Sally Ross
Ce récit est présenté par Don McGinnis, du bureau de district de Thunder Bay. L'histoire est racontée par Sally Ross.
Nous avons tous des souvenirs dont nous parlons peu puisqu'ils nous rappellent des moments douloureux, mais qui demeureront inscrits dans notre mémoire pour toujours. C'est le cas de l'enterrement de la casquette et de l'insigne de mon cousin. Il était chauffeur d'autobus, et décéda lors d'un grave accident; ce fut tout ce que nous pûmes retrouver de ce qui lui appartenait.
Je vivais à Clapham Junction à Londres, et ils essayèrent de nous bombarder à de nombreuses reprises, ratant leur cible; toutefois, toutes les rues environnantes furent bombardées, incluant ma propre rue, dont la moitié fut pulvérisée. Les coordonnateurs d'urgence lors des raids aériens rescapaient les personnes enfouies sous les décombres, dont un voisin qu'on extirpa en le tirant par les jambes. Mon père, un ancien combattant de l'Aviation royale du Canada au cours de la Première Guerre mondiale, était un coordonnateur d'urgence lors des raids aériens, tout comme ma soeur et mon frère, mais mon frère rallia le régiment royal Ulster après avoir passé une journée à récupérer les restants éparpillés de corps de nourissons. C'était trop pour lui. Il se dit alors qu'il devait aller se battre, pour mettre fin à ce carnage. Un matin, au réveil, j'entendis aux nouvelles qu'un abri de Chelsea avait directement été touché par un obus; je m'y rendis au pas de course parce que je savais que mon amie et ses enfants y étaient réfugiés. Il y avait de nombreux morts, mais je posais des questions pour savoir où les blessés avaient été emmenés. Je me souviens être allée d'école en école, étant donné qu'elles avaient été réquisitionnées pour y installer les personnes dont la maison avait été bombardée pour qu'ils puissent y dormir et manger. Je dois avoir cherché durant trois jours, car tout ce dont je me souviens c'est que j'étais à Clapham Junction et qu'un jeune soldat en congé m'aperçut et m'interpella « Où étais-tu? » Ta mère et ton père te cherchent depuis trois jours et il ajouta; « Où sont tes chaussures? » Je ne parviens toujours pas à me souvenir de ces trois jours. Mon amie et ses enfants avaient été tués et son mari obtint une permission exceptionnelle; aux dernières nouvelles, il était rendu dans un asile. Tous ces souvenirs défilent dans ma mémoire lorsque j'assiste au jour du Souvenir sur la colline parlementaire, tout comme nombre d'autres souvenirs qui sont trop nombreux pour que je les relate dans ce document.
Je m'engageai dans l'armée peu de temps après, ce qui fait qu'au total, trois de mes frères étaient dans l'armée, l'un dans la marine, alors que deux qui étaient à Devon s'engagèrent une fois la paix revenue; un autre de mes frères fut estropié, ayant perdu une jambe à cause de la poliomyélite. Ainsi, six de mes sept frères avaient servi notre pays, tout comme l'une de mes soeurs et mon père qui assuraient les fonctions de coordonnateurs d'urgence lors des raids aériens. Maman gardait les enfants dans l'abri. Mon père construisit un lit dans notre abri d'Anderson, mais il ne s'y réfugia jamais. Il avait l'habitude de dire que Hitler ne lui ferait pas quitter son lit; toutefois, un jour, une bombe volante pulvérisa le toit de notre maison et le jeta hors de son lit. Après avoir adressé à Hitler toutes les insultes possibles, il répara le toit et il installa du papier goudronné sur les fenêtres jusqu'à la fin de la guerre. Cela devint son travail - réparer les maisons. Une nuit, mon jeune frère marin amena à la maison quelques amis qui étaient en congé, étant donné qu'ils vivaient trop loin pour rentrer chez eux pour la fin de semaine, et mon père les entendit chanter cette nuit-là, après qu'ils eurent consommé quelques bières. «Deep in the Heart of Texas the stars tonight are big and bright.» Ils pouvaient voir les étoiles à travers le toit qui, une fois de plus, avait été frappé par une bombe volante.
