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Jane Wilkinson : Les années de guerre

Voici des extraits d'un récit écrit par Jane Wilkinson et soumis par Paul Desgroseiller de l'Hôpital Sainte-Anne au Québec.

Notre collège était adjacent au manège militaire et au terrain d'exercice locaux. Lorsque les milices commencèrent à s'exercer à la baïonnette et que l'un de mes camarades étudiants déclara qu'elles devraient avoir une bouteille de ketchup à portée de main de manière à être plus réalistes, je pris conscience qu'une guerre se déroulait. Jusque-là, sur la côte Ouest, nous parlions d'une «drôle de guerre», étant donné qu'elle n'avait aucune répercussion sur nous. Toutefois, lorsque vinrent les exercices d'extinction des lumières et l'annulation de nos cérémonies de remise des diplômes d'études secondaires ainsi que des bulletins, nous fûmes durement frappés. De plus, la plupart de nos camarades partaient pour s'enrôler dans les Forces; l'Armée de l'air était la plus populaire. Bien entendu, la guerre nous frappa sur la côte Ouest de manière implacable.

Étant donné que j'avais quatre demi-soeurs plus âgées dont le père avait été tué lors de la Première Guerre mondiale et dont les médailles de guerre et la plaque commémorative étaient toujours en évidence à la maison, il était naturel que nous grandissions tous dans un sentiment de patriotisme. En conséquence, mes deux beaux-frères rallièrent l'Armée de l'air, ma soeur rallia l'Armée, mon frère devint coordonnateur d'urgence en cas d'alerte aérienne et je ralliai l'Armée de l'air. La guerre était devenue une réalité pour nous. Le voyage en train jusqu'à Manning Pool à Rockcliffe fut mémorable, du fait que nos co-recrues étaient presque essentiellement des soldats du service général de Vancouver; aussi, nous devinrent tous amis et nous nous rendîmes par la suite ensemble à Mont-Joli. Une fois que nous eûmes reçus nos uniformes, nous visitâmes Ottawa et fûmes très impressionnés par la beauté des édifices et par le nombre de statues. Au cours des derniers jours que nous passâmes à Rockcliff, une fois rompus aux marches et aux exercices, nous fûmes inspectés par la princesse Alice et nous ralliâmes notre première affectation à Mont-Joli. Il s'agissait à l'époque d'un poste de bombardement et d'artillerie de l'est du Québec, sur le fleuve Saint-Laurent à l'extrémité ouest de la péninsule de Gaspé. Il n'était pas considéré comme un poste isolé, mais, en ce qui me concerne, il l'était vraiment. La vie dans un tel poste était généralement morne. Elle pouvait être particulièrement monotone si nous ne faisions pas l'effort de trouver nous-mêmes des intérêts et des façons de nous divertir. La pratique du ski, du patin, du badminton et du bowling faisait partie des loisirs que nous pratiquions. De plus, les bals organisés à la plage Metis et dans le hall d'exercice du poste étaient fort appréciés. Durant tout ce temps, nous étions parfaitement conscients du fait qu'une guerre était en cours. À la maison (Mont-Joli), nous avions eu notre quote-part d'accidents d'avions avec morts de stagiaires et blessures de pilotes. Étant donné que les chances de survie des mitrailleurs de bord en mission outre-mer étaient pratiquement nulles, il fut décidé que les exercices de bombardement seraient abolis pour être remplacés par des exercices d'artillerie. Il était vraiment extrêmement dur pour le moral de penser que plus de 90% d'une classe de diplômés pouvait disparaître. Cela nous permit d'apprécier encore plus nos stagiaires. Au cours de l'été 42, j'étais la commis en fonction dans la salle des rapports. Un soir, le téléphone sonna. C'était un journaliste qui appelait de Montréal pour le compte du quotidien anglais The Star. Il voulait s'informer à propos de la rumeur selon laquelle un navire avait coulé dans le Saint-Laurent au large de Mont-Joli. Je lui passai le commandant dans le mess des officiers. Je ne nierai pas que l'événement me donna des frissons. Par la suite, nous apprîmes que Lord HaHa, spécialiste allemand de la propagande possédant un délicieux accent d'Oxford, avait lancé sur les ondes à partir de Berlin que l'équipage d'un U-boat naviguant sur le Saint-Laurent avait entendu la musique de danse provenant des hôtels Boule Roche et Chez Donat sur la plage Metis et qu'il avait infiltré le bal du poste de l'ARC de Mont-Joli, habillé en uniformes de l'Aviation royale. Le simple fait d'imaginer danser avec des Allemands était inconcevable. Même si la fraternisation entre les officiers et les femmes enrôlées dans l'Armée de l'air était interdite, nombre d'aventures furent tuées dans l'oeuf par l'affichage soudain de listes de noms. Nous eûmes tous le sentiment qu'il s'agissait d'un coup bas, mais j'imagine que cela était nécessaire pour assurer la discipline. Nombre de liaisons prirent fin lorsque la liste des personnes affectées outre-mer fut affichée, même si les femmes du personnel féminin de l'aviation concernées se voyaient accorder la préférence, lorsqu'une affectation outre-mer était disponible pour des commis féminins. En dépit du fait que notre solde était faible, nous étions censés acheter des obligations de guerre, et lorsque Buzz Beurling se rendit au bal de notre poste pour une campagne de vente d'obligations de guerre, ce fut tout un événement. Marc Kenney était une autre personnalité célèbre qui fit jouer son big band au sein de notre poste, tout comme Glen Miller. Ce furent là des temps mémorables. Puis, le médecin voulut me donner une semaine de congé de maladie, après que j'ai été hospitalisée en raison d'un cas présumé de diphtérie, mais je refusai parce que je n'avais personne avec qui partir. Il me jeta un regard très étrange, que je ne pus déchiffrer avant un bon moment. Fort vraisemblablement, il pensait que le camp était rempli d'hommes qui se feraient un plaisir de partir avec moi. Puis il y eut ce jour où l'adjudant m'offrit mes insignes de caporal, que je refusai, étant donné que je ne voulais pas assumer la responsabilité de vérifier le respect du couvre-feu. Une fois de plus, l'expression de son regard fut mémorable.

