Les souffrances de la guerre :
Histoire d'un jeune aviateur de
Charlottetown
Ce récit a été soumis par Glady (Murnaghan) MacKay de l'administration centrale à Charlottetown. Elle se démarque des histoires relatées par nos femmes, mais je suis sûr que vous allez l'apprécier.
Il était tard cette nuit du 8 octobre 1944 et mon grand-père William J. (Will) Murnaghan travaillait comme gardien de nuit sur le vieux quai Prince Street à Charlottetown. La nuit était calme et froide et aucun bateau ne manoeuvrait dans le port. Will avait un fils, B. Roy, sergent-major dans l'armée, qui était posté à Halifax; il ne pouvait être envoyé en mission outre-mer, étant donné que sa vue était mauvaise. Un autre de ses fils, Henry Allan, avait quitté l'université pour s'enrôler dans l'armée de l'air et il avait été envoyé en mission outre-mer. Will dormait. Tout d'un coup, il entendit les cris de son fils de 21ans l'appelant «Pop, Pop» (tous les enfants l'appelait Pop). Il savait que c'était Henry. Il fixa l'horloge sur le mur. Il ignorait ce que cela signifiait, mais il avait peur pour son fils.
Après la fin de son quart de travail, Will rentra à la maison du 59, rue Dorchester, et informa sa femme Ida, ses fils Albert et Ivan, et ses filles Mary, Alice et Eleanor de l'incident. Il marcha jusqu'au calendrier installé sur le mur et encercla le chiffre 8, puis inscrit l'heure à laquelle il avait entendu l'appel d'Henry.
Ils prièrent, attendirent dans l'inquiétude et prièrent encore, et le 10 octobre 1944 ou aux environs de cette date, alors qu'ils étaient assis sur les marches situées à l'avant de la maison, ils virent Billy Griffin tourner le coin de la rue sur sa bicyclette. Billy travaillait pour le bureau du télégraphe. Ils l'avaient observé en silence durant des jours livrer des télégrammes à leurs voisins; il n'avait jamais arrêté chez eux. Ce jour était différent. Il venait livrer le télégramme tant redouté. Toutefois, heureusement, leurs prières avaient été exaucées. Henry était vivant mais il avait été gravement blessé le 8 octobre 1944. La date et l'heure coïncidaient avec l'heure à laquelle mon grand-père avait entendu l'appel d'Henry.
Quatre ou cinq jours plus tard, le 15 octobre 1944, le ministère de la Défense nationale fit parvenir un autre télégramme précisant que leur fils, Henry, avait été retiré de la liste des «blessés graves» pour être inscrit sur la liste des « blessés sérieusement ». Le Ministère informait M. et Mme Murnaghan qu'au fur et à mesure que la condition de leur fils s'améliorerait, ils en seraient informés.
Henry et trois de ses camarades, dont un certain MacDonald de Georgetown, Île-du-Prince-Édouard, étaient occupés à transférer les munitions de la réserve jusqu'à la batterie antichar. La grande porte de la réserve était ouverte, et l'un des hommes attrapa l'une des extrémités de la caisse et Henry l'autre. Ils se dirigèrent alors vers la batterie, puis, soudainement, ils furent frappés par un tir d'artillerie. L'homme qui tenait le devant de la caisse fut tué et Henry fut sérieusement blessé au côté droit. Il dut son salut uniquement au fait qu'il portait une ceinture à porte-monnaie et que l'éclat se logea dans la ceinture et joua un rôle de colmatage, l'empêchant de se vider de son sang. Son côté gauche était abrité par la porte de la réserve, ce qui le sauva. Henry était en état de choc. Il se leva et commença à courir vers l'ennemi. Il y avait une autre réserve à peu de distance, où tentaient de se reposer quatre autres hommes, dans le but de prendre la relève par la suite. Ils entendirent la fusillade et se levèrent rapidement; un certain MacLean de Cap Breton, Nouvelle-Écosse, vit Henry se diriger vers l'ennemi; il courut et le rattrapa, puis il commença à le traîner derrière lui jusqu'à la réserve. Ils étaient presque rendus à destination lorsqu'Henry reçut une balle dans le dos.
