Les mémoires de Gordie Bannerman
Instruction supplémentaire en Angleterre
Voilà que nous étions dans un nouveau pays avec de nouvelles coutumes et tout ce qui s'ensuit. Ces baraques étaient vieilles comme le diable. Elles avaient sans doute été construites une centaine d'années auparavant, les environs d'Aldershot ayant sans doute été choisis pour leurs vastes étendues de terre propices à l'entraînement d'un grand nombre de soldats. Quelque temps après notre arrivée en Angleterre, on nous a remis vingt-quatre canons de 25 livres tout neufs, frais sortis de l'usine. Juste avant Noël, nous avons eu un nouveau colonel. Il s'agissait du colonel Ken Landers, qui venait du régiment d'artillerie de campagne de la 11e Armée. C'était un homme très court et il avait fait partie de la Force permanente. Il s'est rapidement fait remarquer à cause de sa manie des conventions sur la tenue. On appelait les gars du régiment les Lys de Landers (Landers Lilies), un surnom dont la plupart des artilleurs se seraient passés. Mais au fil des années avec de la discipline et de la tenue, c'est devenu un régiment extraordinaire.
Pour tout dire, les vieilles baraques étaient carrément malpropres quand on les examinait de près. Elles étaient chauffées par des petits foyers, alimentés de coke. Les artilleurs logeaient à l'étage. Les canons et les tracteurs d'artillerie étaient rangés au rez-de-chaussée. Il y avait un immense terrain de parade pavé et, tout autour, les baraques. Bientôt, le terrain de parade n'avait plus de secrets pour nous, vu le nombre d'heures consacrées aux exercices de marche et de tir. Ici, il y avait des gardes armés de fusils chargés.
Les matelas dans les baraques avaient trois sections. Nous les appelions des biscuits. Certains artilleurs les appelaient des « maudits » biscuits. C'était des trucs horribles et malpropres. Les couvertures n'avaient pas été lavées depuis la guerre des Boers. Les artilleurs préféraient dormir dans leur uniforme. S'ils dormaient en sous-vêtements, bien vite ceux-ci devenaient noirs comme du charbon. Le capitaine Floyd Brooks, lors d'une inspection, a déclaré que les hommes étaient plus sales que des cochons. Mais Vic McCarthy est allé voir le capitaine pour lui expliquer que tout était tellement crotté que les hommes n'avaient pas le choix d'être sales. Vic a ajouté que nous n'avions ni savon, ni brosses à récurage et qu'en plus, les couvertures n'étaient même pas assez propres pour des animaux. Le capitaine Floyd Brooks s'est excusé auprès des hommes. Il s'est organisé pour qu'on nous donne du savon et des brosses à récurage et pour qu'on lave les couvertures.
Noël 1941 serait notre deuxième Noël loin de la maison, mais c'était loin d'être le dernier. Je pense que nous avons reçu du courrier juste avant Noël. J'avais déjà eu des nouvelles de ma grand-mère en Écosse, qui me souhaitait la bienvenue dans les îles Britanniques, et elle avait écrit à ma mère pour lui dire que j'étais arrivé à bon port, heureusement en Grande-Bretagne et pas à Hong Kong. Malgré toutes les pénuries, le repas de Noël du mess des sergents a été assez bon. Je me souviens du grand nombre de choux de Bruxelles. C'était le légume vert qu'on nous servait quasiment tous les jours, du moins ça nous semblait ainsi. Vu que j'étais jeune, je mangeais tout.
Comme j'avais beaucoup de parenté en Écosse, j'ai eu une permission avant Noël. J'étais fou comme un balai! J'allais en Écosse, l'endroit même où mes parents étaient nés. J'ai pris le train jusqu'à Londres, puis le réseau de transport souterrain pour traverser la ville, puis le train vers Aberdeen, et je suis arrivé au milieu de l'avant-midi après avoir voyagé toute la nuit. Quelle émotion pour moi de rencontrer finalement une famille à laquelle j'étais lié par le sang! Ma mère avait fait ses adieux à grand-père et grand-mère seulement vingt-deux ans auparavant, étant donné que papa et maman avaient émigré au Canada en 1919 à la fin de la Première Guerre, la guerre qui devait mettre fin à toutes les autres. Et voici que le deuxième de leurs petits-fils se retrouvait outre-mer pour combattre dans une nouvelle guerre. J'ai fait plusieurs autres voyages en Écosse au cours des deux années qui ont suivi, mais aucun ne m'a marqué autant que la première fois où j'ai rencontré toute ma parenté.
