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Entrevue sur la Seconde Guerre mondiale

Par Mike Joyce

James R. Joyce

22 décembre 1919 - 18 décembre 1997

James R. Joyce et son épouse

James Richard Joyce est mon grand-père, mais je préfère l'appeler « Grampy ». Il a 77 ans. Il est marié depuis 54 ans, il a six enfants, huit petits-enfants et il est une fois arrière grand-père. Il a travaillé au service d'incendie de la ville de Saint John (Nouveau-Brunswick) pendant plus de trois décennies. Il a grandi à Saint John où il a plus tard élevé sa famille.

Je suis très fier de mon grand-père. Il a été (et demeure) le genre d'homme qui a fait ce qu'il devait faire pour lui-même et surtout pour sa famille; c'est un trait que j'admire. J'ai vécu dans une région différente du Canada toute ma vie. Le printemps dernier lorsque j'ai déménagé ici, j'ai eu la chance d'apprendre à le connaître et je le respecte encore plus. C'est un homme fort qui adore sa famille et, après avoir parlé de la guerre avec lui, je peux dire sans hésitation qu'il ne s'est pas battu pour le Canada et la démocratie, il s'est battu pour nourrir sa femme et sa fille à une époque où il était difficile de trouver du travail, de l'argent et de la nourriture. Il est à n'en pas douter un homme pratique.

Entendre l'histoire de mon grand-père fut pour moi une merveilleuse occasion. On dit que la compréhension est la clé d'une relation et après avoir achevé cette entrevue, j'ai l'impression de le comprendre bien mieux qu'auparavant. J'ai aussi appris beaucoup de choses à propos du processus d'entrevue, comment trouver les questions, comment se comporter avec la personne durant l'entrevue et ainsi de suite. Après avoir terminé, je voulais vraiment prendre tout ce qu'il m'avait dit, rédiger un autre papier et formuler ma propre hypothèse au sujet de l'information reçue. J'ai trouvé l'entrevue très intéressante.

D'où viens-tu?

De Saint John au Nouveau-Brunswick.

Quand es-tu né?

Le 22 décembre 1919.

Ton père a-t-il combattu dans la Première Guerre mondiale?

Non, il était charbonnier; il vendait du charbon et du bois.

Et ta mère?

Ma mère était une femme au foyer.

Quel a été ton premier emploi?

Mon premier emploi consistait à pelleter de la neige pour le Canadien Pacifique.

Qu'as-tu fait d'autre avant la guerre?

Je suis allé travailler pour le Canadien Pacifique en qualité de manutentionnaire de fret au port d'hiver de Saint John (Nouveau-Brunswick). Je conduisais aussi une voiture attelée pour mon père, le charbonnier. Je transportais aussi de grande quantité de cendres; les gens brûlaient énormément de bois et de charbon à l'époque et ils avaient beaucoup de cendres.

Comment étaient tes parents et ta relation avec eux?

Nous avions une bonne relation, une bonne famille, nous étions tous bien disciplinés et on nous enseignait à discerner le bien et le mal.

Tes parents ont-ils pensé qu'aller à la guerre était une bonne ou une mauvaise chose?

Mes parents n'ont jamais su que j'allais partir à la guerre. À l'époque, dans les années 1930, il était beaucoup question de l'Europe, mais l'Europe était si loin que mes parents, mes amis et moi-même, nous ne nous y intéressions pas vraiment. Nous n'en parlions jamais à table le soir, en famille ou entre amis. C'était tout simplement quelque chose qui se passait dans un endroit lointain. Nous ne sentions pas ici la préparation que menait l'Allemagne avant la guerre.

Avant la guerre, était-il beaucoup question de l'Europe dans les journaux et à la radio?

Dans ma jeunesse, au début de l'adolescence, et même jusqu'à l'âge de 18 ou 19 ans, je m'intéressais principalement au sport. J'accordais beaucoup d'attention aux sports, mais je lisais les manchettes et j'entendais parler de ce qu'il se passait en Europe. Pour autant que l'Europe était concernée, comme je l'ai dit plus tôt, c'était un endroit lointain et je ne m'y intéressais pas beaucoup.

Quelle était ton attitude et celle de tes amis à l'égard de la guerre imminente?

Comme d'habitude, nous n'en parlions pas, nous parlions de sport et de filles.

Dis-moi comment étaient les styles avant la guerre (la coiffure et les vêtements).

Les styles de coiffure privilégiaient « l'apparence cheveux gras ». Les hommes peignaient toujours leurs cheveux vers l'arrière et les graissaient surtout avec de l'huile d'olive. Les habits que l'on appelaient « Zoot Suits » comportaient un pantalon qui allait s'amincissant vers la cheville où il était aussi étroit que la cheville et une veste au dos plus large. Les chapeaux mous faisaient également fureur à l'époque. Nous relevions toujours notre col.

Que faisais-tu pour te distraire avant la guerre?

Nous aimions surtout le baseball pendant l'été et le hockey l'hiver. Nous aimions aussi le cinéma et il y avait deux salles en ville. C'était toujours des « histoires de cow-boys et d'Indiens ». Nous adorions aller danser. Il y avait une salle de danse dans presque chaque quartier de la ville. Les gars et les filles s'y retrouvaient surtout le samedi soir qui était toujours la soirée importante dans mon temps. Le samedi soir il y avait une danse et presque chaque salle appartenait à un groupe tel que l'I.O.D.E. ou le YMCA. Au son de la musique, nous dansions le swing, les valses, le fox trot, etc.

