Un courage peu ordinaire
Avant-propos
Voici l'histoire de valeureux agents dont les noms méritent d'être inscrits à jamais sur la liste canadienne des combattants tombés au champ d'honneur. Certains d'entre eux n'ont pas survécu. Ils ont été fait prisonniers, torturés par la Gestapo puis exécutés. Cette publication raconte, tout simplement, l'histoire de vrais héros, inédite jusqu'ici mais dont l'éclat n'a pas pâli avec les années.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, bien des Canadiens ont oeuvré derrière les lignes ennemies comme agents des organisations britanniques qui, lentement au début mais avec de plus en plus d'efficacité, dirigeaient clandestinement des réseaux d'évasion et de sabotage dans les pays occupés. Quoique les renseignements sur les activités soient souvent fragmentaires, ces agents, dont nous connaissons cependant le nom, étaient tous des modèles de bravoure et de dévouement, comme nous le constaterons dans les pages qui suivent. Tous sans exception savaient que, s'ils étaient capturés, ils ne seraient aucunement protégés par la convention de Genève. Ils savaient très bien qu'il risquaient fortement d'être faits prisonniers.
La guerre moderne, comme en témoigne la Seconde Guerre mondiale, est un expérience que le genre humain n'avait encore jamais vécue. Finie l'époque des guerres livrées par des armées professionnelles qui suivent des règles de conduite et de capitulation. Des populations entières sont désormais englouties par les affres de la guerre; hommes, femmes, jeunes, vieux faibles et invalides - nul n'y échappe. Le terrorisme est une arme conçue et utilisée à dessein. Dans leur guerre éclair contre la Pologne et les Pays-Bas, les Allemands poussaient devant eux des masses de réfugiés civils effrayés pour que ceux-ci congestionnent les routes et ralentissent ainsi l'avance des troupes d'assaut alliées.
Tandis qu'un pays après l'autre tombait aux mains des Nazis, le même phénomène se produisait: la nuit venue, un silence absolu régnait et, peu après, c'était le couvre-feu, suivi d'un rassemblement avant l'aube puis de déportations massives - tout cela au nom du nouvel ordre.
Mais les dirigeants du nouvel ordre avaient sous-estimé le courage indomptable de l'individu. Rien ne peut freiner la volonté d'être libre. Multipliée bien des fois, elle engendre une force qui ne peut être mesurée en termes de chars ou de mitrailleuses tirant des centaines de coups par minute. Elle a ralenti l'avance et contribué à la chute de plus d'un tyran dans le passé. C'est ce que Tolstoï appelait, dans La Guerre et la Paix, l'inconnue X.
Je suis fier d'avoir pu aider, pendant la Seconde Guerre mondiale, à la création et à la mise en action de cette force. Ceux et celles qui ont foncé l'ont fait à titre particulier et savaient qu'ils n'obtiendraient pas quartier. La plupart des captifs ont succombé après d'horribles tortures. Mais le nombre des résistants ne cessait d'augmenter.
Je suis très heureux que le ministère des Affaires des anciens combattants du Canada publie cet hommage à la bravoure et à l'héroïsme rare des personnes dont il raconte l'histoire. Ce récit exprime la conviction qu'un jour, il n'y aura plus de guerres - non pas parce que la guerre sera devenue trop terrible à supporter, mais parce que des hommes et des femmes comme ceux et celles dont il est question dans ce court mais émouvant témoignage auront toujours soif de liberté, qu'aucune guerre, si effroyable soit-elle, ne parviendra jamais à supprimer.
William Stephenson
Le Canadien William Stephenson était le chef de la British Security Coordination, un service international de renseignements créé par le premier ministre de la Grande-Bretagne, Winston Churchill, pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce service, qui avait son siège dans la ville de New York, était chargé de freiner, par la guerre clandestine, la propagation du nazisme partout dans le monde libre.
Stephenson, dont le nom de code était « Intrépide », a servi d'intermédiaire entre Churchill et le président des États-Unis, Franklin D. Roosevelt durant les dernières années cruciales de la guerre. Après un long silence soutenu, les historiens ont enfin reconnu que cette opération avait été un appoint essentiel des mesures militaires et politiques engagées pendant la Seconde Guerre mondiale.
Tandis que les entreprises des agences de renseignements britanniques ont toujours été entourées de secret, les exploits des « agents secrets » nous ont depuis été révélés par le biais de James Bond, héros de nombreux romans d'espionnage qui sont fondés, en partie, sur les activités de l'opération de renseignements dirigée par Stephenson. L'auteur de ces romans, Ian Fleming, était assistant du chef de la British Naval Intelligence et il a en fait reçu une formation de William Stephenson et travaillé avec lui pendant la Seconde Guerre mondiale.
Après la guerre, Stephenson a été fait chevalier en reconnaissance de son rôle dans l'opération de renseignements. Son histoire passionnante est racontée dans le livre A Man Called Intrepid, publié par Harcourt, Brace & Jovanovich en 1976, qui a été écrit par un homonyme et ancien collègue de sir William, M. William Stevenson.
Introduction
Nous savons tous que de nombreux Canadiens ont combattu avec les Forces alliées, pendant la Seconde Guerre mondiale, pour défendre la démocratie. Beaucoup d'entre eux ont été tués ou blessés et tous ont fait d'énormes sacrifices pour le salut de leur pays.
Mais il ne faut pas oublier la contribution, moins connue celle-là, d'un petit groupe unique de Canadiens qui ont défendu la cause de la liberté d'une autre façon, c'est-à-dire en s'engageant comme « agents secrets ». Ces hommes et femmes intrépides ont secondé les efforts des groupes clandestins de résistance, derrière les lignes ennemies dans les pays d'Europe occupés par les Allemands ainsi que dans les endroits d'Asie occupés par les Japonais. Les groupes de résistants se composaient de gens de différentes localités qui luttaient pour empêcher les fascistes de s'emparer de leur pays.
Quoique des Canadiens de tous les milieux ethniques s'étaient engagés pour oeuvrer derrière les lignes ennemies, on en comptait trois groupes principaux d'agents secrets : les Canadiens français, les immigrants d'Italie et de l'Europe de l'Est, et les Canadiens d'origine chinoise. De 1939 à 1945, ils ont servi en France, en Yougoslavie, en Hongrie, en Italie, en Birmanie, en Malaisie et au Sarawak. Contrairement à leurs homologues dans les forces militaires, ils n'ont reçu aucun témoignage public de reconnaissance pour leur tâche extrêmement dangereuse. Ils partaient en douce, sans fanfare. Car la clé de leurs manoeuvres, c'était le secret - et l'issue dépendait d'actes de courage individuels.