Au camp d'Aldershot, nous avions fière allure et, rapidement, nous nous sommes enflé la tête. Nous avions vraiment l'air de jeunes paons orgueilleux pendant les exercices de tir et de marche sur le terrain de parade, et dans tous nos comportements en général. Nous avions vingt-deux ans en moyenne, et la plupart d'entre nous n'avait jamais été aussi loin de la maison. Nous avions des canons tout neufs de vingt-cinq livres avec avant-train, le tout tiré par des quads Ford ou Chevrolet. En fait, le quad servait de tracteur d'artillerie. C'était un véhicule fermé qui traînait l'artillerie et la remorque et dans lequel montait l'équipe d'artilleurs. Le no1 était le sergent artilleur et, durant les déplacements, il se tenait debout à travers une ouverture percée dans le toit du quad, une position qui n'était pas enviable les jours de pluie, mais convoitée lorsqu'il faisait beau. Il pouvait voir dans les maisons par les fenêtres du premier étage quand les véhicules avançaient. Nous venions tout juste de recevoir nos canons, quand le 24e canon du régiment a pris un coin trop serré et s'est renversé. Le sergent a risqué la cour martiale.
Autre fait saillant en 1942, le 17e Régiment de campagne de l'Artillerie royale canadienne a défilé devant le roi George et la reine Élizabeth. C'était un grand honneur, car nous représentions toute la division, un honneur qui aurait dû revenir normalement à une unité d'infanterie. Nous étions le 24 mai 1942. Je rentrais d'une permission en Écosse et j'ai eu tout juste le temps d'emprunter l'équipement à sangles blanchi nécessaire pour porter durant le défilé. Le défilé s'est déroulé à la perfection. Au moment où les souverains nous ont inspectés, j'étais dans la première rangée et ils sont passés tout près de moi. La reine s'est arrêtée devant moi, mais ne m'a pas parlé. J'allais lui faire un clin d'œil, mais je n'ai pas osé. Ils ont continué jusqu'au bout de notre rangée et là, la reine s'est arrêtée et a adressé la parole au sergent Jack Parr et à Sid Robertson. Des photos ont été prises à ce moment-là, et elles ont servi aux campagnes de vente des obligations de la Victoire. En fait, j'ai vu la même photo, il y a environ vingt ans, sur des obligations d'épargne commémoratives.
Peu de gars du régiment sont près d'oublier l'année 1942 en Angleterre. Il y a eu de nombreux changements de personnel et de l'entraînement intensif. Nous sommes restés dans ce secteur jusqu'en août, mais nous avons fait de choses entre-temps. La manœuvre de Sennybridge au pays de Galles a été une expérience mémorable. Nous étions dans les monts Brecon et nous tirions de vrais obus. Certains artilleurs étaient excellents et, évidemment, d'autres l'étaient moins. Ici, les officiers observateurs ont reçu une bonne formation, qui a été très utile en fin de compte quand nous avons combattu en janvier 1944. Observer où tombaient les obus dans ce secteur rempli de faux sommets n'était pas facile même pour les meilleurs. Cet entraînement dans les monts et les vallées du pays de Galles a été très bénéfique.