Notre principale ambition était de partir outre-mer et lorsque l'occasion se présenta, nous sautâmes dessus. Nous embarquâmes à bord de l'Empress of Scotland (en fait l'Empress of Japan, mais le navire était censé avoir été coulé). Nous traversâmes tout seuls l'océan, en faisant des zig zag. Les événements les plus mémorables furent la vue d'un avion non identifié et le jour où l'une des aviatrices refusa de monter sur le pont sans sa gaine, car elle ne voulait absolument pas être vue sans la porter. Notre séjour à Londres fut des plus passionnants, mais dangereux par moment. Les bombes volantes étaient un danger qu'on ne pouvait ignorer, étant donné que le bruit qu'elles faisaient en tombant du ciel faisait palpiter notre coeur. Le réveil avec un mal de tête, du fait qu'il nous fallait dormir avec un casque d'acier sur la tête, était une autre conséquence de la guerre. Lorsque l'un des aviateurs reçut une lettre de sa femme traitant les bombes de plaisanterie, il perdit toute contenance. Il n'y avait vraiment pas là de quoi rire!

Les aviateurs en congé à Londres étaient heureux de retrouver la sécurité de leurs abris antiaériens. Ce ne fut qu'après que la Horse Guard's Chapel de Whitehall fut directement touchée, pendant une messe militaire, que les autorités décidèrent d'annuler ce genre de rassemblement et incitèrent le personnel à passer les fins de semaine à l'extérieur de Londres. Au fur et à mesure que la guerre se poursuivait, les choses rentrèrent dans l'ordre et nous tirâmes le maximum de profit de notre séjour en profitant des distractions de la grande ville, avec ses nombreux théâtres et clubs, etc.

Nous attendions avec impatience notre retour au Canada qui fut fort apprécié, tout comme notre libération et notre démobilisation. Mais cela c'est une autre histoire.

Jane Wilkinson, ex-membre de l'ARC
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