Étais-tu fier du Canada?

Je n'y pensais vraiment pas beaucoup. Dans mon temps, je ne crois pas que les gens y pensaient beaucoup. Dans les années 1930 quand j'ai grandi, c'était durant la Dépression et au cours des années de la Dépression, tout le monde se préoccupait de survivre. Bien des gens n'avaient pas de travail et leur principal intérêt était de trouver un emploi et de gagner quelques dollars pour se nourrir et aider leurs familles. Quant à la camaraderie, elle dépendait beaucoup de l'endroit où vous habitiez. Quelqu'un qui était du côté ouest était surnommé un « West-Sider » et ainsi de suite. Il existait toujours des rivalités urbaines entre nous. Nous étions plus fiers de notre quartier que d'être Canadiens.

Alors, tu t'es porté volontaire pour l'armée avant la guerre. Quel âge avais-tu?

Je me suis enrôlé en août 1939, à l'âge de 19 ans. Où j'habitais, il y avait un manège de l'autre côté de la rue. C'était un peloton de l'Artillerie royale canadienne. Il existait une unité qui s'appelait la 4e Batterie. Le peloton allait monter un camp à Halifax (Nouvelle-Écosse), à un endroit appelé Fort Sandwich. Tous mes amis voulaient y aller et nous passions notre temps aux abords du manège. Nous savions qu'ils allaient embaucher du personnel supplémentaire pour le camp. Nous y sommes restés, nous y sommes restés et nous y sommes restés jusqu'à ce que finalement on nous donne un uniforme et nous envoie à Halifax. On nous payait un dollar par jour et on nous hébergeait. Je considérais que c'était comme un emploi et une occasion de faire un voyage et de passer des vacances d'été. C'était bien.

Parle-moi de Fort Sandwich.

C'était toute une expérience, ma première fois loin de chez moi. J'y suis allé avec quelques copains et des gens que je ne connaissais pas. Nous sommes tous devenus de bon amis. J'avais un cousin sergent. Il m'a beaucoup aidé à devenir artilleur, en m'expliquant ce que je devais faire et comment m'y prendre.

Nous avons passé les deux dernières semaines d'août 1939 à Halifax et pendant que nous y étions, la menace d'une guerre s'est intensifiée. La première semaine, nous nous sommes bien amusés et nous nous sommes familiarisés avec les environs, surtout Herring Cove et Purcell's Cove. Nous obtenions notre laisser-passer pour la soirée et nous descendions à pied vers ces endroits, il y avait évidemment quelques filles par là.

C'est la deuxième semaine que le vrai plaisir a commencé. Nous nous sommes réveillés le premier samedi au camp. Fort Sandwich était une base importante et il y avait beaucoup de munitions dans les entrepôts. On nous a confié la tâche d'insérer les fusées dans les obus pour les gros canons du fort. Nous y avons travaillé jusqu'au milieu de la dernière semaine. Puis les gens du quartier général voulaient faire installer des canons à deux endroits dans le port d'Halifax. Le premier à l'île Georges et l'autre à l'île McNabs. Ils ont choisi deux groupes parmi les hommes avec lesquels je me trouvais et les ont envoyés à leurs postes. On m'a dépêché à l'île Georges avec un canon côtier de 12 livres. Nous avons installé le canon et nous l'avons pris en charge pendant trois jours. Puis on m'a renvoyé à Saint John et on m'y a enseigné comment assembler un canon, le charger et faire feu.

À l'époque, as-tu pensé que tu aurais l'occasion de charger ce canon et de faire feu pour te défendre?

C'était l'idée. Étant donné qu'Halifax était un port et une ville importante à l'époque, les autorités pensaient qu'elle serait une cible principale des Allemands si une attaque était en fait lancée sur la côte Est. Les Allemands, pensait-on, attaqueraient avec des sous-marins car Halifax était une grande base navale durant la Première Guerre mondiale et elle avait été entretenue jusqu'à mon séjour à cet endroit.

Parle-moi de la façon dont la tension au sujet de la guerre a monté. Comment les choses ont-elles changé quand tu as réalisé que la guerre pourrait être déclarée en Europe?

À mon poste, j'étais presque toujours certain qu'il y aurait une guerre parce que tout le monde parlait de l'invasion de la Pologne par l'Allemagne et de la menace et nous étions tous convaincus qu'il y aurait une guerre. Je n'ai jamais imaginé que j'irais en Europe, en fait je n'y pensais même pas. J'étais plus intéressé par l'apprentissage de l'art d'être soldat et je ne pensais pas au reste.

Dis-moi ce qu'il s'est passé quand tu es retourné à Saint John (Nouveau-Brunswick).

Nous sommes descendus au pas de marche jusqu'à l'arsenal de Saint John, puis on nous a répartis en différentes unités. Il existait trois batteries, « la 4e Batterie » à laquelle j'appartenais, la batterie de Saint John - « la 15e Batterie » et la « Batterie des projecteurs ». Nous utilisions les projecteurs comme sauvegarde en cas de bataille nocturne. Alors, me voilà simple soldat, de faction, au service des canons et j'apprenais à les charger et à faire feu. Nous gardions les canons et les munitions en bon état en cas de conflit.

Le 2 septembre 1939, un dimanche matin, nous étions à notre manège, assis dehors en attendant notre tour de garde. Nous avons alors entendu à la radio que l'Angleterre venait de déclarer la guerre à l'Allemagne. La guerre avait commencé.