Le champ de tir de Sennybridge était sous le commandement des Britanniques, et ils avaient l'intention de faire bâtir leurs routes par tous ceux qui s'en servaient. Donc, tous les hommes ont été conduits dans les montagnes et là, un sergent britannique effectuait un certain nombre de pas et chaque homme devait arracher le gazon, excaver jusqu'au cap et transporter la terre sur le bord du chemin. Le premier jour, les protestations ont fusé, mais malgré la neige abondante, les gars ont creusé et transporté de la terre toute la journée. Nous l'avons fait, même si ça nous a pris toute la journée. Il était important de faire sécher nos vêtements parce que revenions dans les collines le lendemain. Sid Robertson, un sergent artilleur de la troupe E, a dit qu'en travaillant ensemble, nous devrions pouvoir excaver notre bout de route en un rien de temps. Nous avions bon moral et avons creusé avec zèle. On aurait dit que la terre déferlait toute seule vers la route. Aux alentours de treize heures, nous avons achevé le bout de route qu'on nous avait donné à faire et, malgré les protestations des Britanniques, nous sommes rentrés au camp.
Et bien, ça ne se passe pas comme ça en Angleterre. Le commandant du camp, un colonel britannique, était furieux de nous voir rentrer de bonne heure. Et zut pour notre ingéniosité! Il nous a ordonné de retourner dans les collines le lendemain et de ne revenir que lorsque les Britanniques le jugeraient approprié. Le lendemain, ils ont dit qu'ils ne délimiteraient pas de section. Nous n'avions qu'à prendre les pelles et creuser jusqu'au moment où ils nous diraient d'arrêter. Les gars n'avaient pas l'intention de courber l'échine. Nous avons creusé beaucoup plus lentement, ce qui a enragé les Britanniques. Nous avons travaillé une pleine journée, mais en faisant moins que la veille. Une fois de plus, le commandant du camp était furieux, et notre colonel nous a servi une bonne remontrance. Les Britanniques se sont fait construire une route, oui, mais nous l'avons fait à notre manière. Les résultats du régiment sur le champ de tir étaient très bons; les Britanniques devaient bien admettre que nos artilleurs étaient excellents.
Après quelques semaines à Sennybridge au pays de Galles, on nous a dit de nettoyer à fond tous les canons et l'équipement. La boue des collines du pays de Galles était gluante et collait à tout. C'était une grosse corvée de tout nettoyer comme il faut! Dans mon groupe, il y avait des gars inventifs. Pour eux, la manière facile devait nécessairement être la meilleure. Stan Gillespie et Gordie Matheson ont donc suggéré de démonter les roues de nos canons et de l'avant-train. De cette façon, il serait possible de vraiment nettoyer à fond. J'étais le sergent. J'ai dit « c'est bien, faisons donc ça ». Nous venions de commencer et ça allait très bien quand se sont pointés le colonel Landers et le commandant du camp, accompagnés du major Bill Greenlay. Le colonel Landers s'est arrêté devant la scène et a dit : « Ça, sergent, c'est se servir de sa tête et faire bien les choses ». Je sentais les regards des autres sergents du régiment qui devaient bien se dire : ce lèche-bottes et ses hommes.
Nous étions pas mal fiers de la remarque du colonel. Dès qu'il a été parti, le major Greenlay a dit : « Qu'est-ce que vous essayez de prouver les gars? Ces roues vont tomber au bout de quinze milles. Je vais vous garder à l'œil tout le long de la route ». Autrement dit, il nous a menacés, moi et mon équipe. Le bon côté de l'affaire, c'est que Stan, Gord et les autres gars m'ont dit de ne pas m'en faire, qu'il n'était pas question que ces roues tombent une fois qu'ils les auraient remontées. Le major Greenlay est passé à côté de nous à plusieurs reprises à bord d'une motocyclette pour surveiller les roues. Chaque fois, il me sommait de me mettre debout, la tête dans l'ouverture du camion, dans la pluie et le vent. Dieu merci, les roues ont tenu. Il aurait bien aimé me traîner en cour martiale. Il faut se rappeler que le colonel était du bord de mon équipe et que le major Greenlay n'était pas notre major, mais celui de la 60e Batterie. Nous sommes tous rentrés à Aldershot pas plus mal en point après avoir construit des routes et été recouverts de boue dans le pays de Galles.
