrifices pendant toute ma vie et ma carrière également.

J’ai mentionné plus tôt que ma propre expérience - sur la ligne de front, du moins - était la guerre froide, mais en tant que commandant plus tard, j’ai eu l’occasion de superviser des opérations entourant la campagne aérienne en Bosnie et au Kosovo et la réponse aux attaques terroristes du 11 septembre, et ensuite le début du conflit en Afghanistan aussi, et je mentionne cela uniquement parce que cela m’a donné une grande occasion, en tant que leader, de regarder ceux qui étaient au front à l’époque - des gens comme Chris et comme Geneviève - qui ont fait preuve du même genre de persévérance et de dévouement au devoir et, vous savez, cela m’a rendu très, très fier en tant que leader, je dois dire, de voir leur... cette génération de vétérans d’aujourd’hui... cette génération de vétérans maintenant, mais à l’époque, de militaires de première ligne en action, croyez-moi.

Donc, pour répondre à la question, j’ai le sentiment qu’il y a vraiment un lien très fort et commun qui nous unit tous, vous savez. Nous avons tous dû faire preuve de persévérance et de dévouement au devoir; nous avons tous dû subir des pertes au service de notre pays, et je pense donc que, comme je l’ai dit, ce lien entre les vétérans, passés, présents et futurs, est quelque chose d’inscrit de façon indélébile dans notre ADN et qui sera préservé et restera longtemps, très, très longtemps.

Merci.

Faith McIntyre

Merci beaucoup, lieutenant-général Campbell.

Et certainement, j’hésiterais à dire que vous avez effectivement joué un grand important au front, pour ainsi dire, à de nombreuses occasions et dans de nombreuses missions, et je noterais également que vous l’avez fait à des moments très critiques de l’histoire.

Je pense qu’il sera intéressant de voir comment vos collègues répondent à cette question. Donc, sur ce, je me tourne vers le lieutenant-colonel Hutt. Vous avez servi en Bosnie et en Afghanistan, alors parlez-nous un peu de votre carrière, et de ce que vous pensez de vos camarades; pensez-vous qu’il y a une hésitation à vous considérer comme un vétéran au même titre que ceux qui ont combattu il y a 75 ou 100 ans?

Lieutenant-colonel (à la retraite) Chris Hutt

Merci. Donc, je me suis enrôlé en 1992, au lendemain de la guerre froide et au début de ce que je qualifierais de rythme opérationnel accru dans le cadre des opérations de soutien de la paix. Donc, après mon enrôlement, nous avons envoyé des troupes au Rwanda, en Somalie et dans les Balkans - les premiers jours des Balkans.

Je me suis présenté à Petawawa en tant qu’officier du corps blindé qualifié en 1996 et j’ai été chargé, à 23 ans, de 16 soldats, dont j’étais le troisième plus jeune et dont la plupart me dépassaient largement en âge et en expérience, et de quatre véhicules blindés. Et dans les neuf mois qui ont suivi mon arrivée à Petawawa, j’ai fait partie d’une importante ligne de file qui avait été déployée de Petawawa et près de la rive nord des Grands Lacs pour aider les populations de Winnipeg pendant les inondations de la rivière Rouge en 1997.

Un an plus tard, j’ai été déployé- ou plutôt, moins d’un an plus tard, neuf mois plus tard - j’ai été déployé en Bosnie pour la première fois, à la tête d’un contingent de 28 soldats, y compris des réservistes et quelques-unes des premières femmes dans des unités des armes de combat, et à la tête de sept véhicules blindés, et j’ai été déployé dans une opération de soutien de la paix là-bas.

Au fil des années que j’ai passées... ma carrière s’est poursuivie et j’ai passé la majorité de mon temps dans la force de campagne à suivre des habitudes similaires, où je m’entraînais et je participais à des opérations, ou je formais directement des gens pour qu’ils soient affectés eux-mêmes aux opérations - je m’étais engagé à cet égard.

Je dois dire qu’au cours de cette période et des premières années, il y avait une réticence à reconnaître les personnes de nos générations comme des vétérans; nous ne nous considérions pas comme tels. Je pense que c’est un défaut des personnes dans les FAC, parce que nous sommes entourés de personnes extraordinaires qui font des choses extraordinaires, pour nous cela semble normal, et ce n’est que rétrospectivement, lorsque vous prenez un peu de distance par rapport à cela, que vous commencez à réaliser certaines des choses extraordinaires que vous avez faites et les personnes extraordinaires avec lesquelles vous avez eu l’occasion de servir.

Donc, une des choses que je dirais est que les liens ont toujours été là, comme le Général Campbell l’a souligné. J’ai appris mon métier et tout ce que je sais sur le leadership auprès de sous-officiers et d’officiers qui ont servi pendant la guerre froide, et ils m’ont appris mon travail et ce qu’était un leader, et ils l’avaient appris à leur tour auprès des vétérans de la guerre de Corée et de la Deuxième Guerre mondiale, et ces liens étaient encore vivants pour les gens de ma génération.