Écoutais-tu beaucoup la radio?

Oui, je l'écoutais pas mal, pas tellement les nouvelles, mais j'aimais écouter les sports. J'écoutais un peu de nouvelles mais de toute façon, je savais ce qui se passait. J'étais soldat et je voulais savoir dans quoi nous nous embarquions.

Est-ce que la déclaration de la guerre t'a fait ressentir plus d'émotion pour ton travail?

Non, pas vraiment. Pour moi, c'était encore un emploi. Des gens arrivaient de tous les coins de la province du Nouveau-Brunswick pour s'enrôler dans l'armée et gagner une solde qui leur permettrait de nourrir leurs familles. La Dépression sévissait et il n'y avait pas de travail.

Quelle a été ta réaction lorsque la guerre a éclaté?

En vérité, je n'ai pas eu une réaction massive. Je m'y attendais et je me suis dit « Eh bien, je suis maintenant de la partie, aussi bien en tirer le meilleur parti ».

Comment tes parents ont-ils réagi?

Papa et maman n'aimaient pas que je sois dans l'armée. En fait, lorsque je suis revenu d'Halifax (Nouvelle-Écosse), ils s'attendaient à ce que je rentre à la maison en débarquant du bateau. Je crois qu'ils pensaient que je rentrerais tout simplement à la maison, que j'enlèverais mon uniforme et voilà tout. Ils ne m'ont jamais dit qu'ils voulaient que j'arrête, mais je pense que c'était le cas.

Parle-moi de la conscription.

En 1943, au moment où l'invasion se préparait, l'armée n'enrôlait pas tellement de recrues ou de volontaires nouveaux. Il lui fallait des personnes pour remplacer des gens comme moi qui avaient été dans l'armée et qui s'y connaissaient un peu, alors on nous a affectés à ce que l'on appelait les forces actives. Nous avons été placés dans des unités qui allaient combattre les Allemands. Il n'y avait pas de conscription à cette époque.

Parle-moi des médias (les journaux, la radio, les slogans).

Les principaux moyens de communication étaient les journaux et la radio; il y avait aussi les affiches et même des slogans. « A slip of the lip will sink ships » (un mot soufflé, un navire coulé) ou « un mot de trop, un vaisseau de moins ». Tout était censé être très secret, personne ne devait parler des navires qui quittaient le port, de ceux qui y entraient, de ce qu'il s'y passait ou de quand les unités étaient embarquées. Tout était supposé être « ultra-secret ».

Alors que la guerre commençait, le ministère canadien de la Défense nationale a immédiatement constitué un service de relations publiques par le truchement duquel tous les héros de la Première Guerre mondiale sillonnaient le pays en évoquant l'expérience que représente l'engagement dans l'armée et le caractère agréable de la vie dans l'armée, etc. L'objectif visé était d'accroître le nombre de soldats, et c'est ce qu'ils ont fait.

Revenons sur la chronologie. Quand as-tu été dans la 4e Batterie de Saint John?

Eh bien, c'était un lundi matin, le 3 septembre 1939, le lendemain du jour où la guerre a éclaté. On nous a embarqués sur des bateaux et emmené en dehors du port de Saint John dans un endroit appelé l'île Partridge. Nous avons été logés dans trois grands bâtiments qui servaient d'hôpital de quarantaine pour les immigrants arrivant au Canada. Une fois placés, on nous a donné nos fusils, nos uniformes, etc. et nous avons commencé à apprendre à nous en servir. Environ une semaine plus tard, ils ont débarqué deux canons de six pouces et deux projecteurs et nous avons entrepris de les monter; « la 4e Batterie » (la mienne) en servait un, « la 15e Batterie » (la batterie de Saint John) servait l'autre. « La Batterie des projecteurs » servait bien entendu les projecteurs.

Une fois le matériel monté et en service, nous avons commencé à apprendre à le manier et avons continué de le faire. J'ai passé la première année de la guerre sur l'île Partridge. Nous nous sommes ensuite installés à Saint John au Fort Dufferin qui possédait deux canons de campagne de 4,7 pouces; ma batterie servait les deux. L'année 1940 a connu un immense élan de recrutement à Saint John où des gens de toutes sortes se sont engagés. Ces nouvelles recrues servaient les canons au Fort Dufferin, mettaient les munitions dans les magasins et s'occupaient de connaître leur maniement.

À l'automne 1940, nous avons décidé de construire un fort plus grand au Fort Mispec, qui se situe à 10 ou 12 miles à l'est de la ville de Saint John. Nous y avons installé des canons côtiers de 7,5 pouces, les entrepreneurs avaient prévu dans ce fort de beaux emplacements pour gros canons. Ils ont affecté toutes les nouvelles recrues qu'ils avaient pour élargir la 4e Batterie.

En mai 1941, j'ai été envoyé à St. John's (Terre-Neuve). J'ai rejoint 38 autres personnes pour former la « 103e Batterie côtière » à Fort Amherst et au cap Spear (Terre-Neuve) dans la partie la plus orientale du Canada. J'ai monté un certain nombre de canons de 2,47 pouces et deux canons de 10 pouces au cap Spear, servis par la 4e Batterie élargie.

Les marines (américaine, britannique et canadienne) utilisaient Terre-Neuve comme dernier point d'arrêt avant de partir pour l'Europe, les navires de guerre y récupéraient les convois.