Les agents secrets canadiens pendant la Seconde Guerre mondiale relevaient de l'un de deux organismes secrets britanniques : le SOE (Special Operations Executive) et MI 9 (Military Intelligence).
Le SOE, qui comptait près de 14 000 membres dans sa période la plus active en 1944, était le plus gros des deux organismes. Comme le faisait remarquer Winston Churchill, le SOE avait pour mission de « mettre l'Europe » - et, plus tard l'Asie - « en feu ». Il a été établie en 1940 afin de repousser les envahisseurs fascistes en Europe et en Asie depuis les pays occupés mêmes. Des agents du SOE spécialement formés se sont introduits en cachette dans ces pays et ont pris contact avec les noyaux de résistance locaux, qu'ils ont ensuite entraînés et organisés en un effectif de combat pour harceler et miner les Allemands avant l'approche des Alliés.
MI 9 était un organisme plus restreint, qui s'occupait des prisonniers de guerre alliées et des aviateurs alliés dont les appareils avaient été abattus en territoire ennemi. Il avait pour mission de les aider à s'évader, en mettant de l'argent, des moyens de communication radio et des fournitures à la disposition des agents et de leurs auxiliaires.
Une fois admis dans l'un ou l'autre des deux organismes, les agents suivaient un cours d'entraînement rigoureux pour se préparer aux tâches périlleuses qui les attendaient. Cette formation portait, notamment, sur le saut en parachute (la plupart des agents étaient parachutés en territoire ennemi la nuit), l'utilisation de puissants explosifs, l'escalade de montagnes, la connaissance élémentaire du morse, les techniques à employer pour tuer sans faire de bruit, et l'art de se mêler à la population locale. Les agents étaient renseignés à fond sur leur nouvelle identité, puis se voyaient attribuer des contacts locaux, un nom de code, de fausses cartes d'identité et de rationnement, et des permis de travail. On surveillait les stagiaires de près pour voir s'ils possédaient des qualités essentielles telles que résistance au stress, autonomie, initiative, discrétion et jugement sûr, et une facilité pour les langues.
Les pages qui suivent ne renferment que quelques-unes des nombreuses histoires connues. Mais toutes ont pour élément central le courage, dont ces héros ont fait preuve dans une très large mesure. Certains d'entre eux ont même donné leur vie. Nous espérons que, par le présent récit de leurs exploits, ces quelques Canadiens extrêmement valeureux obtiendront enfin la notoriété qu'ils ont tant méritée.
Les opérations en France
MI 9 - Compagnons d'évasion
Quatre jeunes Canadiens français, qui s'étaient tous engagés dans l'armée peu après l'entrée du Canada en guerre en 1939, sont passés au service de MI 9 par suite du raid sur Dieppe par les Forces alliées en août 1942. Cette invasion a fait plus de 3 350 victimes canadiennes. Approximativement 1 950 ont par la suite été fait prisonniers de guerre par les Allemands.
Conrad LaFleur, Robert Vanier, Guy Joly et Lucien Dumais étaient de ce groupe de prisonniers de guerre. Mais ils ont tous réussi à s'enfuir et à retourner en Angleterre. Incroyablement, les quatre hommes ont ensuite décidé de retourner en France en tant qu'agents secrets de MI 9, afin d'aider d'autres personnes à s'échapper.
La carrière d'agent secret de l'un de ces remarquables anciens combattants de Dieppe - Lucien Dumais est très représentative de ce que ces gens faisaient derrière les lignes ennemies et des risques qu'ils prenaient pour secourir d'autres victimes. Lucien Dumais, de Montréal, était un sergent coriace de 38 ans des Fusiliers Mont-Royal lorsqu'il fut fait prisonnier par les Allemands à Dieppe. Après son évasion et sa rentrée en Angleterre, il reçut un entraînement au combat de quatre mois de la Première Armée britannique en Afrique du Nord. Mais à son retour en Angleterre, comme il n'aimait pas la routine de la vie du camp militaire, il s'engagea dans l'organisation MI 9. C'est ainsi qu'il rencontra un autre Canadien dont la soif d'action et d'aventure l'incita à devenir agent secret.
Un grand jeune homme aux cheveux bruns, Raymond LaBrosse avait 18 ans quand il se rendit outre-mer pour la première fois, en 1940, comme signaleur du Corps des transmissions royal canadien. Les services secrets britanniques étaient chroniquement à court de bons sans-filistes, et surtout de ceux qui parlaient couramment le français. MI 9 entra donc en communication avec LaBrosse, qui devint par la suite le premier agent canadien de cet organisme. Or, sa première mission en France pendant l'occupation se termina brusquement lorsque la Gestapo s'infiltra dans le réseau et LaBrosse dut s'enfuir de la France. Il était impatient de retourner en France pour y poursuivre sa tâche.
Raymond LaBrosse avait des qualités qui le désignaient pour ce genre de travail : un courage exceptionnel et un jugement sûr, liés à une nature calme et tranquille. Il se révéla un excellent associé de Lucien Dumais, au caractère fonceur, rude et franc; ensemble, ils formaient « l'une des meilleures équipes que MI 9 a envoyées en France pendant l'occupation ». (trad.)Footnote 1
Lucien Dumais et Raymond LaBrosse étaient le pivot de l'opération Bonaparte qui constituait l'élément principal d'un plus vaste réseau appelé « Shelburne ». Ce réseau d'évasion allait devenir l'un des plus efficaces de toute la Seconde Guerre mondiale.
Avant de partir pour la France, les deux Canadiens reçurent une formation intensive dans tous les domaines, depuis le jiu-jitsu jusqu'à la fabrication et à l'opération de radios. On leur remit des plumes qui lançaient du gaz lacrymogène, des boussoles dissimulées dans des boutons, de fortes sommes en francs et de fausses pièces d'identité. Pour des raisons de sécurité, chaque agent avait son propre nom de code qui était inconnu de son associé.