Il y a un soldat, le retraité Don Wood, qui était conducteur du deuxième véhicule blindé à Leeuwarden le 15 avril 1945, et nous l’accueillons chaque année à Petawawa - mon ancienne unité, les Royal Canadian Dragoons. Il se présente pour commémorer cette date, la libération de Leeuwarden, et nous raconte des histoires et fait part de ses expériences avec nous. Alors que j’étais lieutenant et jeune capitaine, le brigadier-général (retraité) Radley-Walters, l’as des chars d’assaut du Canada, qui avait combattu en Normandie, dans la brèche de Falaise et tout au long de la campagne du Nord-Ouest et avait reçu les honneurs de la Reine, vivait tout près de Petawawa et nous l’accueillions pour le perfectionnement professionnel. Et, encore une fois, il racontait ses histoires sur les tactiques et le leadership et ses expériences de la guerre. Ces liens étaient donc très vivants, comme je le sais dans l’armée, et je suis sûr que c’est la même chose dans les Forces aériennes et dans la Marine, où nous avons ces liens. Et il est difficile de se mettre sur un pied d’égalité, si vous voulez, avec un vétéran quand on vit les histoires de ces personnes.

Je dirais que cela a commencé à changer à la veille de la guerre en Afghanistan et pendant les campagnes en Afghanistan parce que, tout à coup, il est devenu très évident que, non seulement à l’égard des opérations de soutien de la paix pendant la guerre froide, nous participions réellement au combat, et cette réticence à se reconnaître comme vétérans et à reconnaître ses pairs et ses frères et sœurs d’armes comme vétérans s’est en quelque sorte dissipée, si vous voulez, et cette réticence a en quelque sorte disparu. Et je pense, encore une fois, que tant que vous êtes en service, vous ne pensez pas à cela comme une réalisation extraordinaire parce que c’est juste votre travail, et c’est ce que tout le monde autour de vous fait, et donc c’est... l’approche typique d’un soldat est de le traiter de façon blasée, même si vous faites quelque chose de vraiment génial.

Mais en ce qui concerne le recul, à mesure que vous franchissez ce pas, je pense que la réticence à s’appeler vétéran et à reconnaître que vous êtes en fait un vétéran a disparu, et que la plupart d’entre nous, une fois que nous nous éloignons et commençons notre vie après le service, sentent que nous sommes des vétérans.

Faith McIntyre

Lieutenant-colonel Hutt, merci beaucoup.

Et certainement, cela ressemble au lien commun dont nous a parlé le lieutenant-général Campbell et aux liens que vous avez mentionnés; et j’ai apprécié les histoires de première main sur la façon dont vous avez gardé toutes ces pièces vivantes et continues tout au long de l’histoire. Je pense que c’est essentiel.

Geneviève, la sergente Gauthier nous aimerions maintenant que vous nous racontiez certaines de vos expériences. On a entendu de vos collègues plus ça change, plus c’est pareil : d’après vous et vos collègues de l’Afghanistan, quels sont vos points communs avec ceux qui ont combattu pendant les guerres mondiales?

Sergent (à la retraite) Geneviève Gauthier

Bonjour. Je suis bien heureuse aujourd’hui de participer à cette table ronde.

C’est très important pour moi de pouvoir parler de nos histoires, de notre carrière pour que les gens sachent exactement ce qu’on a vécu pour… c’est pratiquement thérapeutique pour nous les vétérans de pouvoir raconter nos histoires. Ça fait du bien. Pour moi-même qui a été diagnostiqué il y a pas longtemps avec le syndrome post-traumatique, j’ai dû… j’ai dû faire mes recherches et mes… pour participer à cette table ronde j’ai dû m’asseoir, penser à ma carrière, me rappeler les merveilleux souvenirs, les merveilleuses choses que j’ai faites, donc c’est une très belle opportunité aujourd’hui de pouvoir participer à cette table ronde.

Pour parler de ma carrière, je me suis enrôlée dans les années 90, j’étais dans les premières femmes dans les armes de combat. À ce moment-là c’était plus… on avait plus un rôle de gardien de la paix dans les Forces armées canadiennes, donc notre entraînement allait vers le maintien de la paix. On s’est entraîné avec les mille… c’était plus les… presqu’encore la guerre froide, comme mes collègues disaient, mais vers les années, plus qu’on est allés vers les années 2000, l’équipement, tout a changé, on s’est allé vers un milieu plus de guerre et de bataille et l’entrainement est devenu de plus en plus intensif. On s’est entraîné pendant des années ensemble pour pouvoir aller en Afghanistan, c’était notre but.

Donc quand je suis allée en Afghanistan en 2007-2008, ça été une très belle aventure, difficile, très difficile aussi parce qu’on a perdu plusieurs personnes. On a fait des cérémonies de la rampe où est-ce que c’est le cercueil transporté par des gens qu’on connait, qui rentrent dans l’avion puis qui retournent à la maison. Ça été complètement différent de tout ce qu’on pouvait s’attendre, on pense qu’on est prêt pour la guerre ou pour la bataille, mais c’est quand on arrive dedans puis qu’on le vit à tous les jours que on se rends compte que c’est pas… on n’est jamais assez prêts.

Mais on a vécu des choses incroyables aussi avec des gens… on a touché les gens an Afghanistan. Je me souviens d’une petite fille qui venait me voir à tous les jours et je lui donnais des bonbons, et un jour elle a réalisé, elle a dit à mon interprète « elle est comme ma mère. » Elle ne s’était jamais rendue compte que j’étais une femme, à toutes les jours j’allais lui donner des bonbons. Je crois qu’on a touché des cœurs, on a touché des gens. Ce qu’on a fait, on l’a fait avec passion.