J'ai rencontré mon épouse à St. John's (Terre-Neuve) où je suis arrivé en mai 1941; je l'ai rencontrée en août 1941. Nous nous sommes fréquentés tandis que j'étais là-bas. Les habitants de St. John's étaient très accueillants, ils nous invitaient chez eux. Un soir donné, j'étais parti danser au YMCA avec un de mes amis et nous avons rencontré deux jeunes filles, nous leur avons proposé de les ramener chez elles, comme les garçons et les filles le faisaient à l'époque. Je lui ai demandé si je pouvais la revoir le lendemain soir et j'ai été invité chez elle. Je l'ai d'abord appréciée, puis aimée, et un jour je lui ai demandé de m'épouser; elle a accepté. Nous nous sommes mariés le 13 août 1942.

Que pensait-elle du fait que tu participais à l'effort de guerre?

Je crois qu'elle l'avait accepté comme un fait établi qui prendrait fin un jour prochain et on n'y pensait pas tellement. Elle n'y a donc pas tellement pensé.

Pendant la guerre, quelle information véhiculaient les médias?

Ils évoquaient bien entendu nos victoires, mais aussi les pertes subies et les décès. Comme dans toute autre affaire, les faits sont soit atténués, soit exagérés. Lorsque les forces gagnaient, la radio et les journaux en faisaient toute une histoire. En cas de défaite importante, on pouvait ne pas en entendre parlé avant un mois.

Tout était très secret. Tu vois, ce que les Allemands faisaient était très secret, nous ne savions jamais ce qu'ils faisaient avant que cela ne soit révélé par des espions et autres, et c'était pareil dans les forces actives. En cas de problème, les pays alliés n'en avaient pas connaissance avant que ce ne soit terminé.

La vie était-elle à peu près normale à St. John's (Terre-Neuve)?

Non. St. John's était un port de mer à la lisière de l'Amérique du Nord, on recourait au « camouflage des lumières », comme en Angleterre. Depuis mon arrivée en 1941 jusqu'à mon départ, je n'ai jamais vu une lumière dans St. John's. Étant la ville la plus orientale du Canada, les navires devaient y faire escale. Si elle avait été tant soit peu éclairée, l'ennemi aurait distingué les navires et les sous-marins auraient pu les torpiller.

Le camouflage des lumières : les habitants mettaient des volets à leurs fenêtres, éclairaient au minimum les lumières visibles de l'extérieur, ils peignaient même les phares de leurs voitures en noir (juste pour pouvoir encore voir la route).

La ville était en état de guerre et le port de St. John's aurait pu être bombardé à tout moment. Je n'étais pas tellement inquiet néanmoins, je n'y ai jamais vraiment tellement pensé. Une fois en particulier, tandis que nous servions les canons, une baleinière s'est engagée dans l'entrée du port et deux torpilles ont touché le port, l'une d'un côté et la seconde de l'autre côté. L'entrée du port était un passage étroit menant à un genre de bassin. Les torpilles n'étaient pas si terrifiantes que ça, cependant; nous nous attendions en quelque sorte à ce qu'un événement de ce type se produise. Si les Allemands avaient pu bloquer ce port en coulant un navire au milieu du passage étroit, il nous aurait été très difficile de continuer à protéger les convois des Allemands.

Revenons à l'histoire. Tu es reparti à Saint John (Nouveau-Brunswick) en novembre 1943, et ensuite?

Nous étions des hommes d'artillerie assurant la défense côtière, et des soldats servaient déjà les canons côtiers à Saint John. Nous nous sommes engagés dans le service actif. On nous a tous placés dans l'infanterie. Nous avons été formés au maniement des armes d'infanterie et à toutes les tâches d'un soldat d'infanterie. On nous a ensuite envoyés au quartier général du Nouveau-Brunswick à Fredericton pour recevoir une « instruction de base ». Nous avons appris à tirer au fusil et à manier une grenade, à faire presque tout ce que faisait un soldat. L'instruction de base était une nouveauté pour nous, une expérience où nous nous y connaissions peu; cela nous a pris huit semaines. Puis, nous sommes allés à Utopia où nous avons reçu une « instruction avancée ». Nous avons appris à utiliser les mitrailleuses, à repérer un ennemi et à l'attaquer. Ce n'était pas tellement difficile, il s'agissait juste d'apprendre un métier différent.

À ce moment-là, mes amis et moi étions devenu impatients de partir outre-mer. Nous voulions voir ce qu'il en était. Nous voulions partir à la guerre et y prendre part. Nous n'avions aucune idée de la « réalité » de la guerre outre-mer.

Connaissais-tu quelqu'un qui était parti outre-mer avant toi?

Oui, je connaissais beaucoup d'hommes partis avant moi. Ils se sont battus avant moi. Bon nombre d'entre eux sont allés en Italie en décembre 1942; ils étaient les premiers Canadiens à se battre pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Je voulais partir avec eux. Lorsque des amis partaient, j'étais plutôt en colère contre l'armée parce que je voulais être avec eux, avec mes amis. Je ne voulais pas être avec des inconnus. Je savais que j'allais avoir des ennuis et je voulais mes amis près de moi. J'ai eu la chance d'être avec eux jusqu'à la fin.

