JEANNE, LA GÉNÉREUSE
Pendant les vacances, pis pendant Noël, pis l'jour de l'An, j'allais faire
d'la cuisine pour remplacer ceux qui partaient en vacances,
pis quand y'n avait au camp qui travaillaient,
pis étaient en devoir, pis qui pleuraient, là, l'une restait un peu
en dehors de Québec, pis tout' ça, pis y avait pas...
J'allais trouver l'capitaine, pis j'disais : « Capitaine, moi, j'ai pas personne.
J'vais y donner ma passe... Ell' pleure, sa mère est malade...
J'vais prendre sa charge. » Moi, j'prenais la cuisine,
j'faisais du ménage, j'faisais n'importe quoi...
Mais eux autres arrivaient, là, l'un m'amenait un p'tit
morceau d'gâteau, là, l'autr', une boite de chocolat,
y m'apportaient des cadeaux. Pis moi, j'avais mon coin, mon lit là,
pis j'allais manger au baraques, [inaudible],
pis j'faisais du ménage.
TRAITÉE COMME UNE PRINCESSE
Les filles, y m'disaient toujours : « Aye! Bouchard, là... »
C'tait « Bouchard » qu'ça marchait, dans l'armée...
Not' p'tit nom, t'as jamais connu ça. Ça, y l'savaient,
si y voyaient qu'y avait que'que chose qui s'passait, pis eux autres partaient,
pis là t'sais, j'les voyais des fois, j'avais d'la peine, t'sais...
« Pleure pas, Bouchard... », pis tout' ça, « On va r'venir... »
pis quand y arrivaient, y avaient toujours des p'tits cadeaux.
« Maman t'envoye ça... » Les filles, y arrivaient... J'ai été traitée,
dans l'armée, comme une princesse. Mais compagnes d'l'armée,
là, c'était des... franchement, là... pas un mot à dire.
J'ai toujours été... pis, toujours, les filles étaient très gentilles.
Pis quand j'ai été en Ontario, jamais eu un mot... rien...
Pis, même, y en a qui m'ont montré... Y m'aidaient en anglais
j'tais pas parfaite bilingue, pis j'avais d'la misère des fois, là
y m'donnaient des cours, pis y m'aidaient,
y m'faisaient faire des devoirs...
JEANNE, LA CHARITABLE
Moi, j'ai vu un gars arriver, pleurer là. Y avait eu sa passe pour partir,
mais y avait pas d'paye, y avait rien. Pis lui, y gardait pas d'argent,
y envoyait ça à sa femme, les enfants... « Tu vas y aller... »
j'ai dit. « Attends un 'tit peu... ». Moi j'pars, pis j'vas chercher d'l'argent
à banque. Moi, j'avais un compte à la Banque Nationale.
Va chercher... « M'as t'prêter vingt piasses... »
Pis y dit : « D'un coup qu'j'm'en vais d'l'autr' côté ? »
« Si tu m'la rends pas, tu prieras
pour moi... Bonjour... »
Ben, savez-vous que trois après – y est parti, lui, y est allé voir
sa famille mais y avait pas d'argent dans ses poches, pis y s'est en
allé d'l'autr' côté – y est r'venu, lui, là. Y est v'nu pour m'rendr' mon argent.
« T'as trois enfants ? J'n ai pas besoin. R'garde, j'ai ma paye demain.
Garde-la, j't'a donne... J'te fais un cadeau. »
Dix piasses... C'était d'l'argent dans l'temps d'la guerrre.
J'ai jamais pris une cenne à lui. Y avait une famille, lui. Y avait sa femme...
Y était plus vieux qu'moi. Pis y était dans l'armée.
J'y ai jamais d'mandé une cenne... Ben, ces gens-là, j'les rencontre aujourd'hui, là,
pis c'est mes chums, hein ? Pis y s'souviennent de moi,
pis y s'souviennent c'que j'ai fait pour eux autres,
pis j'leur f'rai pas d'peine... Jamais...