Pour mettre un rapprochement avec les soldats d’avant et d’aujourd’hui c’est ça, je dirais, c’est nos soldats on a cette même passion, c’est une vocation. On n’est pas… il y a une chanson célèbre qui dit on ne le fait pas pour l’argent ou on le fait parce que c’est notre… c’est ce que notre cœur veut faire. Et c’est pour ça qu’on s’entraîne si fort, qu’on est prêt à faire des sacrifices avec nos familles, pendant toutes nos années d’entraînement où est-ce qu’on est toujours partis. Il y a des années où j’étais plus partie quand j’étais pas en mission, j’étais toujours sur un cours, en exercice, sur mon cours de sergent, sur mon cours de VBL III, de chef d’équipage. Il y a des… c’est tout un sacrifice qu’on a fait mais c’est parce que c’est notre passion.

Autant que les médecins, les gens sur les premières lignes dans les hôpitaux aujourd’hui avec le COVID, eux c’est leur grand sacrifice, mais nous, c’était notre vocation aussi, notre… c’est ce qu’on a voulu faire. Donc je crois qu’il y a vraiment un rapprochement. La guerre était différente, oui, on ne parle plus de guerre de tranchées, c’est plus une guerre urbaine ou avec des bombes artisanales ou des choses comme ça. Mais la passion, le professionnalisme des soldats pour moi c’est… ça fait partie de ce… de nous, de ce qu’on voulait faire, et on est bien fier de ça.

Oui on se considère… moi, je me considère comme vétéran. Quand quelqu’un me dit merci pour votre service, souvent je deviens un petit peu mal à l’aise, mais je vais vous dire que je me colle les talons un petit peu et que le dos me vient droit et ça me rends heureuse, et ça fait du bien. Beaucoup de nous vétérans à la maison aujourd’hui, comme moi je suis très loin de tous ce qui est militaire, ça fait 10 ans que je suis partie, j’ai plus accès à toutes mes anciens collègues, les cérémonies, ces choses-là, mais quand que des cérémonies comme le Jour du souvenir et les gens viennent me remercier, ça me fait vraiment du bien. Je pense que c’est une partie de la guérison pour nous les soldats, c’est d’être reconnus pour notre sacrifice et ce qu’on a fait.

Et c’est tout.

Faith McIntyre

Merci beaucoup sergent Gauthier. Et vous devriez certainement être fière, vous avez droit d’être fière. Et aussi on apprécie énormément que vous nous racontiez votre histoire puis on ressent que ça fait vraiment du… ça vient vraiment du fond de votre cœur.

Vous avez aussi parlé du maintien de la paix, puis c’est vraiment le maintien de la paix qui vient à l’esprit de bien des gens lorsqu’ils pensent aux efforts militaires du Canada depuis 70 ans, sans compter l’Afghanistan.

Donc, lieutenant-colonel Hutt, vous avez pris part aux efforts de soutien de la paix. Selon vous, qu’est-ce que les Canadiens doivent savoir sur ce genre de missions, surtout dans des endroits exceptionnellement difficiles comme les Balkans dans les années 1990, et comment pensez-vous qu’elles devraient être commémorées et reconnues?

Lieutenant-colonel (à la retraite) Chris Hutt

Merci. Ainsi, comme je l’ai mentionné, je suis allé en Bosnie pour la première fois en tant que jeune chef de troupe avec un escadron de reconnaissance blindé en 1998, donc deux ans après la signature des accords de Dayton, et j’ai eu l’occasion d’y retourner à nouveau en 2003-2004, neuf ans après la signature des accords de Dayton. Et c’était... J’ai vu beaucoup de progrès, mais je voudrais revenir un peu en arrière et replacer cela dans le contexte de la situation bosniaque.

Ainsi, lors de ce premier voyage au cours duquel j’ai été déployé avec des soldats qui avaient fait partie des missions de la FORPRONU, qui étaient là sous le mandat de l’ONU lorsque les tirs retentissaient et que la guerre faisait pleinement rage. Il y avait également des soldats qui avaient été présents lors de la première mission, appelée IFOR, qui était la mission chargée de faire respecter les accords de Dayton et d’imposer la paix, notamment en tirant des missiles sur les forces qui ne respectaient pas les dispositions du cessez-le-feu, et certains d’entre eux avaient participé aux deux missions. Et puis nous étions sur le point d’être déployés en 1998 dans le cadre de ce que l’on appelle la mission de la SFOR, c’est-à-dire la Force de stabilisation, qui avait pour mission de maintenir les accords de Dayton et de continuer... à surveiller la situation, mais en réalité, elle avait l’apparence d’un environnement très stable et permissif Mais le truc, c’est que chacune de ces réalités de ces tournées était très, très différente et... mais en même temps, c’est qu’elles avaient toutes leurs défis et leurs risques, et qu’à tout moment, sur un coup de tête, elles pouvaient changer. Et je vais vous donner quelques anecdotes et quelques éléments de réflexion sur ce que je pense que les gens doivent savoir, parce que je pense qu’il y a une mauvaise perception ou un peu de mythe sur ce qu’étaient réellement les opérations de soutien de la paix au sein du public canadien. Et il y a cette vision que c’est un environnement permissif sous mandat de l’ONU, une menace minimale, et que tout le monde sera en sécurité. Et en réalité, c’est loin d’être le cas. Cela pourrait être le cas pour 90 % de la tournée, mais il y aura des jours où les choses seront terribles et où les menaces seront bien réelles.

En 1993-1994, sous le mandat de l’ONU, le Canada a pris part à la plus grande action de combat entre la guerre de Corée et la bataille de Panjwai dans le cadre de l’opération MEDUSA en Afghanistan. Il s’agissait de l’enclave de Medak, où un bataillon a repoussé une offensive des forces croates et a participé à une action de combat, et très peu de gens au Canada savent que cela s’est produit parce qu’on n’en parlait pas.