L'invasion a eu lieu en juin 1944, et avant cela, nous avons arrêté quatre semaines plus tôt l'instruction avancée. On nous a envoyés par train à Halifax (Nouvelle-Écosse), puis embarqués sur un bateau pour l'Angleterre. Quelle expérience! Mon premier voyage sur un grand bateau. Le danger d'être coulé était toujours présent. J'avais un peu peur, mais je me sentais bien. Les soldats étaient tout au fond du bateau. C'était une grosse coque creuse composée de différents compartiments, chacun étant fermé hermétiquement le soir. Nous étions tous sur le pont dans la journée, mais le soir, nous allions sous le niveau du pont et étions enfermés dans ces compartiments. Si le navire avait été torpillé, nous aurions été tués et nous le savions tous. Le navire était divisé en compartiments de sorte que si une partie était touchée, elle se remplissait d'eau et le navire n'était pas détruit intégralement. Ça rendait affreusement claustrophobe! Chaque fois que je devais descendre là-dessous, je ne le voulais pas mais je le devais. C'était juste un bon entraînement en vue des batailles, je devais aller à un endroit où je savais que je pouvais me faire tuer, mais je devais y aller. L'atmosphère était très grave, je dormais vraiment beaucoup, je faisais mes prières et j'espérais m'en sortir.

Où as-tu débarqué?

À Greenock, en Écosse. Le 15 juillet 1944.

Avant de continuer, que pensait ton épouse de tout cela?

Elle n'était pas très contente. J'avais une fille, Ruby, qui était née le 2 février 1943. Je n'avais pas envie de les quitter, et elles ne voulaient pas non plus que je m'en aille. Mais je devais partir accomplir mon travail, alors, je suis parti. Comme tous les pères et mères, les filles et les fils, et les épouses et les époux, personne ne voulait être séparé. II était difficile de voir les êtres chers s'en aller, et difficile de laisser des êtres chers derrière soi.

En Écosse, nous avons reçu du matériel tout neuf, avons fait quelques marches et sommes allés dans le nord de la France le 30 juillet 1944. Nous avions des tenues de combat antigaz que nous portions seulement lorsque nous pensions qu'une attaque au gaz était à craindre; nous avions besoin d'une protection pour notre visage et notre corps. Nous étions munis de fusils et de grenades que nous avions appris à utiliser, à nettoyer, etc. Nous subissions de lourdes pertes sur les plages de Normandie à cette époque-là.

Nous avons débarqué sur les quais construits pour nous et nous sommes allés au sommet d'une colline juste à côté de la plage. L'après-midi même de notre arrivée, j'ai levé la tête par hasard et j'ai vu deux avions tournant au-dessus de nous. En observant de plus près, j'ai remarqué que l'un était allemand et l'autre britannique; ils piquaient et se livraient un combat aérien. L'avion britannique a fini par abattre l'avion allemand. Je n'étais pas certain de ce que j'en pensais; après avoir vu tant de films où des scènes de ce genre se produisent, je ne pouvais pas en croire mes yeux. C'était étonnant à quel point cela semblait facile; ils volaient dans le ciel et subitement, voilà cet avion en train de tomber, laissant derrière lui un sillage de fumée. J'étais très content de pouvoir assister à cet événement, l'Allemand avait été abattu.

Le lendemain matin, on nous a rassemblés, embarqués dans des camions et emmenés dans une ville du nom de Caen. Elle avait été détruite par un bombardement, il ne restait rien qu'un tas de gravats. Nous avons traversé les deux côtés de la ville; avant de rejoindre une unité, il fallait aller dans deux endroits, l'échelon B et l'échelon A. L'échelon B était l'endroit où l'on récupérait son matériel et l'équipement nécessaire pour combattre. L'échelon A était celui où les hommes étaient répartis dans les unités qui avaient besoin des recrues, car des soldats mouraient dans chaque unité et il en fallait davantage. Un soldat n'était jamais envoyé seul dans une unité, mais toujours à deux. On vous attribuait toujours un camarade.

J'ai abouti dans un champ, l'endroit le plus proche d'où nous étions s'appelait Orne; là, j'ai rencontré un compatriote qui était né à Chipman (Nouveau-Brunswick) et qui avait emménagé là avant le début de la guerre. Nous lui avons juste demandé ce qu'il se passait et avons poursuivi notre chemin. Nous ne disposions pas de beaucoup de temps, des événements se produisaient autour de nous et nous devions continuer d'avancer. Si nous nous arrêtions trop longtemps dans quelque rassemblement que ce soit, nous aurions été repérés par des espions. Ils auraient vu que nous étions des soldats et auraient immédiatement demandé à l'artillerie de faire feu sur nous. Nous ne restions jamais en place trop longtemps à un même endroit.

Nous avons passé la nuit à Orne. Le lendemain matin, nous avons marché à destination de Falaise où une bataille avait eu lieu, mais lorsque nous y sommes arrivés, tout était fini.

La première fois que l'on m'a tiré dessus, eh bien, à la minute même où vous apparaissiez dans le champ de vision des Allemands, ils ouvraient le feu sur vous avec une mitrailleuse. Au moment même où vous entendiez le tir, vous touchiez la poussière, vous tombiez à terre. Dès que je touchais le sol, j'étais le genre d'homme à me creuser un petit renfoncement qui avait pour effet de baisser mon corps et de le soustraire à la vue de l'ennemi, si je le pouvais. C'est ce que nous faisions, nous restions allongés là jusqu'à ce que l'officier agite son bras, puis nous nous levions et filions comme le vent vers l'endroit qu'il nous indiquait. Quand nous y arrivions, nous regardions si nous pouvions tirer sur quelqu'un. La plupart du temps, lorsque nous arrivions là où l'officier nous avait ordonné de nous rendre, nous pouvions voir certains soldats ennemis marchant ou courant à travers le champ. J'essayais de leur tirer dessus dans la mesure du possible. Voilà en quoi consistait une bataille. J'éprouvais des réserves à leur tirer dessus, je n'aimais pas tuer quiconque, je ne pensais pas à tuer quelqu'un, je me disais souvent que si je pénétrais dans un bâtiment ou autre, j'aurais à le faire. Je n'aimais pas l'idée de tuer un être humain.