Je m'étais engagée dans l'armée à l'époque, parce que j'estimais qu'il me fallait joindre les rangs de ceux qui voulaient se débarrasser d'Hitler. Un jour, alors que je me rendais au travail, une bombe fut larguée par un chasseur en piqué et elle se dirigea droit sur l'autobus où j'avais pris place; le chauffeur nous ordonna de courir jusqu'à l'abri. Nous nous trouvions dans la rue Sloane, en direction de Hyde Park Corner et, alors que nous courrions tous, je vis devant moi une femme qui portait un manteau de renard, comme c'était la mode à l'époque, la tête du renard nouée à l'avant et la queue pendant en arrière. Aussi, cherchant à agripper quelque chose, j'attrapai la queue et lorsque la femme se mit à courir, je me retrouvai avec la fourrure sur les bras. Lorsque nous arrivâmes à l'abri, elle déclara qu'elle en avait assez et qu'elle allait déménager à la campagne. Puis, je ralliai le service A.T.S. à Croyden et après mon initiation à coup de marches et d'autres activités, dans la cour de la caserne, le sergent qui dirigeait les exercices nous inspecta et nous l'entendîmes murmurer « Excellent, nous avons trouvé un navire ». Je dois dire que la nouvelle était très encourageante. Une nuit, alors que j'étais en mission avec un ami comme brancardier, nous découvrîmes deux blessés, un gaillard costaud qui avait travaillé à Covent Garden comme porteur de boisseaux qu'il transportait sur sa tête, et un autre individu qui mesurait à peine 1 mètre 60. Nous tombâmes sur le plus grand. Il portait un signe indiquant qu'il avait une fracture de la jambe, tandis que l'insigne de l'autre blessé indiquait une fracture du bras; aussi, nous décidâmes sur le champ de permuter les insignes, du fait que nous n'étions pas en mesure de soulever le plus grand des deux.
Un jour, alors que j'étais chez moi en congé, et que je me promenais avec l'un de mes frères également en congé, des bombes incendiaires furent larguées. Mon frère déclara « Allonge-toi à l'abri des sacs de sable!» « Pas question, répondis-je, c'est la seule paire de bas de soie que je possède!» « Tu auras l'air fin, dit-il, à la morgue avec tes bas de soie, sauf qu'il te manquera la tête! »
Je me souviens des Canadiens qui venaient dans mon bureau demander des bons de commande pour le magasin du sergent Cartier. Je les faisais rire et c'était de bons gars, qui nous donnèrent du chocolat et des cigarettes. Un jour après Dieppe, je rencontrai un jeune soldat canadien et nous nous rendîmes tous prendre un verre avec nos compagnons. J'épousai ce Canadien et je rentrai en 1945, à bord d'un navire de transport. Je n'oublierai jamais les premières boulettes de pâte et le premier ragoût que j'ai cuisinés (de l'eau et de la farine, comme des balles de golf). Mon mari me demanda « Combien de poudre à pâte as-tu ajouté? » Et bien, je ne savais pas qu'il n'y avait pas de farine autolevante. Je n'avais jamais entendu parler de poudre à pâte. Ici s'arrête mon récit, sinon je vais écrire un livre entier.
Certaines des chansons entonnées durant la guerre étaient des parodies. L'une d'entre elles s'intitulait Arm in Arm Together. Elle se lisait ainsi:
Arm in arm together to the shelter we will go
Dodging lumps of shrapnel as the sirens go.Dodging the incendiary's and the high explosives too
Arm in arm, just me and you.We never looked for time bombs when we were side by side
I never stepped in craters cause you were there to guide.Cause if we stepped upon a landmine then all the world
would see would be little bits of you and me."
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