Plus tard, au cours de cette même... pas exactement la même mission, mais plus tard, à la même époque, pendant les années de guerre, des membres de mon régiment ont été détenus de force par l’armée serbe pendant une période de deux à trois semaines, et ils ont été pris en otage par l’armée serbe afin d’empêcher les forces de l’ONU et de l’OTAN de s’ingérer dans leurs opérations. Et, encore une fois, c’est quelque chose dont on ne parle pas ou qui n’est pas connu du grand public. Lorsque j’y suis allé, j’ai constaté que l’environnement était très permissif. Le cessez-le-feu était bien en place et nous jouions un rôle de surveillance. J’ai passé la plupart de mon temps à faire ce qu’on appelait des opérations cadres, c’est-à-dire des patrouilles de visibilité et simplement à garder... à surveiller l’atmosphère et à contrôler ce qui se passe. Et nous avons traversé des zones qui avaient subies une épuration ethnique, où il y avait des villes fantômes, où tous ceux qui vivaient dans ces petits villages étaient morts et enterrés quelque part dans cette région. Et si vous preniez vraiment le temps de regarder par les fenêtres, vous verriez qu’il y avait des places pour dîner qui étaient encore en place deux ans auparavant, lorsque le village a été épuré... ou ethniquement épuré, devrais-je dire.

Donc, des situations tendues... et il y avait une menace que posaient des mines et des choses avec lesquels nous avons dû composer, mais même dans cet environnement permissif, au cours d’une journée, toute la tournée a changé parce que l’une des villes où il y avait... se trouvait un contingent canadien, un groupe de paramilitaires croates et de Croates ethniques vivant en Bosnie a décidé qu’ils allaient tenter d’épurer ethniquement les Serbes qui étaient revenus dans la ville, et ils ont commencé à brûler les maisons, à brûler les gens, et ils ont tenté de les rassembler pour les assassiner. Et ce n’est que l’intervention des Forces canadiennes qui se trouvaient là-bas intervenant au point où des coups de semonce ont été tirés, et il y a eu une escalade de la force et cela s’est en fait presque transformé en combat armé et c’était très... très proche que nous nous sommes tous engagés, que nous avons en fait sauvé les habitants serbes qui se trouvaient là et qui étaient sur le point de subir une épuration ethnique. Et c’était en 1998, deux ans après la guerre.

Donc... et je pense que la dernière anecdote dont je vais faire part est qu’en 2003-2004, la dynamique de la tournée a encore une fois changé; les accords de paix étaient encore largement en place; notre objectif avait changé et nous suivions en fait beaucoup de choses en surveillant les réseaux de crime organisé qui s’occupaient de tout, des armes aux réseaux de trafic d’êtres humains, et il y avait des cas où nos contingents voisins trouvaient des donjons de personnes qui étaient retenues contre leur volonté et déplacées vers l’esclavage de base à toutes fins utiles. Mais en même temps, nous trouvions toujours les armes de guerre qui étaient en fait amassées et cachées, prêtes à être utilisées lorsque nous nous serions tous détournés et pour que la guerre recommence. Nous trouvions tout, des armes légères jusqu’à, un jour, dans une usine derrière un faux mur, deux obusiers ont été découverts par le contingent britannique qui n’étaient pas que des reliques de la guerre, ils étaient activement entretenus par quelqu’un et des registres d’entretien y étaient conservés. Donc, une réalité très différente et des défis très différents, et à tout moment, cette situation aurait pu changer.

Je pense donc que les gens doivent réaliser au sujet des opérations de soutien de la paix, qu’elles font l’objet d’un mythe ou d’une vision optimiste, mais que ce n’est pas nécessairement la réalité. Et je pense que la façon de reconnaître ce que les gens ont fait dans le cadre de ces opérations de soutien de la paix, que ce soit au Rwanda, en Somalie, dans les Balkans, au Timor oriental, dans n’importe quel endroit où nous étions, est de reconnaître les réalités de la situation. J’appelle cela le bon, le mauvais et le laid, parce que beaucoup de bien a été fait, beaucoup de nos gens ont été mis en danger, et parfois il y a eu des échecs.

Il a été mentionné plus tôt qu’il y avait un dividende de la paix, je dirais que nous n’avons jamais... nous n’avons jamais vu cela à la fin de la guerre froide parce que, si quelque chose, le rythme des opérations s’est accéléré - très différent de ce qu’il était dans la guerre froide - mais le rythme des opérations s’est accéléré. Mais en même temps, parce qu’il y avait la perception qu’il y avait un dividende de la paix et qu’il s’agissait d’opérations de soutien de la paix, qu’elles n’avaient pas besoin d’être équipées aussi bien et qu’elles n’avaient pas besoin qu’on s’y investisse, il y avait donc un peu d’illusion.

Je pense donc que les gens doivent être conscients de cela : les réalités de ce qu’était et de ce qu’est le soutien de la paix, et le fait que ce n’est pas sûr et qu’il y a des risques, et que même s’il s’agit, entre guillemets, d’une « opération de soutien de la paix », elle peut très rapidement se transformer en combat, et les gens au sein des Forces doivent être préparés à cela et tout le monde doit en être conscient. Merci.