Dans le courant de la guerre, nous avons dû entrer dans des villes et villages et les nettoyer. Nous nous approchions d'abord sans bruit du bâtiment de ferme que l'on savait occupé par les Allemands, car nous vérifiions qu'il était bien occupé. Il y avait en règle générale des poches de soldats qui repéraient les Allemands dans ces bâtiments de ferme. Nous savions donc que nous y trouverions un peloton. Tout d'abord, nous nous approchions en silence d'une porte ou d'une fenêtre et lancions une grenade à l'intérieur. Dès que la grenade partait, nous commencions à arroser l'endroit de tir de mitrailleuse et de fusil. Lorsque nous avions dégagé cette partie du bâtiment, nous fouillions le reste du bâtiment en procédant de la même manière. Je n'ai jamais tué personne dans un bâtiment, parce qu'une fois que j'étais à l'intérieur, ils se rendaient. Je hurlais (inaudible), ce qui signifie « rendez-vous » en allemand; neuf fois sur dix, ils le faisaient.

C'était angoissant de nettoyer les lieux, je n'ai pas honte de dire que j'avais une peur bleue chaque fois que je le faisais. Mais, dans le cas contraire, on m'aurait taxé de lâche et c'est une étiquette que personne ne souhaite porter, alors je m'obligeais à y aller. C'était la raison pour laquelle nous étions des soldats au champ de bataille, nous pouvions nous obliger à y aller et quel que fut l'importance du danger couru, nous y allions de toute façon, et nous nous remettions à Dieu pour qu'il prenne soin de nous.

Maintenant, revenons en France.

Il y avait ce qu'on appelait « les ports de la Manche » que les Anglais devaient faire libérer afin que les alliés puissent débarquer leurs troupes et leur ravitaillement sur le continent sans avoir à passer par la plage. Ils avaient besoin d'un port maritime comme terrain de débarquement du ravitaillement et tout ce qui s'ensuit. Nous avons donc fait demi-tour pour revenir vers la côte. La première ville que nous avons rejointe a été Calais située juste en face de Douvres en Angleterre. Nous avons attaqué Calais dans l'après-midi et avons couru à travers le champ de bataille sous les tirs des mitrailleuses. Nous avons couru jusqu'à trouver un endroit derrière lequel nous cacher et occuper une position de tir pour répliquer. Nous avons donc continué ainsi à traverser le champ à saute-mouton. Un bataillon d'infanterie se compose de trois pelotons, et nous avancions à saute-mouton. Une équipe disait, « je vais prendre cet angle-là » et l'autre répondait, « je prends le suivant », et ainsi de suite. Le premier était toujours le dernier, il y en avait toujours deux en réserve. Même les compagnies et les bataillons importants procédaient exactement pareil, seulement à une plus grande échelle. Lorsque je servais dans un peloton de la compagnie C, la compagnie B se trouvait juste à côté de nous et avançait exactement comme nous, toujours par petites étapes. Nous recevions le soutien de l'artillerie et de la force aérienne, ce qui nous a beaucoup aidé. Les avions Typhoon sont arrivés à point nommé lorsque nous sommes tombés sur une situation de laquelle nous ne pouvions nous sortir, ils lançaient des roquettes sur les Allemands, ce qui les chassait ou les dérangeait tellement que nous avions l'occasion de frapper.

Nous avons nettoyé ces ports peu profonds que les alliés voulaient, puis nous avons remonté la côte vers le nord. Nous livrions bataille ici et là tout au long de la côte française et en Belgique; à ce moment-là, nous étions à l'automne 1944. Nous nous sommes arrêtés à Gand (Belgique), avons reçu notre équipement d'hiver, des sous-vêtements chauds, des bottes, des manteaux, etc. Nous avons marché de Gand au canal Léopold où nous sommes arrivés quelques jours plus tard. Puis, on a entendu dire que l'équipe à laquelle j'appartenais allait traverser ce canal pour atteindre Esteberry. Pour ce faire, ils utilisaient des lance-flammes et des embarcations à pagaies, et nous avons traversé ce jour-là. Nous n'avons pas suivi plus loin les Britanniques, nous sommes restés en arrière de l'autre côté du canal au cas où ils auraient besoin de battre en retraite. Lorsque les Britanniques ont consolidé une position, nous les avons suivi; c'était un endroit très boueux, détrempé et dévasté qui comptait quelques fermes dispersées.

Les canons côtiers qui défendaient le port d'Ostende étaient les installations les plus importantes. L'idée consistait à ouvrir le port afin de ravitailler plus rapidement les troupes qui se trouvaient déjà en Allemagne, car nous les ravitaillions depuis un point reculé en France. Nous y sommes allés et avons combattu pendant quelques semaines, une bataille vraiment terrible, mais le bon côté était que le terrain était si boueux, lorsque les obus tombaient au sol, seule de la boue volait, et pas tellement d'éclats. La plupart des soldats blessés l'ont été par balles.