Un dénommé Ireland était le chef de l'escadron dont faisait partie Henry. Peut-être ne réalisa-t-il pas la gravité des blessures, ou peut-être que oui, étant donné qu'il ne cessait de répéter qu'il voulait qu'Henry réintègre son escadron lorsqu'il serait remis sur pied. Henry fut pris en charge par les services ambulanciers, puis il fut transféré à l'hôpital d'Anvers. Il souffrait d'une fracture ouverte de l'humérus droit et d'une lésion du nerf radial, ainsi que de blessures d'arme à feu à l'abdomen; son intestin droit était coupé en deux et la couronne de l'os de sa hanche droite avait été arrachée. Il avait également des blessures causées par des éclats à la poitrine, ainsi qu'à la main et au bras droits, et sur tout le côté droit du corps. Il subit une cycostomie de l'intestin le 9 octobre 1944.
Pour faire faire de l'exercice à son bras et à sa main, on lui remit un cadre à base de fil de fer et il dut prendre de la laine qu'il accrocha au cadre comme s'il fabriquait un matelas, mais il n'avait pas de tissu, aussi il est difficile de visualiser comment le tout fonctionnait. L'appareil amélior la mobilité de son bras et de sa main, mais son bras avait été raccourci par l'éclat. Il fabriqua de nombreuses housses de coussins au moyen de cette méthode et continua à le faire une fois rentré à la maison. J'en avais trois à la maison et je suis certaine que si je cherchais, j'en retrouverais un. Il écrasait également une balle de tennis pour renforcer son poignet.
Il fut transféré au Royaume-Uni à bord d'un navire-hôpital le 12 février 1945. Sa soeur, Mary et son mari vivaient en Angleterre, mais Mary était enceinte et elle attrapa la fièvre rhumatismale puis fut rapatriée au Canada. Son mari, Dennis Pilcher, séjournait en Angleterre et il assura les visites à l'hôpital.
Le grand jour arriva enfin. Henry fut embarqué à bord d'un navire-hôpital avec Daniel J. MacDonald et ils appareillèrent pour le Canada. Il arriva à Halifax, Nouvelle-Écosse, en avril 1945 où il fut examiné puis transféré à l'hôpital militaire de Debert en Nouvelle-Écosse. La blessure à son côté droit fut enfin fermée grâce à une opération chirurgicale. Il demeura sur place jusqu'à ce qu'il soit libéré en septembre 1945. La douleur n'avait pas disparu. Il entra à l'hôpital de Charlottetown le 10 septembre 1945; il allait y séjourner en permanence durant de nombreuses années. Il se trouve que l'éclat avait provoqué une infection qui avait elle-même provoqué des cloques aussi grosses que des prunes; une hernie se développa à proximité de la cicatrice de la cycostomie. Il fallut appliquer des compresses chaudes pour tenter de drainer l'infection.
Henry fréquentait une fille, Catherine Lee, qu'il avait connue avant la guerre. Henry et Catherine se marièrent le 13 février 1947 et ils eurent quatre enfants Lee, Margaret, Roy et Maureen. Maureen était le prénom d'une infirmière de l'hôpital de Charlottetown qui avait pris soin de lui.
Bien entendu, il continua à éprouver des problèmes de santé et des problèmes physiques. Il n'avait pas le droit de soulever des objets lourds; le fonctionnement de sa main droite était déficient et son bras droit n'était pas suffisamment flexible depuis que l'éclat avait pénétré dans son coude. En février 1952, il subit sa première opération dans le but de réparer la région abdominale. Il demeura à l'hôpital jusqu'en mai de la même année. L'opération fut un échec, étant donné qu'il n'y avait pas suffisamment de tissu dans l'abdomen pour recouvrir son estomac de manière à le maintenir en place. Plus tard, au cours de l'automne ou de l'hiver de la même année, Henry, une fois de plus, dut se rendre à l'hôpital. Il ne pouvait manger sans que son estomac réagisse et, bien entendu, sans souffrir de l'intestin qui avait été sectionné en deux. Des greffons de peau furent prélevés de sa hanche et la peau fut utilisée pour constituer une bande de fixation susceptible de maintenir son estomac en place. Durant toutes ces épreuves, Henry demeura très positif et il avait toujours le sourire tout en ayant un bon mot pour tous ceux qu'il rencontrait.
