Infirmière militaire - Kay Christie
Robert Baker du bureau régional de Québec m'a fait parvenir l'enregistrement d'une entrevue réalisée par Bill McNeil de la SRC avec Kay Christie en 1992, et qui a servi à la production du document « The Voice of the Pioneer ». Mme Christie était une infirmière militaire qui résidait à Toronto. Elle fut envoyée en mission à Hong-Kong où elle fut faite prisonnière de guerre. Je me suis servi d'extraits de l'entrevue et j'en ai fait un récit. Depuis de nombreuses années, elle était incapable de parler de son expérience. Elle est décédée il y a quelques années.
Kay Christie était une infirmière militaire originaire de Toronto. Lorsque la guerre éclata, elle voulut servir son pays, mais à son grand regret elle fut affectée à un hôpital de Toronto. Elle était officier commissionné et recevait 5 dollars par jour. En octobre 1941, elle fut informée qu'elle partait en mission outre-mer dans un délai de 48 heures. Elle ignorait totalement où elle allait devoir se rendre; la seule chose qu'elle savait, c'est qu'elle ne devait en parler à personne. Elle embarqua dans un train à Toronto en direction de l'Ouest. À Winnipeg, une autre infirmière militaire monta à bord. Elles arrivèrent à Vancouver où elles devaient faire rapport au quartier général militaire tous les jours à 10h et à 16h. Elles se disaient que l'armée pensait qu'elles allaient déserter et rentrer chez elles. C'était loin d'être le cas. Elles avaient fait serment de servir et n'avaient aucune intention de rentrer. Elles furent informées qu'elles devaient acheter le plus possible de vêtements d'été. Selon ses propres mots, ce fut tout une aventure de dénicher des vêtements d'été au mois d'octobre. Toutes deux finirent par trouver une tenue adéquate. Elles furent ensuite affectées au navire de transport de troupes The Awatea . Les deux femmes et 1975 hommes embarquèrent. On prit l'habitude de dire qu'ils étaient « 1975 + 2 ». Un soir après le souper, les femmes étaient assises au salon, prenant un verre, et l'une fumait une cigarette. Le brigadier leur montra une lettre que la sous-directrice générale des soins infirmiers leur avait écrit. Essentiellement, la lettre leur disait qu'en compagnie de tous ces hommes, elles devaient s'abstenir de boire ou de fumer pour éviter un incident. Elle déclara que durant les trois semaines que dura la traversée, elles furent aux petits soins et que personne ne leur manqua de respect. Le navire finit par arriver à Honolulu; c'est là qu'on leur apprit qu'elles partaient pour Hong-Kong.
Une fois rendues à Hong-Kong, elles travaillèrent dans un hôpital militaire britannique. Le 7 décembre, trois semaines après leur arrivée, Pearl Harbour était bombardée et le jour suivant, leur hôpital était également la cible des bombes. L'obus traversa le toit et le mur arrière, puis finit sa course dans un immeuble de brique où dormaient nombre de jeunes Chinois. L'un des enfants fut tué. Leur hôpital avait servi de cible d'entraînement - l'hôpital et les édifices environnants étant considérés comme des cibles directes et il y eut 111 coups au but. La sirène d'alerte aérienne fut frappée par la première bombe et ne put donc les avertir que des avions les survolaient. Le bombardement dura 18 jours puis les tireurs d'élite arrivèrent.
Des hôpitaux de fortune furent construits autour de l'île; ils étaient seulement équipés de matelas posés à même le sol. Le personnel de l'hôpital était composé de femmes volontaires, dont la plupart étaient des mères et leurs filles. Les soldats japonais pénétrèrent dans l'un des hôpitaux et alignèrent les bénévoles; ils prirent les plus jeunes et les violèrent devant toutes les autres. Un matin de Noël, une soeur infirmière et six femmes bénévoles furent envoyées à un autre hôpital de fortune. Celui-ci fut investi par les soldats japonais. Les deux officiers responsables et la plupart des patients furent tués. Les sept femmes furent violées et quatre des bénévoles furent assassinées.
Au cours des huit mois suivants, elles furent enfermées à l'hôpital, en qualité de prisonnières de guerre. En 1942, elles furent transférées au Camp d'internement de Stanley pour les civils. Elles ne furent pas autorisées à emporter le moindre objet de l'hôpital, mais elles parvinrent à en dissimuler quelques-uns. Il s'agissait d'une cuvette de toilette, d'un couteau, d'une fourchette et d'une cuillère, mais elles se rendirent compte par la suite qu'elles avaient seulement besoin de la cuillère. Elles ne s'alimentaient que de soupe. Aucun aliment solide n'était au menu. Les hommes qui étaient déjà au camp ne s'étaient pas rasés depuis janvier, mais le jour où les femmes arrivèrent, ils avaient tous la peau lisse et nette. On lui fit voir la chambre qu'elle devait partager avec deux autres femmes. La pièce faisait 9 pieds x 12 pieds et elle était complètement nue. Les fenêtres avaient été criblées de balles, les murs étaient couverts de tâches de sang et le plâtre était fissuré. Certains des hommes leur dénichèrent des coussins de l'armée appelés «biscuits». Ils étaient plus minces et plus durs que les coussins Chesterfield, mais c'était tout de même mieux que le plancher. Des blattes volantes pénétraient par les trous des fenêtres; des punaises et des mille-pattes de grande taille tombaient du plafond. Plus tard, on leur fournit des lits pliants de campagne et leurs malles finirent par arriver. Elles n'avaient presque rien à manger, les gardes les surveillaient en permanence et elles ne savaient que faire pour tuer le temps. Enfin, en septembre 1943, un échange de prisonniers eut lieu et Mme Christie fut rapatriée.
Une fois de retour, elle constata que les Canadiens ne savaient pas vraiment ce qui se déroulait outre-mer. Une femme âgée lui demanda si elle avait eu suffisamment à manger lorsqu'elle était prisonnière de guerre. Elle lui répondit que certaines nuits, elle ne pouvait dormir en raison de la douleur que provoquaient les crampes dues à la faim. Elle se levait et buvait une petite gorgée de la «précieuse» eau dont elles disposaient et la douleur se dissipait. La femme âgée lui demanda ensuite pour quel motif elle buvait de l'eau; pourquoi n'ouvrait-elle simplement pas le réfrigérateur et ne se versait-elle pas un bon verre de lait frais.
Lorsqu'on lui demanda si elle avait eu peur lorsqu'elle était prisonnière de guerre, elle répondit « Nous n'étions pas seules dans le même bateau ».
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