Cette semaine-là, je sortais d'un fossé et allais sous le feu, je devais sauter pour retourner dans le fossé dont l'eau m'arrivait au cou et rester là, avançant lentement jusqu'à tomber sur quelqu'un qui me tirait dessus, lui demander de se rendre ou faire feu. Cela a duré deux semaines. Nous n'avons jamais dormi dans les tranchées, nous dormions dans des fermes la nuit. Nous étions très occupés mais pas toujours autant que les autres régiments dans l'armée. Une grande bataille a eu lieu, « la bataille de la chaussée », pour accéder à l'une des îles où se dressaient toutes les fortifications, quatre canons qui protégeaient le port d'Ostende.

La bataille a principalement consisté à faire sortir les troupes allemandes de ces ports afin que les alliés puissent draguer les chenaux menant aux ports pour faire entrer les grands navires et les décharger. Les ports sont toujours restés intacts, il avait fallu deux ou trois semaines pour les prendre mais une fois chose faite, nous avons commencé à recevoir des ravitaillements et c'est à ce moment-là que la guerre a tourné en notre faveur.

Pendant ce temps, les troupes américaines avaient parachuté des hommes au coeur de l'Allemagne. Ils se sont posés à Arnhem (Allemagne) où ils se sont battus pendant très longtemps. Leur objectif était de s'emparer des ponts et d'occuper les Allemands pour permettre aux troupes britanniques d'arriver. Le général allemand était un homme assez intelligent, il savait ce qui se passait et il a ralenti les troupes britanniques qui n'ont pu arriver à temps, et les Allemands ont capturé un nombre énorme de prisonniers américains. Entre-temps, nous avons rejoint l'armée britannique et nous nous sommes rendus aussi loin que possible, à savoir jusqu'à Arnhem, et nous avons pris l'un des ponts. Nous n'avons pas pris l'autre car les Allemands essayaient de le faire exploser et nous, de les arrêter. Il était fondamental pour traverser le Rhin en grande force, nous y sommes restés pendant quelques semaines.

C'était une période où nous étions de garde et où nous assistions à des spectacles que les unités britanniques chargées du divertissement faisaient venir. Nous avons eu des vêtements neufs, nous nous sommes lavés, etc. Nous ne pouvions nous laver que toutes les deux ou trois semaines et nous ne recevions des vêtements neufs qu'après quelques mois. Nous sommes restés là et y avons passé Noël et le Nouvel An. En février, nous nous sommes à nouveau organisés et nous sommes dirigés droit vers le Rhin. Les Allemands ne nous ont pas arrêtés. Nous avons passé une autre semaine à faire la garde le long du Rhin. C'était une semaine tranquille, le Rhin est un fleuve très large qui était défendu sur l'autre rive par des fortifications. Une nuit, ils ont décidé de nous ramener vers l'arrière, nous sommes passés par Kiev et avons continué de progresser vers Emmerick, où nous sommes restés assez longtemps, peut-être deux semaines.

Il a ensuite été décidé que nous traverserions le Rhin, on nous a donc retirés d'Emmerick et envoyés à Essen. La 52e Division britannique a traversé le Rhin, et nous l'avons accompagnée. Lorsque nous avons atteint l'autre rive, la 52e était bloquée; elle n'arrivait pas à franchir l'armée allemande. Le lendemain, les Britanniques ont décidé de nous impliquer; nous avons accouru et nous nous sommes emparés de quelques fermes. La 52e Division a finalement percé la défense allemande, ce qui était essentiel pour atteindre Hanovre. À partir de ce moment, ça a été vraiment facile, nous n'avons eu à livrer que quelques batailles.

Pour la plupart de ces batailles, il s'agissait d'aller dans un grand champ, aussi grand qu'un terrain de football, de le traverser sans aucune protection et de simplement courir en ligne droite jusqu'à ce que nous soyons arrêtés. Les Allemands ont attendu que nous soyons à mi-distance pour ouvrir ensuite le feu des mitrailleuses et autres. Nous avons dû descendre et nous sommes restés là de 10 h à 16 h, moment où le régiment français qui se trouvait sur notre gauche est finalement venu nous relever. Nous nous sommes réunis dans une ferme où nous avons mangé et dormi. Tout brûlait autour de nous, nous nous serions cru en plein jour, tout le monde pouvait se voir. Le jour suivant, nous nous sommes levés et avons marché; nous avions l'impression de sans cesse marcher. Nous étions en avril 1945, nous nous dirigions vers Emden qui était une base de sous-marins. On nous avait dit que 25 000 soldats allemands y étaient repliés sans possibilité d'en sortir. Ils s'imaginaient que la bataille pour les sortir serait vraiment très rude. À mesure que les mois passaient, nous n'avons pas combattu bien plus car les Allemands faisaient feu sur nous, puis se retournaient et couraient; ils battaient en retraite.

Si les Allemands voulaient se battre, ils étaient de magnifiques combattants. Nous avons continué jusqu'au 3 ou 4 mai 1945. Nous avons reçu l'ordre de ne tirer sur aucun d'eux, de ne pas les empêcher de faire exploser des ponts, de ne les arrêter en rien. Si les Allemands voulaient détruire les ponts, il fallait les laisser faire, et ne pas riposter; nous les poursuivions simplement et c'était la fin. La guerre s'est terminée le 4 mai pour moi, jour où l'on m'a envoyé à Manchester en congé de décès pendant quatre semaines (pour deuil, mon père venait de décéder). Lorsque je suis revenu, la guerre était complètement finie, mon régiment gardait 40 000 soldats allemands, c'était sans souci parce que de toute façon, ils n'allaient nulle part. Je fus l'un des premiers à rentrer au pays, je n'ai attendu que quelques semaines avant d'être envoyé chez moi.