À bord d'un appareil Lysander, ils ont atterri une nuit dans un pré à quelque 80 kilomètres au nord de Paris. C'était en novembre 1943. La guerre en arrivait à ses dernières étapes tandis que les Forces alliées se préparaient à repousser l'occupant allemand hors de la France. Dès leur atterrissage, les deux agents prirent des directions différentes - Lucien Dumais, alias Lucien Desbiens, entrepreneur de pompes funèbres d'Amiens (France), et Ray LaBrosse, alias Marcel Desjardins, vendeur d'appareils médicaux électriques.
Dumais et LaBrosse avaient pour mission de trouver les aviateurs alliés dont les appareils avaient été abattus en France, puis de voir à ce qu'ils soient escortés sains et saufs hors du pays. Mais cela ne pouvait se faire sans la collaboration de nombreuses personnes au courant des manoeuvres, et le risque de trahison était très élevé. Les deux agents durent se fier à leur instinct et à leur jugement lorsqu'ils établirent le vaste réseau de volontaires nécessaire pour accomplir leur tâche colossale. Après la guerre, des documents allemands révélèrent que la Gestapo n'avait jamais vraiment été près de démanteler le réseau, vu l'excellente protection qui l'entourait.Footnote 2 Et ce, grâce à Dumais et à LaBrosse.
Les agents devaient trouver des « maisons sûres » qui logeraient les aviateurs en attendant leur départ. Il fallait nourrir ces hommes et leur donner d'autres vêtements - tâche particulièrement difficile puisque la nourriture et les vêtements en France étaient rationnés strictement pendant l'occupation. Il fallait également trouver des médecins pour soigner les aviateurs malades ou blessés, et des imprimeurs qui accepteraient de produire sur-le-champ de fausses pièces d'identité.
Pour qu'ils ne se trahissent pas devant les Allemands tandis qu'ils se rendaient sur la côte en train, à découvert, depuis Paris, les aviateurs devaient apprendre à se conduire continuellement en ouvriers français, même lorsqu'ils fumaient leur cigarette, car la moindre erreur pouvait être fatale. Il fallait trouver des guides pour évacuer les évadés, par étapes, à Paris puis sur les côtes de Bretagne où des canonnières britanniques viendraient chercher les évadés.
Raymond LaBrosse parcourait la campagne afin d'y trouver des endroits sûrs d'où échanger des messages codés avec le quartier général de MI 9 à Londres. Ces communications étaient indispensables pour faire les arrangements afin que les évadés sortent sains et saufs du pays. LaBrosse risquait continuellement d'être dépisté par des radiodétecteurs allemands.
Il fut enfin décidé que les canonnières britanniques se rendraient sur une petite plage isolée près du village de Plouha, sur le littoral de la Bretagne, pour y prendre de petits groupes d'aviateurs et les transporter à 140 kilomètres de là, en lieu sûr, en passant par la Manche. Une fois le rendez-vous fixé, un groupe se réunirait dans une petite maison de ferme en pierre, située à proximité de la plage, qui appartenait à l'un des résistants. Cette demeure finit par être surnommée la « maison d'Alphonse ».
La première évacuation réussie eut lieu dans la nuit sans lune du 29 janvier 1944. Tous les arrangements avaient été soigneusement faits par le biais de communications radio codées. Dans la vielle maison de ferme, un groupe était assemblé autour de la radio et écoutait fiévreusement les nouvelles au réseau français de la British Broadcasting Corporation. Immédiatement après les informations, le message suivant fut diffusé :
Bonjour tout le monde à la maison d'Alphonse.
Ce communiqué signalait le début de la mission d'évacuation. Seize aviateurs et deux agents britanniques sur leur départ descendirent tranquillement à la file, une falaise escarpée menant à la plage. Au moyen d'une lampe de poche, un signal convenu fut émis en direction de la mer. Le groupe attendait, nerveusement. Les Allemands patrouillaient avec soin cette partie de la plage, craignant de plus en plus une invasion des Alliés. Ces moments d'attente silencieuse sur la plage, dans le noir, étaient particulièrement angoissants. Or, en peu de temps, trois canots pneumatiques émergèrent de l'obscurité. Armes, provisions et argent furent débarqués en douce, puis les canots, chargés de leurs passagers, glissèrent silencieusement jusqu'à la canonnière britannique que les attendait.
Bien entendu, Dumais et LaBrosse restèrent en France pour y continuer leur tâche périlleuse. Tandis que l'invasion de la Normandie approchait, de plus en plus d'avions alliés survolaient l'Europe, et le réseau d'évasion se révélait de plus en plus nécessaire. Les évacuations se poursuivirent et, à la fin de mars 1944, 128 aviateurs et sept agents avaient été escortés sains et saufs en Angleterre, grâce à l'équipe Dumais et LaBrosse. Au total, 307 aviateurs alliés devaient leur liberté au réseau Shelburne et à sa principale composante, l'opération Bonaparte.
Il est important de signaler que le réseau Shelburne ne perdit jamais un seul élément de sa précieuse charge. En fait, la seule perte fut la maison d'Alphonse, incendiée par les Allemands qui soupçonnaient que c'était un refuge de la Résistance.
Après l'invasion de la Normandie le 6 juin 1944, les civils eurent de plus en plus de difficulté à voyager en train, puisque les Forces alliées avaient endommagé les voies ferrées dans le nord de la France. Quoique des fugitifs ne pouvaient plus être évacués, Dumais et LaBrosse choisirent cependant de rester en France pour aider les résistants. En plus de les organiser et de les équiper, les deux agents se joignirent à eux pour attaquer des convois allemands qui essayaient de se rendre en Normandie.
Après la libération, Dumais resta en France pour continuer de repérer les agents Allemands. Ray LaBrosse fut détaché à la section de Paris du British Intelligence Service. Plus tard, les deux hommes reçurent la Croix Militaire ainsi que des décorations de la France et des États-Unis. Ils finirent par retourner dans leurs familles, au Canada, et reprirent le fil de leur vie considérablement plus normale. Mais tous les agents secrets n'eurent pas cette chance.