Il semblait que le fait de se rendre à l'hôpital avait fini par faire partie intégrante de sa vie. Je ne l'ai jamais entendu se plaindre et, pour être honnête, je ne l'ai jamais entendu parler des jours de guerre ou de ses malaises.
Le frère d'Henry, Roy, ouvrit une entreprise, The Island Typewriter Company. Ils collaborèrent jusqu'à la mort prématurée de Roy à l'âge de 33 ans, le 15 juillet 1948. Roy était traité pour une maladie des reins et il prenait des médicaments, l'un devant être pris dans un premier temps et l'autre, l'antidote, devant être pris une demi-heure après l'ingestion du premier. Il y eut un manque de communication entre le médecin et le pharmacien. Roy ne prit pas l'antidote à temps et il décéda. Henry ne fut pas en mesure de s'occuper très longtemps de l'imprimerie, étant donné qu'il ne pouvait soulever d'objets lourds. Par la suite, il obtint un emploi au service des postes où il gravit les échelons pour devenir adjoint au maître de poste, fonction qu'il assuma jusqu'à sa retraite.
En dépit de toutes les épreuves qu'il avait dû traverser, le 16 mars 1962, un autre malheur s'abattit sur lui; son fils le plus âgé, Lee, mourut à l'âge de 14 ans de la leucémie, au terme d'une longue maladie.
Henry tomba malade en 1983 et on diagnostiqua un cancer du côlon. Il garda le moral et souhaita demeurer chez lui. Il succomba des suites de la maladie le 24 avril 1984, le lendemain de son 60e anniversaire.
Son fils Roy le rejoignit le 4 juillet 1993, le lendemain de son 43e anniversaire, victime d'un accident de la route.
C'est avec fierté et tristesse que je relate les supplices endurés par mon oncle Henry durant la guerre. Il laisse derrière lui sa veuve, Catherine, qui vit à Charlottetown, sa fille, Margaret, qui vit au Nouveau-Brunswick et son enfant la plus jeune, Maureen, qui réside à Charlottetown.
Je suis également très fière de son frère, Roy, qui accomplit parfaitement sa mission au sein des Forces canadiennes. Mon seul regret est de n'avoir jamais parlé à Henry de la guerre et de n'avoir jamais connu mon oncle Roy. Roy laissa dans le deuil sa femme, Alma et ses enfants, Joyce Robbins, Marina Webster, William Roy Murnaghan, Patricia Kelly et Eileen McCabe. Ses quatre filles résident à l'Île-du-Prince-Édouard et son fils Bill vit à Toronto, en Ontario.
Je suis fière d'avoir eu la possibilité de relater l'histoire de mon oncle telle qu'elle m'a été contée par sa veuve Kay, son frère, Albert et sa soeur Eleanor. Kay apprit l'histoire d'Henry essentiellement à l'occasion des cauchemars qui le hantèrent durant de nombreuses années.
Voici deux avis qui furent publiés dans le quotidien local The Guardian:
«Blessé le 8 octobre - Avis officiel reçu hier par M. et Mme William Murnaghan, du 59,rue Dorchester, que leur fils, l'artilleur Henry A. Murnaghan a été blessé au combat en Belgique le 8 octobre. Henry A. Murnaghan s'est enrôlé le 11 mars 1943 et il a rallié l'outre-mer en août suivant. Il a trois frères: le caporal Roy Murnaghan à Halifax et Albert et Ivan à Charlottetown; il a également trois soeurs: Mme James Smith, de Charlottetown, M. Dennis Pilcher, de Charlottetown et Eleanor qui réside chez ses parents.»
«La condition du blessé s'améliore - M. et Mme William Murnaghan, 59, rue Dorchester, ont reçu hier soir un télégramme du ministère de la Défense nationale les informant que leur fils, Henry Allen Murnaghan, blessé en Belgique le 8 octobre, avait été rayé de la liste des « blessés graves », pour être inscrit sur la liste des « blessés sévères ». Le Ministère a informé M. et Mme Murnaghan qu'ils seraient avertis au fur et à mesure que la condition de leur fils s'améliorerait.»
- Date de modification :