L'hiver et l'été de 1942 ont été marqués d'une diète régulière d'entraînement. Quelque part durant cette période, au début de 1942, j'ai passé un examen, car j'avais été choisi candidat officier. J'ai échoué la partie mathématique de l'examen, mais mes notes étaient suffisamment élevées pour que je me présente au brevet d'officier d'infanterie ou d'officier d'intendance. Le major Boulter de notre batterie m'a dit que ce choix me revenait, puis il a ajouté que les officiers d'artillerie menaient une plus belle vie et que j'aurais à nouveau ma chance. J'étais déçu, c'est vrai, mais que voulez-vous, la vie continue. J'ai passé l'examen une autre fois et, là encore, j'ai échoué les maths. Je suis resté avec mon unité depuis le premier jour jusqu'à ce qu'elle soit dissoute. Il m'est souvent arrivé de penser que j'avais eu un problème parce que j'écrivais vraiment mal.
Le régiment se déplaçait d'un secteur d'entraînement à un autre et de manœuvre en manœuvre dans tout le sud de l'Angleterre. En août 1942, nous étions dans un domaine appelé le manoir Chapelwood. Nous y étions pendant que se déroulait le raid sur Dieppe. Les Spitfire ont volé au-dessus de nos têtes vers la côte française toute la journée. Pas moyen d'oublier le bruit des canons et des avions. Nous ne savions pas où les combats se déroulaient ni ce qui se passait réellement. Nous ne l'avons su que le lendemain quand on nous a dit que la 2e Division canadienne avait attaqué Dieppe. La nouvelle de l'échec désastreux n'a pas tardé à nous parvenir.
Nous avons bientôt appris qui avait pris part au raid sur Dieppe. Le South Saskatchewan Regiment (SSR) était un des régiments de la 2e Division. Ce bataillon intéressait un bon nombre des gars de notre régiment (17e ARC), car nous connaissions beaucoup de types dans cette unité. Nous n'avons pas véritablement eu de contact avec eux avant mon anniversaire, le 13 septembre 1942. À ce moment-là, Bill Davies, qui avait deux frères dans le SSR, Orme Payne, son frère Kirk, et moi avons obtenu une permission de deux jours pour rendre visite au SSR. À notre arrivée à Horsham, nous nous sommes rendus dans le secteur du SSR pour trouver les frères Davies et George Goldbeck. Chose certaine, les frères Davies avaient des histoires d'horreur à raconter au sujet du raid et comment ils avaient survécu grâce à leur volonté de vivre et de s'en sortir indemnes.
Au manoir Chapelwood, dans le comté de Sussex, nous nous sentions chez nous. Nous vivions dans des baraques à toiture cintrée, réparties un peu partout dans le domaine. Les officiers logeaient dans le manoir, où ils avaient installé leurs chambres et leur mess. Le camp avait aussi un mess de sergents et d'adjudants. Nous avons connu de bons moments dans cet endroit. De là, le régiment se rendait dans les marais salés à Lydd pour faire des exercices de tir antichar avec de vraies munitions qui, au lieu d'être des explosifs de grande puissance, étaient perforantes et n'éclataient pas. L'expérience de viser des cibles tirées par des câbles à travers les dunes était exaltante. Le sergent artilleur devait observer la chute de l'obus et indiquer à son équipe les corrections à faire. Je sens encore la détonation lorsque je me tenais debout à côté du canon. Stan Gillespie était mon viseur d'arme et je dois admettre que je n'ai pas la moindre idée du nombre de cibles que nous avons atteintes. À Nutley, le régiment était affecté à la défense de la côte, et une batterie à la fois se rendait au square Brunswick à Hove, une ville située près de la côte. Notre batterie devait s'y rendre à la fin du mois de novembre.