SOE - Les héros canadiens en action
Des quelque 1 800 agents du SOE qui furent envoyés en France pendant l'occupation, de 1941 à 1945, seulement 25 hommes ou 2% du nombre total étaient Canadiens. Toutefois, selon l'auteur Roy MacLaren :
... la faible proportion de Canadiens par rapport aux autres volontaires ne correspond aucunement à l'étendue du courage qu'il a fallu à chacun d'eux pour sauter en parachute, la nuit, dans un pays étranger occupé, où l'ennemi était aidé de mouchards. Sept des vingt-cinq Canadiens furent capturés et exécutés; proportionnellement, les Canadiens subirent plus de pertes que tous les autres groupes du SOE réunis, en France. Mais cette statistique n'a, elle non plus, pas vraiment d'importance; finalement, ce qui compte c'est la détermination de ces Canadiens ... (trad.)Footnote 3
Les engagés volontaires du SOE en France avaient une tâche très variée : saboter des installations militaires et industrielles, tendre des embuscades à l'ennemi et miner les mouvements de troupes en bouleversant les lignes de communication et de transport. Certains d'entre eux exerçaient également les fonctions de maîtres d'armes et d'opérateurs de radio.
Gustave Daniel Alfred Biéler fut le premier Canadien à s'engager dans le SOE pour ce genre de travail. Originaire de France, Biéler avait immigré à Montréal à l'âge de 20 ans et obtenu sa citoyenneté canadienne dix ans plus tard, en 1934. En 1940, cet officier du Régiment de Maisonneuve laissa sa femme et ses deux jeunes enfants pour se rendre en Écosse, en bateau. Il s'engagea dans le SOE en 1942. À 38 ans, il était l'aîné de sa classe d'entraînement, d'où le surnom « grand-père ».
Après quatre mois de formation, Biéler fut parachuté en France, au sud-ouest de Paris. Son atterrissage fut cependant désastreux. Grièvement blessé au dos pendant sa chute, il lui fallut de nombreux mois pour se rétablir. Dès qu'il en eut la force, il consacra sa période de convalescence au recrutement d'agents pour son réseau de sabotage. Le réseau devait s'emparer des armes parachutées par le SOE, puis s'en servir pour faire sauter des trains et des voies ferrées et arrêter l'avance des troupes allemandes. Biéler finit par diriger l'activité de 25 équipes armées distinctes qui systématiquement, faisaient sauter des voies ferrées et des postes d'aiguillage et détruisaient ou faisaient dérailler des trains de troupes allemandes dans le nord de la France.
Biéler était un homme aimable et chaleureux que ses collègues français tenaient en haute estime. Il se distingua par les très grandes précautions qu'il prenait pour ne pas faire de mal à la population locale au cours de ses manoeuvres, et déplorait les dégâts involontaires qui, souvent, résultaient des bombardements. Malheureusement, Biéler resta un peu trop longtemps en France, juste assez pour que les Allemands puissent capter les transmissions radio de son réseau depuis Saint-Quentin. En janvier 1944, dans un petit café du nord de la France, les Allemands arrêtèrent Biéler et son opérateur de radio, Yolande Beekman, une Suissesse d'origine anglaise âgée de 32 ans.
Biéler fut torturé pendant des mois, mais la Gestapo n'en retira rien - à part du respect pour son courage et sa dignité. Lorsqu'il marcha à sa mort, en septembre, il fut escorté par une garde d'honneur de S.S. Au lieu d'être asphyxié ou pendu, Biéler mourut fusillé - le seul cas connu où un officier dans de telles circonstances, avait été exécuté par un peloton d'exécution. (trad.)Footnote 4
De l'avis de Gabriel Chartrand, un autre agent canadien qui travailla avec Biéler mais qui, lui, survécut à ses dangereuses missions, Biéler fut « le plus grand héros de guerre canadien ». (trad.)Footnote 5
Les Canadiens jouèrent également un rôle-clé dans une autre excellente équipe qui, elle, menait une guerre clandestine plus active pour le SOE. Le chef de cette équipe était Jacques Taschereau, l'un de deux natifs de la Saskatchewan à s'être engagés dans le SOE. La famille de Taschereau déménagea à Montréal, où le jeune homme entra dans l'Aviation royale du Canada comme apprenti mécanicien en 1927. Il servit ensuite dans une unité de la milice et fut aussi pilote de brousse au Labrador et au Québec. En 1943, il fut désigné candidat possible à la formation du SOE. C'est ainsi qu'il apprit tous les trucs du métier d'agent secret et brilla par son adresse.
Levant les mains devant un homme armé, Taschereau pouvait, en un tour de main, sortir un couteau de derrière son col de chemise et atteindre une cible en plein centre à une distance de quinze pieds. (trad.)Footnote 6
Taschereau fut parachuté en France en juin 1944, en compagnie de Paul-Émile Thibeault. Thibeault un ex-boxeur de Montréal, détenteur du prix « Golden Gloves », avait été sergent dans les Fusiliers Mont-Royal lorsqu'il se porta volontaire pour servir dans le SOE. Sa tâche au sein de l'équipe consistait à montrer aux combattants de la Résistance comment manier des armes et fabriquer des explosifs.
Les deux autres membres de cette équipe de quatre hommes étaient l'opérateur de radio James Larose, un lieutenant de vaisseau de la US Navy dont les grands-parents étaient Canadiens français et Gustave Duclos, dont la situation était l'inverse de ce qui se produisait normalement; en effet, Duclos était originaire de France, mais se faisait passer pour un Canadien afin de protéger sa famille en France si jamais il était pris par les Allemands. Les membres de l'équipe vivaient dans la forêt de Soulaines et s'employaient surtout à faire sauter des trains.
Lorsqu'il se déplaçait sous le nez des Allemands, Taschereau se déguisait de différentes manières, y compris en entrepreneur de pompes funèbres et en menuisier. Une nuit, revêtu de l'uniforme bleu foncé des mécaniciens de la Société Nationale des Chemins de fer Français, et accompagné d'un groupe choisi de saboteurs. Taschereau parvint à s'introduire dans une rotonde et à déposer des bombes dans vingt-deux locomotives. D'autres de ses unités de sabotage s'occupaient de faire sauter des voies ferrées, bientôt au rythme d'environ une par jour (prenant soin, dans la mesure du possible, d'avertir au préalable le conducteur de se précipiter hors du train à un endroit désigné). (trad.)Footnote 7
Lorsque les Allemands ont été finalement repoussé en dehors de la France, dix des Canadiens qui avaient survécu à leur mission périlleuse en territoire français occupé se proposèrent pour les opérations du SOE dans l'Asie du Sud-Est.
