Frances Carroll, McAdam
Ce récit est soumis par Mary Scott du Tribunal des anciens combattants à Charlottetown. Son histoire parle de sa mère, Frances Carroll.
« Ma mère, qui a aujourd'hui presque 80 ans, rencontra mon père, l'épousa et eut son premier enfant durant la Seconde Guerre mondiale. Cette période fertile en événements de 1939 à 1945 inclut non seulement ces trois grandes célébrations de son existence, mais ces années furent également les plus occupées, les plus prospères et les plus émouvantes pour le petit village de McAdam, au Nouveau-Brunswick, où ma mère avait toujours vécu et où elle demeure encore à l'heure actuelle.
McAdam était relié au monde extérieur par de nombreuses lignes ferroviaires. Le village était divisé par quatre séries de voies ferrées, qui constituaient des artères de vie, « pompant le sang de la collectivité ». Le chemin de fer avait des répercussions sur la vie de tous, soit plus de 700 hommes, et durant les années de guerre, les femmes travaillaient dans les ateliers très occupés et pour les chemins de fer; elles assuraient l'entretien des trains de passagers dont le nombre était supérieur à dix, qui se rendaient à Woodstock, St. Stephen, Moncton, Saint John, Montréal, Boston et qui nous reliaient à la côte Est et à la côte Ouest.
Durant ces années, des trains transportant des milliers de jeunes hommes en partance pour l'outre-mer traversaient fréquemment le village et s'arrêtaient brièvement dans la magnifique gare en granit, qui est aujourd'hui un lieu historique national. Si cette structure, semblable à un château avait pu s'imprégner de l'émotion de la population durant ces années de guerre, je suis certaine que ses murs de pierre, si usés par la pluie et les conditions atmosphériques, auraient été sans conteste érodés par les larmes.
Durant les journées froides de l'automne 1940, ma mère me relata une histoire qui demeure encore extrêmement fraîche et précise dans ma mémoire. Encore jeune femme, elle assistait à un événement social en soirée, organisé par l'Anglican Young Peoples Association à l'église St. George. Avant la fin de la réunion, un résident de la collectivité interrompit l'assistance pour annoncer l'arrivée imminente d'un train de troupes. Il demanda à tous de se joindre au reste de la population pour une cérémonie d'adieu à ces hommes en uniforme, une tradition en temps de guerre. Le train devait arriver aux environs de 9 h. On ne donnait jamais avec exactitude l'heure d'arrivée des trains de troupes, de peur du sabotage ou de l'espionnage.
Ma mère et ses amis se rendirent à pied à la gare. Les environs étaient encombrés d'une multitude de voitures et de camions et une foule imposante était réunie. Nombre de personnes provenant de la campagne voisine et venant d'aussi loin que St.Stephen étaient alignées le long du quai pour dire « au revoir » et « bonne chance » aux maris, aux fils et aux êtres aimés. Ma mère se joignit à la foule avec une amie dont l'amoureux était à bord du train. Ce train de troupes était long, soit onze ou douze wagons de soixante passagers, soit pratiquement sept cent jeunes hommes en partance pour Halifax où ils devaient embarquer à bord d'un navire pour rallier l'outre-mer.
Elle se rappelle du bruit et de l'agitation, de la fumée et des cendres de charbon, de cette mer de sourires, de ces visages remplis d'espoir et de goût de l'aventure. Ils se penchaient aux fenêtres, lançant des insignes aux êtres chers comme aux inconnus. Ma mère se rappelle de l'agitation et de l'allégresse, des rires, de la gaieté et des acclamations.
Lorsque le train se mit en route, cette foule de soldats entonna un chant de guerre populaire, « The Beer Barrel Polka ». Le train s'éloigna lentement avec le bruit caractéristique que font les roues sur les rails, il devint de plus en plus petit et les voix se perdirent dans le lointain. Il ne resta plus comme souvenir qu'une fine traînée de fumée.
Ils étaient partis, et nombre d'entre eux ne revinrent jamais. Ma mère m'a raconté qu'elle ne pouvait plus entendre cette chanson sans se rappeler le passage de ce train bien spécial. Et elle se mit à pleurer. »
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