Pendant que nous étions à Hove, C.D. Howe, le ministre de la Défense nationale du Canada, a visité le secteur. Toutes les unités canadiennes sous le commandement Sud-Est se plaçaient en formation à peu près au même moment sur l'ensemble du square Brunswick. Nous étions en rang sur un côté du square quand, soudainement, juste au-dessus des vagues, a surgi un avion allemand crachant des obus! Les gars les plus près de la côte ont aperçu l'avion volant tellement bas qu'ils avaient l'impression que les tracées de feu sortant des canons étaient les flammes d'un avion en feu. Floyd Brooks, alors capitaine, a crié aux hommes de se mettre à l'abri ou de se disperser. Nous avons atteint les portiques des maisons quelques secondes à peine avant que l'avion rugisse au-dessus de nos têtes, lâchant des obus à l'endroit même où nous étions quelques instants plus tôt. Je possède un fragment d'obus allemand de 20mm, ramassé là où je me tenais. Orme Payne était le plus près de l'avion qui s'approchait, et il a dit qu'il avait lancé un cri d'avertissement lui aussi. L'avion a grimpé au-dessus de nous et largué une bombe quelques rues plus loin. Personne n'a été touché, un vrai miracle. Beaucoup d'avions de chasse allemands se sont présentés dans le secteur ce jour-là. Leurs espions avaient dû les prévenir qu'il y aurait des rassemblements de troupes et ils ont essayé de nous avoir.
Après cette attaque aérienne surprise, nous avons compté les têtes et constaté qu'il n'y avait pas eu de perte. J'aimais bien, moi qui venais des Prairies, me balader au bord de la mer à Hove Brighton, le long du mur de défense, surtout quand les vagues étaient fortes et que l'eau salée m'aspergeait. Je me promenais souvent ici avec Nels Humble, vers la fin de la journée. Bien sûr, la plage et le fameux quai étaient fermés, et il y avait des mines sur la plage et du barbelé tout le long du mur de défense. Au début de décembre, on m'a appris que j'étais inscrit au cours de tactiques d'assaut de la 5e Division. J'ai commencé à m'entraîner un peu. Je courais et marchais des milles le long de la côte à Brighton et jusqu'à la ville voisine à l'est. Quand notre batterie est rentrée à Nutley ou un peu avant cela, je me suis présenté à l'école de tactiques d'assaut dans le domaine de Lord Abergavenny. Son domaine couvrait l'intérieur des terres jusqu'à la côte, et ses insignes était une tête de taureau et trois maillons de chaîne.
Le premier matin à l'école, c'est au son d'une formidable explosion que nous avons été réveillés. La détonation ne nous a pas simplement réveillés, elle a renversé quelques tentes. Le sergent ingénieur responsable de la charge explosive s'était laissé un peu emporté. Après m'être lavé et rasé à l'eau froide, je suis parti à la course prendre le petit déjeuner et j'ai trébuché dans le maudit trou laissé par l'explosion. Je me suis coupé la main, et des morceaux d'asphalte se sont logés dans la plaie. Il a fallu les extraire des tendons de la paume. Heureusement, la plaie a bien guéri avant le début du cours.
À l'arrivée, tous les nouveaux venus ont été transportés en camion et déposés à six ou sept milles du camp. Au son du pistolet de départ, il fallait retourner à la course à l'endroit où étaient montées nos tentes. Nous étions cent cinquante à courir, et certains gars couraient vraiment vite. Nous portions nos bottes, une chemise et des culottes courtes. Je me rappelle être arrivé environ seizième sur cent cinquante. Pas mal, ai-je pensé, considérant les côtes et la boue tout le long du parcours. Ce n'était qu'un échantillon de ce qui nous attendait au cours des vingt prochains jours, et sans doute le plus facile. Les vingt jours qui ont suivi ont été très particuliers. La moitié B du groupe de soixante-quinze hommes dont je faisais partie était dirigée par le capitaine Mahony (décoré deux ans plus tard de la Croix de Victoria en Italie au fleuve Melfa). Dans notre section, nous étions douze ou quatorze. J'ai perdu vingt livres en dix-neuf jours et je courais comme un lévrier. Je n'ai pas reçu le couteau de commando à la fin du cours, mais on a souligné ma bonne performance dans mon dossier.