Le SOE en Yougoslavie et dans les Balkans
Lorsque la Yougoslavie fut envahie par les Allemands en avril 1941, de nombreux Canadiens qui étaient natifs de Yougoslavie ou dont les parents étaient nés là-bas proposèrent de retourner dans ce pays, comme agents secrets, pour l'aider à se libérer de l'occupation nazie. Afin de trouver des agents d'origine yougoslave qui parlaient le serbo-croate, le SOE fit un abondant recrutement parmi les Yougoslaves qui avaient immigré au Canada.
La plupart des Canadiens d'origine yougoslave recrutés pour des missions de renseignements étaient des hommes travaillants, dans la trentaine ou la quarantaine, qui exerçaient un métier d'ouvrier ou de commerçant. Ils étaient presque tous membres du Parti communiste du Canada ou de syndicats de gauche. Environ 20 Canadiens d'origine yougoslave furent envoyés en Yougoslavie par le SOE, et deux par MI 9.
En Yougoslavie il y avait deux troupes rivales de partisans à l'intérieur du mouvement de résistance: les Tchetniks, un groupe de droite dirigé par Draza Mihailovic, et les partisans communistes sous l'autorité de Tito. Les Alliés finirent par appuyer les partisans de Tito qui, malgré leur affiliation communiste, se révélèrent les opposants les plus forts et les plus acharnés à l'occupation allemande.
Paul Pavlic, qui avait travaillé sur un chantier de construction navale à Vancouver, Peter Erdeljac, un maçon et Alexandre Simic, un Serbe d'origine anglaise, furent les premiers Canadiens d'origine yougoslave à être parachutés dans l'ouest de la Croatie, en Yougoslavie. Ils avaient pour mission d'établir une ligne de communication entre Tito et le quartier général britannique au Caire. Pavlic et Erdeljac se souvenaient bien de l'endroit, qu'ils avaient connu dans leur enfance, et visitèrent les sièges locaux de partisans et établirent rapidement la liaison radio nécessaire entre Tito et les Alliés.
Le service d'un autre Canadien d'origine yougoslave. Nikola Kombol, témoigne lui aussi de la détermination de ce groupe d'agents. Kombol retourna trois fois en Yougoslavie au service du SOE. A l'âge de 43 ans, il travaillait comme bûcheron à Vancouver lorsqu'il offrit ses services au SOE. Parachuté en Yougoslavie le 3 juillet 1943, il exerça les fonctions d'interprète pour plusieurs missions britanniques de liaison. Les conditions extrêmement rigoureuses de vie parmi les partisans minèrent la santé de Kombol à un point tel qu'il dut être envoyé dans un hôpital militaire au Caire. Malgré tout il retourna deux fois avec le SOE et, décida de rester dans son pays natal après la guerre.
Un autre Canadien, qui n'était cependant pas d'origine yougoslave mais natif de Nouvelle-Écosse, passa près d'un an parmi les partisans. Un ancien combattant expérimenté de la Première Guerre mondiale, le major William Jones fut parachuté en Yougoslavie en mai 1943. Bien qu'on ne connaisse pas la nature exacte des fonctions de Jones, on sait toutefois qu'il secondait étroitement les partisans, partout en Yougoslavie, dans leur lutte contre les Allemands. Il vint à être considéré comme l'un des plus enthousiastes et plus ardents défenseurs de la cause des partisans.
Quelques Canadiens d'origine hongroise et plusieurs d'origine roumaine et bulgare travaillèrent pour le SOE dans leur pays d'origine. Les agents détachés en Roumanie et en Bulgarie ne connurent cependant pas autant de succès que leurs homologues dans d'autres pays.
Le SOE en Italie
Le SOE a été très actif en Italie après la défaite de Mussolini en 1943, aidant les groupes de résistance italiens dans leurs activités de sabotage et de harcèlement dirigées contre les Allemands. On sait peu de choses, toutefois, sur la participation des Canadiens d'origine italienne qui proposèrent de retourner dans leur patrie pour aider les unités de résistance, essentiellement de gauche, à repousser les Allemands qui battaient en retraite.
L'un de ces agents était John (Giovani) di Lucia. Né à Ortona (Italie) en 1913, il s'était réinstallé au Canada avec sa famille lorsqu'il était enfant. Il fut prié de se proposer pour du « service spécial » tandis qu'il obtenait une formation d'officier de l'ARC à l'Université Western Ontario. Après avoir reçu son entraînement du SOE, di Lucia fut parachuté en Italie, juste au nord de Vérone, au début de 1944. Là, il aidait les unités de résistance à accomplir une tâche épineuse : empêcher les Allemands, qui reculaient, de détruire des ponts, des installations hydro-électriques et d'autres structures importantes. Ses efforts cessèrent prématurément lorsqu'il fut capturé, et exécuté par les Allemands en mai 1944.
George Robert Paterson était un des Canadiens à avoir servi le plus longtemps comme agent secret du SOE en Italie bien qu'il n'était pas d'origine italienne. Il fit preuve d'un courage et d'une persévérance quasi inépuisables dans l'épreuve et la captivité. Natif de Kelowna, en Colombie-Britannique, Paterson s'engagea dans l'armée britannique après avoir fait des études de premier cycle à l'Université d'Édimbourg. Après avoir servi comme officier de renseignements, il s'est joint à un commando britannique et fut parachuté en février 1941, dans le sud de l'Italie. La mission a échoué et l'unité entière fut capturée par les Allemands. Paterson passa ensuite deux ans et demi dans divers camps de prisonniers de guerre avant d'être incarcéré dans une vielle enceinte murée au nord de Gênes. En route vers l'Allemagne il parvint à s'évader en se glissant entre les planches d'un fourgon bondé. Il se joignit à une unité de résistance locale et prêta vite main-forte à un réseau d'évasion qui aidait des prisonniers de guerre britanniques à traverser en Suisse. Malheureusement, Paterson fut de nouveau appréhendé par les Allemands et détenu six mois dans une prison de Milan. Une fois de plus il réussit à s'évader et se rendit en Suisse.
À la hauteur de sa réputation, Paterson accepta une autre affectation du SOE et osa retourner en Italie en septembre 1944. Cette fois, il passa pour un prisonnier de guerre britannique et travailla deux mois dans une autre unité de résistance. Encore une fois, Paterson fut capturé par les Allemands et détenu à Milan, où il passa six autre mois. Même après sa libération, il resta à Milan toute une année afin d'aider les Forces alliées, puis retourna enfin en Écosse pour y poursuivre ses études de foresterie.