Parle-moi de tes officiers.

Ils étaient accommodants, ils ne nous ont jamais ennuyés. Ils recevaient leurs ordres du quartier général et nous les transmettaient. Nous obéissions toujours et ils menaient toujours les batailles. Ils étaient en plein coeur de la bataille, tout à fait à la manière d'un quart au football.

N'as-tu jamais rencontré une situation de désobéissance à un ordre donné par un officier?

Oui, une fois. Nous étions dix soldats et nous avions reçu l'ordre d'assurer la garde une nuit, et cela faisait bon nombre de nuits que nous étions de quart. Nous avons décidé que nous ne devions pas, ou n'avions pas besoin d'y aller, car ce n'était pas notre tour, nous avons simplement refusé de prendre la garde. Alors, ils ont appelé l'officier, lui ont expliqué et il nous a tous mis en état d'arrestation. Le lendemain matin, le major est venu, nous a raconté ce que nous avions fait et nous a informé des conséquences à prévoir. Il nous a dit que nous aurions mieux fait d'y réfléchir parce que nous allions avoir de graves ennuis. L'après-midi même, ils ont demandé un grand défilé général au cours duquel toutes les unités de notre division étaient alignées dans un grand champ. On nous a raconté une histoire à propos de traverser le Rhin, on nous a dit qu'avant la fin de cette traversée le gouvernement canadien s'attendait à ce que nous soyons tous morts. Nous savions que nous serions en danger, alors nous avons essayé de ne pas nous laisser abattre, certains d'entre nous étaient effrayés, j'avais un peu peur, mais j'étais quand même très inquiet de la durée d'emprisonnement que j'aurais pu subir pour avoir désobéi à un ordre, mais ils ont laissé tomber cette idée. Ils ont probablement pensé que je mourrais le lendemain de toute façon.

La Deuxième Guerre mondiale a-t-elle changé ta vision du monde?

Non, pas du tout. Elle ne m'a jamais fait changer d'avis sur quoi que ce soit. Je suis parti pour accomplir un travail et être tué ou non était un aspect à prendre en compte; j'ai eu la chance de rester en vie, c'est ainsi que je le considérais. « J'avais de la chance d'être en vie. » Il se produisait tant d'événements là-bas, tout pouvait arriver n'importe quand, et vous pouviez perdre la vie. Cela ne me dérangeait vraiment pas tant que ça.

Parle-moi de l'armée allemande.

Nous prenions un groupe de prisonniers, nous désignions deux ou trois soldats pour les surveiller et nous les renvoyions à la fin de la guerre. Nous n'avions rien contre eux en tant qu'hommes, certains étaient amicaux, d'autres ne disaient pas un mot. Je parie que c'est parce qu'ils n'avaient aucune idée de ce que nous disions et nous, nous ne comprenions absolument rien non plus. Je pense que les Allemands étaient de bons soldats, je pense que leurs commandants ont été trompés par le service de renseignement britannique, qui les ont amenés à croire que tel ou tel événement allait se produire, quand en réalité c'était faux. Je crois donc qu'ils ont été conduits à leur propre défaite. S'agissant de l'homme, il était juste un autre être humain.

COMMENTAIRES SUPPLÉMENTAIRES

L'holocauste

Je n'ai jamais été au courant de l'holocauste. Nous n'avons jamais eu de bons journaux, le seul que nous avions s'appelait The Stars and Stripes. Ses articles annonçaient qui était populaire parmi les hommes de troupes, le décès d'untel. Il n'y a jamais été question de l'holocauste, ce journal était mon unique source d'information. L'holocauste avait lieu dans le sud, nos opérations se déroulaient dans le nord, nous n'en avons jamais rien vu.

La population locale

Lorsque nous dormions dans une ferme, nous envoyions les gens à l'arrière de la ligne, où ils étaient en sécurité. Quand nous partions, nous les laissions revenir pour reprendre une vie normale.

Les alliés

Nous avons combattu sous le Union Jack. C'était notre drapeau à l'époque et nous faisions partie de l'Armée britannique. C'est du moins ce que je pensais. Les Britanniques estimaient que nous étions bon comme du bon pain, nous ne l'avons entendu dire qu'après la guerre. Je trouvais que les Britanniques étaient bien et nous savions tous que les Américains brassaient de l'air. Les Britanniques étaient terre à terre, exactement comme nous.

De retour au pays

Je suis rentré le 15 septembre 1945. Rien de l'Europe ne me manquait. On nous avait dit de nous signaler à notre quartier général à Fredericton (Nouveau-Brunswick), ce que j'ai fait. On nous a accordé une permission et lorsqu'elle a échu, mes amis et moi avons tous été libérés. J'ai tout de suite repris mon travail de manutentionnaire de fret pour le Canadien Pacifique. Aucun problème.

Je n'ai pas connu de difficultés importantes à mon retour. Tout s'est plutôt bien passé. Il y avait beaucoup de travail. Tout le monde pouvait en trouver. En 1948, j'ai obtenu un travail au service d'incendie de la ville de Saint John et j'y suis resté toute ma vie.

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