Faith McIntyre

Eh bien, je dirai non, merci à vous d’avoir fait part des réalités des expériences de maintien de la paix, ce qui, je pense, est une partie importante de la discussion sur la façon de procéder pour la commémoration, tout en étant important pour éduquer tous les Canadiens sur l’image de ce qui s’est passé et de ce qui existait, ainsi que les exemples dans d’autres régions où les Forces armées canadiennes ont été affectées pendant un certain nombre d’années. Et certainement, alors que nous tournons le regard vers l’avenir.

Sergente Gauthier maintenant, pour appuyer un peu la question, c’est certain qu’on veut se pencher sur une nouvelle approche qui vise à commémorer les efforts déployés par les Forces armées canadiennes à l’étranger, un peu comme décrit ton collègue il y a juste une minute. L’idée serait possiblement d’avoir des années thématiques axées sur les missions menées à différentes parties du monde. Vous étiez une vétérane, vous êtes une vétérane je devrais dire, vous étiez en mission en Afrique et en Afghanistan, donc qu’en pensez-vous?

Sergent (à la retraite) Geneviève Gauthier

Je trouve que c’est vraiment une bonne idée, on a besoin de dire nos histoires, on a besoin d’être commémorés comme je disais plus tôt, d’être reconnus pour ce qu’on a fait c’est une partie de notre guérison comme soldat, comme vétéran. Mes enfants, mes jeunes enfants savent aucune idée qu’est-ce que j’ai pu faire dans les Forces armées canadiennes. Une journée je suis allée à une cérémonie du souvenir avec eux et j’ai mis mon béret, mon chapeau, et mes enfants m’ont dit « maman, t’as dont bien un drôle de chapeau! » Et ils ne connaissent pas.

Donc on doit commémorer, ça va apporter des connaissances pour les jeunes, donc il faut pas oublier ce qu’on a fait. Comme je dis, on pense toujours de la Deuxième guerre, Première guerre, mais nos soldats, ce qu’on a fait, notre contribution est aussi importante. C’est une différente guerre mais c’est… c’est aussi important.

Un autre exemple, quand j’étais avec les enfants, quand je suis allée pour la cérémonie du souvenir avec mes enfants, je suis allée dans les classes et les enfants pouvaient me poser des questions. J’ai un enfant qui m’a demandé si j’avais servie avec son grand-père durant la Deuxième guerre mondiale, et un autre enfant m’a demandé « mais est-ce que tu aimes la guerre? » Donc les questions étaient tellement merveilleuses et c’était tellement touchant de pouvoir discuter avec les enfants. Et la question de la guerre ça m’a vraiment surprise, j’ai dû m’asseoir une seconde et penser… et la façon que j’ai expliqué ça à l’enfant c’est nous militaires on est un peu comme les pompiers ou les policiers. On peut demander à un policier si il aime les bandits, mais probablement il aime pas les bandits mais il aime le maintien de l’ordre. Le pompier, il n’aime nécessairement pas le feu mais il… il fait son travail pour éteindre le feu. Mais un soldat c’est un peu la même chose, on est tous des parents, des conjoints, des frères, des sœurs, des oncles, des tantes, et on a toutes ces gens-là derrière nous et on fait ça pour eux, c’est notre travail.

La commémoration avec des parades ou des… ça va aider beaucoup à comprendre ce qu’on a fait et un peu enlever le stigma que les vétérans on est chez-nous, on est… on n’est pas de bonne humeur, on peut pas voir personne ou… de mettre nos vétérans dans la communauté je crois ça va aider beaucoup, beaucoup, ça pourrait avoir des effets très bénéfiques sur nous les vétérans et aussi sur nos enfants pour pas qu’ils perdent ces connaissances-là.

Faith McIntyre

Merci beaucoup Sergente Geneviève… pardon, Sergente Gauthier là. Je vois certainement que l’importance d’avoir des exemples concrets, d’avoir les expériences réelles que vous nous parlez de aujourd’hui, tous les trois, puis d’être capable de répondre des fois à des questions difficiles, mais les questions aident aussi à l’apprentissage puis à la connaissance puis commémoration de tout ce que vous aviez vécu, vous-autres et vos collègues.

Donc, lieutenant-général Campbell, nous avons parlé, et vos collègues ont fait référence à la guerre froide. Vous êtes un vétéran de la guerre froide. Cette guerre a été une priorité absolue pour l’armée canadienne du début des années 1950 au début des années 1990, mais le public n’en est peut-être pas aussi conscient que de nos missions de maintien de la paix. Les forces régulières et les réservistes ont également joué de nombreux rôles importants ici au Canada, et nous avons entendu vos collègues en décrire quelques-uns, qu’il s’agisse de tâches courantes comme la patrouille de nos frontières, la recherche et le sauvetage ou l’aide lors de catastrophes nationales.

Alors, que devrait faire le Canada pour mieux reconnaître les contributions de notre pays à la guerre froide et comment pensez-vous que d’autres types d’efforts peuvent être mieux reconnus?

Lieutenant-général (à la retraite) Lloyd Campbell

Merci, Faith. Permettez-moi de commencer, tout d’abord, par faire écho à quelque chose dont Geneviève a parlé et c’est l’importance d’éduquer nos jeunes. Et, vous savez, cela me rappelle une chose qui m’est récemment venue à l’esprit... à mon attention, et c’est un projet scolaire que l’école de Toronto, North York, a fait. Il s’agit d’un programme d’histoire orale dans le cadre duquel des dizaines et des dizaines de vétérans et de personnes en service dans les forces armées aujourd’hui ont été interrogés en personne par Zoom, etc. Je pense que les histoires qu’ils ont été autorisés à raconter sont tout à fait fascinantes, et... Je pense que ce qui est important, c’est que ce sont vraiment des étudiants qui se renseignent sur la guerre et sur tous les conflits passés dans lesquels les gens ont été impliqués, y compris les conflits très modernes, et je pense que c’est quelque chose que nous devons vraiment encourager.