La force 136 - (SOE) en Asie
En Asie, où le SOE était connu sous le nom de force 136, la vie d'un agent secret était très différente. Il n'y avait pas d'équipes de résidents solides et bien organisées, comme la Résistance en France, qui luttaient contre l'envahisseur et auxquelles les agents du SOE auraient pu se joindre. La plupart des autochtones dans les pays occupés par le Japon (Hong Kong, Malaisie, Birmanie, Lindes orientales, Thaïlande, Indochine française et Philippines) étaient soit indifférents, soit hostiles aux Européens qui, d'après eux, essayaient de rétablir le régime colonial. Il y avait également une vive animosité entre les différentes factions au sein d'un même pays. Le plus souvent, le SOE devait s'assurer le support des guérilleros communistes locaux pour combattre les Japonais.
De plus, à cause de la couleur de leur peau et de leur incapacité de parler les langues locales, les agents européens ne pouvaient passer pour des Asiatiques dans les pays occupés par les Japonais. Par conséquent, les agents européens durent oeuvrer loin des villes populeuses - en fait, surtout dans la jungle. Mais ils s'exposaient ainsi à des dangers d'un tout autre ordre, y compris de nombreuses maladies tropicales. Plutôt que d'essayer de se faire passer pour des autochtones, les agents du SOE en Asie portaient souvent un habit de jungle vert, de longues bottes en toile et un chapeau de brousse comme on en voit en Australie.
La capitulation des Japonais après le bombardement de Hiroshima et de Nagasaki en août 1945 influa considérablement sur le rôle des agents secrets dans les pays d'Asie. Ils eurent alors pour tâche d'accepter la reddition des unités japonaises et de veiller à l'ordre public jusqu'au rétablissement du gouvernement civil. La force 136 exerça également des fonctions essentielles d'aide aux prisonniers de guerre dans ces pays.
Le rôle des Canadiens d'origine chinoise
Puisque, souvent, ils pouvaient parler les langues locales et se mêler aux autochtones, les Canadiens d'origine chinoise jouèrent un rôle primordial dans les opérations du SOE en Asie. Pendant des siècles, les Chinois s'étaient établis partout dans le sud-est de l'Asie, où ils se distinguaient comme de laborieux marchands et commerçants. Pour cette raison, le SOE fit un recrutement intense de Canadiens d'origine chinoise en 1943 et en 1944. La situation venait ainsi de changer radicalement pour ce groupe de Canadiens qui, jusque-là, avaient été empêchés de jouer quelque rôle que ce soit dans la défense de leur nouveau pays.
Le gouvernement canadien avait fait venir un grand nombre de Chinois au Canada à la fin du dix-neuvième siècle en vue de la construction de la ligne de chemin de fer du Pacifique-Canadien, et d'autres y avaient immigré par la suite. La population chinoise au Canada, établie surtout en Colombie-Britannique, était néanmoins devenue assez nombreuse en 1940. Ces personnes n'avaient ni le droit de voter ni le droit de servir leur pays. De plus, ces gens étaient impatients de servir leur nouveau pays, dans le but notamment d'améliorer leur situation.
Au sujet de la participation des Canadiens d'origine chinoise aux activités de renseignements britanniques, Roy MacLaren écrivait:
Ils partirent pour des pays lointains, sans se soucier du lendemain. Ces engagés volontaires de la guerre clandestine manifestaient un esprit d'aventure aussi vif que les Canadiens envoyés dans les pays occupés d'Europe. Mais pour les jeunes Canadiens d'origine chinoise, ce service représentait davantage. C'était également une affirmation d'égalité. Ils avaient, eux et leur parents ou même leur grand-parents été traités en Canadiens de second ordre, privés des pleins avantages de la citoyenneté. Ils étaient prêts, voire impatients de remplir toutes les conditions de citoyenneté de manière à obtenir, en retour, tous les droits que les autres Canadiens tenaient pour acquis. (trad.)Footnote 8
Des centaines de Canadiens d'origine chinoise offrirent leurs service au SOE - en beaucoup plus grand nombre que n'importe quel autre groupe de Canadiens - et beaucoup furent choisis. Ils suivirent un dur entraînement au Canada et dans des camps de formation spéciaux du SOE en Australie et en Inde. Quoique bon nombre d'entre eux n'eurent pas l'occasion de combattre avant la capitulation des Japonais, leur volonté de servir et l'excellente fiche de ceux qui ont effectivement servi méritent néanmoins d'être signalées.
Il est intéressant de noter qu'en 1945, le gouvernement de la Colombie-Britannique accorda le droit de vote à tous ceux, y compris les Chinois et les Japonais, qui avaient servi dans les Forces armées canadiennes pendant l'une ou l'autre des deux guerres mondiales. Aussi, dans les quelques années qui suivirent, les gouvernements fédéral et provincial révoquèrent leur lois anti-asiatiques.Footnote 9
Parmi les chasseurs de têtes au Sarawak
Le Sarawak, dans le nord de Bornéo, était occupé par les Japonais depuis le début de 1942. Lorsque la première équipe du SOE fut parachutée dans ce territoire sauvage de la jungle, elle courut de grands risques pour obtenir l'aide des tribus montagnardes locales dans sa lutte contre les Japonais. Heureusement, les indigènes détestaient les Japonais et se révélèrent de fidèles et indispensables alliés des agents du SOE. Les Ibans, l'une des plus agressive de ces tribus de chasseurs de têtes, furent d'un précieux secours au SOE pour délivrer ce secteur des Japonais.
Les petits Ibans, à la peau brune et aux cheveux noirs, s'étaient adaptés parfaitement à leur milieu invariable et couvert de végétation luxuriante; ils se déplaçaient aussi facilement dans la jungle dense que le long de la rivière sinueuse. Peu à peu, les Japonais redescendirent la rivière, les chasseurs de têtes semant la terreur parmi l'ennemi démoralisé. (trad.)Footnote 10
C'est dans cette situation que Roger Cheng, âgé de 29 ans, et quatre autres Canadiens d'origine chinoise Jimmy Shiu, Norman Lowe, Roy Chan et Lewis King se trouvèrent le 6 août 1945. Cheng fut le premier Canadien d'origine chinoise à devenir officier dans le Corps des transmissions royal canadien, ce qui était tout à fait exceptionnel à l'époque. Diplômé en génie électrique de l'Université McGill et parlant couramment le cantonais, Roger Cheng était tout désigné pour diriger l'équipe. Arrivé là-bas, le groupe se joignit à une petite équipe britannique qui recueillait des renseignements sur les mouvements des Japonais et sur les conditions de vie dans les camps de prisonniers à Kuching, capitale du Sarawak, où quelque 2 500 prisonniers de guerres britanniques étaient détenus.
Le lendemain du parachutage de l'équipe, les Américains lâchèrent la bombe atomique sur Hiroshima. Malgré la capitulation du Japon, de nombreuses unités japonaises isolées refusèrent d'accepter la défaite, prolongeant ainsi la guerre pendant des mois. La principale réalisation de l'équipe fut d'aider à transférer un grand nombre de prisonniers en Australie, avant de rentrer eux-mêmes chez eux.
En Malaisie et en Birmanie
Les Britanniques cédèrent Singapour aux Japonais le 15 février 1942. Toutefois, ce n'est qu'en février 1945 que le SOE apprit qu'un accord avait été conclu, aux termes duquel le Parti communiste plaçait sa Malayan People's Anti-Japanese Army (MPAJA) sous les ordres opérationnels généreux du Southeast Asia Command de lord Mountbatten, en échange d'instructeurs britanniques munis d'armes, d'explosifs, d'argent, de médicaments et d'autres fournitures. Ainsi, le SOE décida d'appuyer les communistes locaux dans leur lutte contre les envahisseurs japonais, d'où la collaboration des agents et des guérilleros communistes en Malaise.
En juin 1945, plus de 100 officiers de la force 136 furent envoyés en Malaisie. Ce groupe comprenait trois Canadiens français qui avaient déjà accompli des missions pour le SOE en France, et dix sergents canadiens d'origine chinoise. Au début, ils avaient pour tâche de montrer à la MPAJA comment rompre les lignes de communication et d'approvisionnement ennemies, tendre des embuscades aux troupes et recueillir des renseignements. Après la capitulation du Japon, ils furent chargés de restreindre les combats entre les guérilleros et le Japonais jusqu'à l'arrivée des troupes britanniques et indiennes, et de maintenir la paix entre les guérilleros malaisiens et chinois.
Les agents de la force 136 aidèrent également les prisonniers de guerre en Malaisie. Pendant les deux premières semaines de septembre 1945, par exemple, plus de 1 000 tonnes de fournitures et 120 médecins et autre secouristes furent envoyés par avion dans tous les camps connus de prisonniers de guerre en Malaisie, grâce à l'intervention des équipes de la force 136 là-bas.
Henry Fung de Vancouver, âgé de 19 ans a été le premier, et aussi le plus jeune, des plusieurs Canadiens d'origine chinoise qui servirent dans les environs de Kuala Lumpur, qui est aujourd'hui la capital de la Malaisie. Parachuté le 22 juin 1945, il s'employa, avec une équipe du SOE, à saboter les communications japonaises et à harceler leurs convois routiers. Après la capitulation officielle du Japon en septembre, l'équipe releva la garnison japonaise dans la ville de Kajang et essaya d'y maintenir l'ordre jusqu'à l'arrivée des troupes britanniques. Souffrant de jaunisse et de paludisme, Fung retourna en Angleterre et rentra par la suite au Canada.
L'opération « Tideway Green », travaillait en collaboration avec la Malayan People's Anti-Japanese Army (MPAJA). Il était dirigée par l'un des « anciens » du SOE, Joseph Henri Adélard Benoit. Il avait déjà accompli des missions de sabotage en France et suivi un entraînement dans la jungle à Ceylan et en Birmanie.
Cette équipe de la force 136, la seule à être composée entièrement de Canadiens fut parachutée en Malaise de 5 août 1945. L'équipe comprenait également John Elmore Hanna, Ernie Louie et Roger Caza. Hanna avait passé une grande partie de son enfance dans le nord de la Chine et parlait couramment le mandarin. Il immigra au Canada en 1931 et s'engagea dans l'armée dix années plus tard. En septembre 1944, alors âgé de 29 ans, Hanna proposa d'aller en service spécial en Asie, afin de mettre à profit sa connaissance du chinois, puis suivit un entraînement de sept mois à New Delhi.
Ernie Louie était un canadien d'origine chinoise qui parlait couramment le cantonais et qui agissait comme interprète pour l'équipe. Le quatrième membre de l'équipe, Roger Caza, fut un ancien journaliste d'Ottawa qui, comme Benoit, fut un ancien du SOE, avait exercé les fonctions d'opérateur de radio en France. Il avait également reçu une formation à l'Eastern Warfare School du SOE, ainsi qu'à l'école d'entraînement dans la jungle à Sri Lanka, et se trouvait en Malaisie depuis mars de cette année-là.
L'équipe mit six jours, dont trois sous une pluie torrentielle, à parcourir les pénibles 120 kilomètres de jungle jusqu'au nord du Johore. Elle devait recueillir des renseignements sur les mouvements des Japonais et entraîner et approvisionner les guérilleros locaux. Mais comme l'équipe arriva à sa destination après la capitulation du Japon, elle eut pour nouvelle mission d'assister les prisonniers de guerre alliés, dont beaucoup souffraient de maladies et de malnutrition après trois ans et demi en captivité. Avec l'aide d'un caporal et d'un capitaine australiens, l'équipe de Benoit repéra 900 prisonniers de guerre affamés et malades et prit des arrangements pour que des vivres et des médicaments soient parachutés et que les hommes puissent ensuite rentrer chez eux.
Les membres de l'opération « Tideway Green » restèrent en Malaisie jusqu'à la mi-novembre, faisant du travail de police et d'administration civile, et revinrent ensuite au Canada.
Nous avons déjà parlé de Jacques Taschereau et de Paul-Émile Thibeault qui, en 1944, secondèrent la Résistance en France lorsque cette dernière était occupée par les Allemands. En mars 1945, ils étaient de nouveau à l'oeuvre après des mois d'entraînement à l'Eastern Warfare School du SOE, où ils apprirent comment survivre dans la jungle et se familiarisèrent avec les langues et les coutumes locales. Ils furent parachutés en Birmanie en mars et en avril 1945, à l'instar de six autres Canadiens qui avaient eux aussi servi en France (Jean-Paul Archambault, Joseph Benoit, Pierre Chassé, Joseph Fournier, Pierre Meunier et Bentley Cameron Hunter).