En ce qui concerne les monuments commémoratifs, je veux dire, c’est difficile à dire, il y a beaucoup de monuments commémoratifs autour... de la guerre froide, je pense à des choses comme le Musée canadien de la guerre, le Musée de l’air et de l’espace du Canada, le Musée de la guerre froide à Calgary, il y a des musées sur presque toutes nos bases et escadres dans le pays qui sont ouverts au public. Et ces choses sont extrêmement importantes pour au moins montrer en ce qui concerne l’équipement et les artefacts, etc., vraiment, ce qui se passe.

Comme l’a dit le ministre, vous savez, beaucoup de gens ont participé à ce programme que nous avons appelé la guerre froide, plus de 100 000 ont servi en Allemagne au fil des ans, sans compter les familles, évidemment. Des centaines de milliers d’autres ont servi ici, au Canada, et comme vous l’avez mentionné dans votre question, ces forces régulières, nous avions des réservistes, des gens qui participent non seulement à la défense de nos frontières et de notre espace aérien, mais aussi à des missions de recherche et de sauvetage, etc. Et je peux vous dire, d’après mon expérience avec les personnes chargées de la recherche et du sauvetage, que vous n’avez jamais l’occasion d’effectuer une mission de recherche et de sauvetage par beau temps et à la lumière du jour; les recherches et les sauvetages semblent toujours avoir lieu la nuit et dans de très mauvaises conditions météorologiques. Et elles ont été coûteuses quant aux vies au fil des ans, nous pouvons tristement... tristement le dire. Et vous savez, bien qu’on dise souvent que la guerre froide n’était pas une guerre de tir comme d’autres l’ont été, il n’en reste pas moins qu’environ 1700 Canadiens ont perdu la vie lors d’entraînements et d’opérations au cours de cette période, ce n’est donc pas un petit coût en vies humaines.

En ce qui concerne la commémoration, je pense que l’une des choses les plus importantes que j’ai vues se produire a déjà eu lieu, à savoir la création du Septième Livre du Souvenir. Pour ceux qui ne savent pas ou ne se souviennent pas bien des Livres du Souvenir, il y en avait trois à l’origine, essentiellement : La Première Guerre mondiale... enfin, pardon, six, mais ils comprenaient trois campagnes : la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée. C’était une sorte d’événement triste à mes yeux, et aux yeux de beaucoup d’autres et, heureusement, c’est grâce à beaucoup de diligence et d’efforts de ma part... par moi-même lorsque je commandais les Forces aériennes, nous avons réussi à obtenir l’approbation pour avoir ce qu’on appelait le Septième Livre du Souvenir.

Et ce livre contient maintenant les noms de quelque 1961 Canadiens qui sont morts dans des opérations comme en Afghanistan, pendant la guerre froide, dans des opérations de maintien de la paix, etc. Ils sont...ces livres sont conservés sur la colline du Parlement, normalement dans la Chapelle du Souvenir de la Tour de la Paix, mais en ce moment, en raison des travaux de construction en cours, ils se trouvent au centre de visite. Mais ils sont également accessibles en ligne par l’intermédiaire d’Anciens Combattants Canada, et je vous encourage tous à prendre le temps, de temps à autre, de les consulter, car vous pouvez y trouver le nom d’un ami ou d’un parent que vous avez perdu et voir comment son nom est gravé dans le livre du souvenir, pour toujours. Donc, je pense que c’est une chose très importante.

L’autre façon dont nous devons, en tant que Canadiens, je pense, nous souvenir de nos vétérans, c’est en prenant soin d’eux. Geneviève a mentionné ses propres difficultés liées au trouble de stress post-traumatique; elle n’est évidemment pas seule; j’ai un neveu qui était également ingénieur de combat et qui souffre de la même façon. Et il y a... vous savez, quand on regarde ça, on doit vraiment commencer, genre, à s’occuper des gens... enfin, continuer à s’en occuper... Je ne veux pas donner l’impression que rien ne s’est passé. En fait, je fais partie du conseil d’administration du Centre de santé Perley-Rideau pour anciens combattants, ici à Ottawa, qui compte beaucoup de... à l’origine, beaucoup de vétérans de la guerre froide, plutôt, de la Seconde Guerre mondiale. Ce nombre est malheureusement en diminution.

Mais le gouvernement, le ministère des Anciens Combattants, a récemment lancé un projet pilote, de sorte que 60 de nos chambres sont désormais réservées pour les personnes que l’on appelle d’autres vétérans qualifiés. Il s’agit pour la plupart de personnes ayant fait la guerre froide - certaines ont pu venir après - mais il s’agit pour la plupart de personnes ayant fait la guerre froide; des personnes bénéficiant d’une pension d’invalidité qui ont besoin du type de services que les soins de longue durée fournissent, et ce programme a connu un grand succès, et nous sommes très désireux de le voir devenir une réalité, et pas seulement un projet pilote, et de le voir se développer dans tout le pays et même en plus grand nombre.

Dans le même ordre d’idées, et cette fois-ci davantage destinée aux personnes de l’époque de Chris et de Geneviève, il y a la création d’un immeuble de 40 appartements ici à Ottawa, appelé Veterans’ House, qui a été financé en grande partie par des dons de charité, l’Initiative multiconfessionnelle sur l’habitation et la ville d’Ottawa, le ministère des Anciens Combattants y ont joué un rôle, la Légion et d’autres aussi. Et cela prendra 40... ils me disent qu’il sera plein à la fin du mois, mais il fournira des appartements entièrement équipés pour ceux qui auraient été jusqu’à présent 40 vétérans sans abri.

Ce sont donc ces types de programmes, je pense, qui commémorent de manière très concrète et tangible le service de notre peuple.

Merci.

Faith McIntyre

Eh bien, merci, lieutenant-général Campbell.

Et de nombreux exemples vraiment concrets de ce que signifie la commémoration et de la façon dont vous la percevez, de l’éducation des jeunes sur le bon, le mauvais et le laid - comme l’a dit votre collègue - à l’importance de saisir les moments dans les Livres du Souvenir qui, comme vous l’avez noté, sont disponibles pour les spectateurs sur notre site Web d’Anciens Combattants Canada comme un premier endroit où aller pour en savoir plus.

Il est également intéressant de voir comment vous avez défini l’importance des soutiens comme étant une manière de commémorer de manière critique, et nous devons continuer à le faire.

J’aimerais parler un peu plus de l’Afghanistan, et nous avons entendu dire que, vous savez, l’Afghanistan a vraiment été un tournant dans les différentes missions, et ce qui s’est passé après, si vous voulez, l’ère de la guerre plus traditionnelle.

Donc, Sergente Gauthier, vous étiez parmi les plus de 40 mille membres des Forces Armées Canadiennes qui ont servi en Afghanistan; cette mission a considérablement sensibilisé le public à la réalisation militaire, et aux sacrifices consentis. Et, ceci incluait la force régulière et des réservistes. La construction d’un nouveau monument national en honneur des efforts déployés pour notre pays en Afghanistan est prévue pour 2024. Qu’en pensez-vous? Et de quelle autre façon croyez-vous que ces efforts devraient être commémorés, non-seulement pour la force régulière, mais aussi pour les réservistes?

Sergent (à la retraite) Geneviève Gauthier

J’adore l’idée d’avoir un monument pour commémorer l’Afghanistan spécifiquement; on en avait un très, très beau monument à Kandahar qui était juste à côté de mon bureau où j’allais me recueillir souvent quand j’avais une journée difficile, ou quand j’étais sur le camp à Kandahar avec la photo de tous nos disparus, avec une petite description. Ce monument-là est maintenant à Ottawa, je suis vraiment heureuse de savoir qu’il a été mis, qu’il est disponible pour aller le voir. Mais, non, je crois que c’est important. En ayant un monument, même pour nos vétérans de pouvoir aller se recueillir, je ferais un voyage spécial pour Ottawa, où va être le monument, c’est certain. Même celui présentement qui est de Kandahar, j’aimerais ça aller le voir. Ça fait partie de mes projets.

Mais, justement, pour se recueillir, ça fait partie, encore une fois, de la préconisation et de la guérison pour nous. Je parle beaucoup de guérison, mais c’est vraiment… on perd beaucoup trop. Encore aujourd’hui, il y a une semaine, j’ai vu des photos passer dans mon fil d’actualités où un ami à moi très proche a perdu sa bataille contre le syndrome post-traumatique, et à chaque année les photos reviennent, on s’ennuie… c’est important pour nous, la reconnaissance pour ce qu’on a fait est une partie vraiment importante, je crois, et des monuments sont le meilleur exemple, les meilleurs choses qui peut se passer avec ça

Faith McIntyre

Merci beaucoup Sergente Gauthier, donc certainement plusieurs façons de reconnaitre le service et les vétérans, mais comme que vous aviez indiqué l’aspect physique d’avoir un monument est un de ces aspects qui aide non-seulement avec l’aspect de la touche, d’être capable de voir, de toucher quelque chose, mais aussi l’aspect, comme tu as dit, de la guérison complète de l’individu éventuellement, espérant.

Je sais que notre temps passe certainement assez vite cet après-midi, je voudrais donc poser une dernière question au lieutenant-colonel Hutt. Vous avez tous parlé de vos familles d’une manière ou d’une autre, et je sais que nous n’avons fait qu’effleurer la pointe de l’iceberg sur la manière dont vos familles se sont engagées et vous ont soutenus, et sur la manière dont la commémoration serait certainement considérée comme un élément important pour elles.

Donc, lieutenant-colonel Hutt, vous savez... nous savons que les personnes ayant un lien avec la communauté militaire ont remarqué que vous ne pourriez pas faire ce que vous avez fait sans le soutien et le sacrifice de vos familles. Nous savons que... vous savez, je vous connais personnellement, vous avez une femme, et vous avez des filles jumelles qui prennent beaucoup de votre temps, donc certainement pendant votre service, comment cela les a-t-il touchées? Et comment pensez-vous que ce genre de sacrifice pourrait être reconnu de la part des familles?