Taschereau, qui participait à l'« opération Character » de la force 136, se joignit aux guerriers locaux appelés Karens afin de tendre des embuscades aux troupes japonaises qui essayaient de s'enfuir en Thaïlande en passant par les montagnes. Paul-Émile Thibeault fut parachuté en Birmanie en compagnie de Joseph « Rocky » Fournier, un rude mineur du Nouveau-Brunswick qui avait déjà accompli une mission d'opérateur de radio pour le SOE en France. Fournier vécut parmi les Karens et aida à piéger les Japonais qui battaient en retraite. Thibeault montrait aux Karens à se servir d'explosifs, tandis que Fournier assurait la liaison radio essentielle avec le quartier général de la section de Birmanie du SOE, à Calcutta. Fournier aida lui aussi à tendre des embuscades. Thibeault et Fournier souffraient tous deux de dysenterie et de paludisme récurrents, affections que la plupart des agents du SOE en Asie devaient apprendre à endurer.
Conclusion
Des Canadiens se sont associés à des hommes et à des femmes de nombreux pays pour sauvegarder la démocratie. C'était de rudes individualistes, idéalistes, qui n'hésitaient pas à risquer leur vie pour défendre leur principes. Ils accomplissaient un travail solitaire, dangereux et exigeant.
Quoiqu'ils oeuvraient souvent seuls, le succès de leurs missions dépendait de la création d'une équipe de gens sûrs, capables de bien concerter leurs efforts. Contrairement aux combattants des forces militaires organisées, les agents secrets devaient eux-mêmes recruter des hommes et des femmes qui partageaient leur façon de voir, pour former de telles équipes. Officiellement, ils n'avaient pas de grade militaire élevé, mais ils étaient véritablement des meneurs.
De plus, les résultats de leurs efforts n'étaient pas aussi évidents que ceux de la machine militaire alliée. Ils ne combattaient pas à découvert et leur victoires n'étaient pas mesurées en fonction du nombre d'ennemis tués ou de l'étendue de terrain gagné. Roy MacLaren écrit :
Aussi peu concrète et, finalement, impossible à mesurer que cette aide à la résistance ait pu être, elle joua un rôle essentiel dans le conflit qui parvint à supprimer la tyrannie d'Hitler en Europe et celle des militaristes japonais en Asie. (trad.)Footnote 11
Il ne fait aucun doute que le courage dont ces Canadiens firent preuve changea la vie de la population des pays occupés et l'issue définitive de la Seconde Guerre mondiale. Par leurs actes d'un courage peu ordinaire, ils ont sauvé de la mort nombre de vies. Et nous leur en sommes infiniment reconnaissants.
Dédicace
Cette brochure est dédiée à ces hommes et à ces femmes ci-bas mentionnés, qui ont fait face à de nombreux risques en territoire ennemi afin de venir en aide à ceux qui ont repris leur liberté. Nous la dédions également à tous ceux et celles dont les noms ne sont pas enregistrés - nous reconnaissons ces anonymes.
- Alcock, Ian
- Archambault, Jean-Paul
- Avery, Harry
- Beauregard, Alcide
- Benoit, Joseph Henri Adélard
- Biéler, Gustave Daniel Alfred
- Biéler, René-Maurice
- Bodo, Gustave
- Bozanich, Rudolph
- Butt, Sonia
- Byerley, Robert Bennett
- Byrnes, Henry "Barney"
- Caza, Roger Marc
- Chan, Roy
- Chartrand, Joseph Gabrielle
- Chassé, Pierre Edouard
- Cheng, Roger
- Chin, George
- Chung, Charlie
- Dafoe, Colin Scott
- d'Artois, Lionel Guy
- Dehler, John Harold McDougal
- Deniset, François Adolphe
- Derry, Sam
- Diclic, George
- di Lucia, John
- di Vantro, Angelo
- Dolly, Cyril Carlton Mohammad
- Druzic, Milan
- Duchalard, Charles Joseph
- Duclos, Gustave
- Dumais, Lucien
- Durocher, Lucien Joseph
- Durovecz, André
- Erdeljac, Peter
- Fournier, Joseph Ernest
- Fung, Henry
- Fusco, Frank
- Gelleny, Joseph
- Georgescu,George Eugene Stephane
- Gordon, Laurence Laing
- Hanna, John Elmore
- Herter, Adam
- Ho, Harry
- Hunter, Bentley Cameron
- Joly, Guy
- Jones, William
- Kendall, Francis Woodley
- King, Lewis
- Kombol, Nikola
- Labelle, Paul-Émile
- LaBrosse, Raymond
- LaFleur, Conrad
- Landes, Roger
- LaPointe, Ferdinand Joseph
- Larose, James
- Lee, Bill
- Lee, Bing
- Lew, Bob
- L'Italien, "Tintin"
- Lizza, Peter
- Lock, Tom
- Louie, Ernie
- Louie, Victor
- Lowe, Norman
- Macalister, John Kenneth
- Magyar, Adam
- Manzo, Peter
- Markos, Steve
- Mate, Steve
- Meunier, Pierre Charles
- Misercordia, Frank
- Moldovan, Victor
- Munro, Colin
- Naidenoff, Toncho
- Nardi, Vincent
- Paterson, George Robert
- Pavicich, Marko
- Pavicich, Mica
- Pavlic, Paul
- Pickersgill, Frank Herbert Dedrick
- Rodrigues, Georges
- Sabourin, Romeo
- Serdar, Stevan
- Sharic, Joe
- Shiu, Jimmy
- Simic, Alexandre
- Sirois, Allyre Louis Joseph
- Smrke, Janez
- Starcevic, Ivan
- Stefano, Joseph
- Stewart, Arthur
- Stichman, Paul
- Strange, Burton
- Stuart, William Yull
- Taschereau, Leonard Jacques
- Thibeault, Paul-Émile
- Turk, Michael
- Vanier, Robert
- Vass, Alexander
- Veilleux, Marcel
- Vetere, Ralph
- Wickey, John Hippolyte
- Williams, Val
- Wong, Ted
- Wooler, John Raymond
- Wright, Bruce
- Yaritch, A.D.
Droit d'auteur
© Ministre des Approvisionnements et Services Canada 1985 No Catalogue V32-41/1985 ISBN 0-662-54053-0
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