Lieutenant-colonel (à la retraite) Chris Hutt

Merci pour la question, Faith. Oui. En fait, la famille est une chose importante dans l’armée, car sans le fondement de la famille, nous ne pourrions pas faire ce que nous devons faire. Et les membres de la famille renoncent à beaucoup de choses, et il y a… les opérations ne font qu’un, et je vais vous raconter une anecdote personnelle. Donc, ma future épouse a donc déménagé avec moi à Petawawa pendant l’une de mes affectations – loin de tous ses amis et de sa famille, dans un environnement complètement nouveau. Neuf mois plus tard, j’ai été déployé pendant sept mois et je l’ai laissée là-bas. Elle est restée avec moi et nous avons fini par nous marier, mais encore une fois, c’était beaucoup demander, de vivre dans un endroit étrange loin de tous ses amis et de sa famille et de son réseau de soutien pendant que je partais. C’était mon premier... ou plutôt, c’était mon deuxième déploiement en Bosnie.

Quelques années plus tard, avant d’avoir des enfants, on m’a annoncé la bonne et la mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle, c’est que j’ai été promu au grade de major; la mauvaise nouvelle, c’est que j’étais déployé dans moins de 30 jours en Afghanistan. Lorsque je suis rentré chez moi pour le dire à ma femme, elle a regardé notre cuisine inachevée et la maison que nous étions en train de construire, m’a jeté un regard mauvais et est entrée dans la chambre. Mais après cela, elle a établi essentiellement comment elle pouvait me soutenir et comment je pouvais la soutenir, et puis j’ai été déployé 30 jours plus tard et je suis reparti pendant sept mois en Afghanistan. Elle est l’une des personnes les plus fortes que j’aie jamais rencontrées, et elle a fait cela; elle a fait cela pour me soutenir et l’a fait avec brio. Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg – ces déploiements. Ils sont... comme Geneviève le sait, et je suis sûr que le général Campbell le sait; lorsque vous vous préparez à partir, le déploiement est en fait la partie la plus courte. Vous passez des mois et des mois à suivre des cours, à travailler sur le terrain et à faire des exercices loin de chez vous. Le cycle réel pour partir est en fait de 18 mois. 12 mois d’entraînement - un entraînement intense - pendant lesquels vous êtes absent pendant de longues périodes, puis le déploiement de six mois qui suit. Donc, c’est un énorme fardeau à porter. Et ceux-ci sont… encore une fois, vous êtes oin des membres de votre famille, vous n’êtes pas là pour les soutenir, pas là pour surmonter cela.

Puis il y a les affectations. J’ai été affecté 25 fois... ou plutôt, 12 fois en 25 ans. Ma femme, une fois qu’elle a commencé à participer à ce voyage avec moi, est passée par six affectations. Mes filles, comme vous l’avez mentionné; heureusement, elles n’ont jamais eu à vivre la période où j’étais déployé pour des opérations, mais lorsqu’elles étaient en quatrième année, elles commençaient leur quatrième école.

Je suis sûr que le général Campbell et le sergent Gauthier en feront écho, car mon histoire n’est pas unique; c’est un modèle que nous partagerions tous et que tous nos collègues partageraient... que nous avons tous vécu cette expérience sur les sacrifices que font les familles est incroyable, et je pense que cela mérite d’être souligné. Il faut noter dans cette sensibilisation par l’intermédiaire du public, les soutiens que nous offrons aux familles, qu’il s’agisse de soutiens publics ou non publics, et les soutiens culturels. Et je pense qu’il soit possible de reconnaître également des choses dans les programmes de commémoration, et je pense que c’est très important. Merci beaucoup pour votre question.

Faith McIntyre

Eh bien, non, c’est moi qui vous remercie pour cette réponse, et je sais que vos collègues aimeraient certainement intervenir, même si je sais que nous approchons de la fin de notre temps ensemble, mais je pense que votre réponse a renforcé la nécessité pour les familles d’être une partie importante de cette conversation alors que nous envisageons cette approche à l’égard de la commémoration et de l’avenir.

Et, certainement, l’expérience comme mère pour Sergente Gauthier, comme père, comme époux aussi, épouse, pour le Lieutenant-général Campbell aussi, font partie des discussions à venir.

Mais, malheureusement, c’est tout le temps que nous disposons aujourd’hui. Moi j’ai appris énormément, puis je sais que vous aviez partagé, comme j’ai dit tantôt, du fond de vos cœurs les expériences que vous avez partagées, et vraiment de la façon pour laquelle vous aimeriez être reconnus. C’est des informations importantes qu’on continue de développer l’approche, puis c’est vraiment juste le début des discussions.

Donc je tiens à vous remercier, Lieutenant-général Campbell, le Lieutenant-colonel Hutt, et la Sergente Gauthier, de nous avoir généreusement fait part de vos idées, de vos opinions intéressantes aujourd’hui. Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion.

J’ai lu un jour qu’un héros est une personne qui a donné sa vie pour quelque chose de plus grand que soi. Vous avez tous porté avec fierté et courage le drapeau canadien sur vos uniformes pendant tellement d’années tout en donnant tant de vous-mêmes. Vous êtes de véritables héros, et je vous exprime ma plus vive gratitude pour votre service.

Et pour les vétérans et tous ceux qui regardent cette séance en ligne, si vous voulez faire part de vos propres idées sur la façon dont le Canada devrait commémorer les nouvelles générations de membres des forces armées, nous voulons le savoir. Nous commencerons les consultations sous peu, mais n’hésitez pas à vous inscrire à l’adresse parlonsveterans.ca, et à faire entendre votre voix. J’encourage également nos téléspectateurs à garder l’œil ouvert pour notre prochaine table ronde d’Anciens Combattants Canada afin d’explorer davantage les principaux thèmes relatifs à la commémoration dans notre pays. Restez branchés sur tous nos canaux avec Anciens Combattants Canada pour en savoir plus. Merci beaucoup.

Merci beaucoup.

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