L'école de tactiques d'assaut a été une expérience mémorable. Il n'y a pas un artilleur, et certainement aucun de ceux attachés à mon unité, qui voulait passer pour un flanc mou. Nous étions sociables, et nous sommes arrangés pour que tout le monde sache que le cours ne viendrait pas à bout de nous. Nous avons essayé de prouver au personnel et à tous les participants que les artilleurs étaient des durs qui pouvaient marcher, courir, tirer et ramper dans des ponceaux remplis de boue comme les meilleurs d'entre eux. Je dois admettre que je n'étais pas très bon aux exercices à la corde, comme celle de s'accrocher à une corde avec les pieds et d'avancer en déplaçant une main après l'autre pour traverser une carrière de pierres. Un caporal dénommé Smith, qui appartenait au régiment Westminster, était devant moi pour cet exercice quand il a perdu connaissance, je crois, et est tombé tête première sur les pierres. La corde a donné un violent contrecoup, et j'ai bien vu que je ne pouvais plus tenir, alors je me suis laissé tomber. Et tout le temps, j'entendais l'instructeur crier : « Bouge! Dépêche-toi! ». C'est ce que j'ai fait. Je n'ai pas revu le caporal Smith. Les infirmiers l'ont recueilli, et j'ai su qu'il s'était remis et était retourné à son unité.
J'étais habituellement jumelé avec Hoot Gibson dans les exercices où il fallait ramper sous le feu des mitrailleuses ou pour d'autres tâches difficiles. Nous étions toujours volontaires pour partir les premiers. De cette manière, quand nous avions fini, nous pouvions regarder les autres pauvres types faire ce que nous venions de faire. Quand ils prenaient des tireurs d'élite pour tirer pendant que nous rampions dans les couloirs de tir, les gars s'amusaient à voir combien de balles ils pouvaient tirer dans les sacs de sable qui balisaient le couloir. Explosifs, chambres à gaz, ramper à travers des ponceaux remplis de boue, grimper vingt pieds dans les airs et comme tu te prépares à t'élancer par-dessus un fossé plein d'eau, les instructeurs le font exploser et te donnent l'ordre de sauter. Et tu sautes et tu te ramasses recouvert de boue et d'eau puante. Puis, on t'ordonne de courir et tu cours. Eh! oui, nous nous sommes amusés comme des petits fous, c'est certain. Chaque jour les rangs diminuaient, car les gars n'en pouvaient plus d'endurer le harcèlement ou de fournir l'effort physique.
Dans une autre manœuvre, on nous transportait la nuit dans un camion tous feux éteints jusqu'à Dieu sait combien de milles du camp. On nous déposait deux par deux, et nous devions nous organiser pour vivre et revenir au point de départ sans prendre d'autobus ni de train. J'ai fait équipe avec Hoot Gibson. Nous savions bien lire les cartes et avons franchi toutes les étapes prévues. Une unité d'artillerie britannique a cru que nous étions des espions allemands. Ils nous ont séparés et ont interrogé Hoot, qui leur a prouvé assez vite qui nous étions. Hoot a dormi dans les quartiers des officiers et moi, dans les quartiers des sergents. Les gars nous ont donné le dîner et le petit déjeuner. Des bons gars. Nous sommes rentrés au camp en marchant sur une bonne distance et en faisant du pouce pour le reste. Nous avons fait notre rapport, et après une bonne nuit de sommeil, nous étions prêts à recommencer à courir et à tirer.
Je pense que le plus grand exploit réalisé par notre section a été de marcher quarante-trois milles la même journée, vingt-six milles de jour et dix-sept milles, le soir, après avoir mangé. Aucune autre section n'a accompli une prouesse semblable. Ils en ont parlé un an plus tard dans un article du Toronto Star où il était question de l'école d'enfer du major Brady ou de quelque chose du genre. Et oui, c'était amusant, c'est certain. Mon bon ami Hoot Gibson a reçu le couteau de commando pour sa détermination et son cran à toute épreuve au cours de ces trois semaines éprouvantes.
L'école de tactiques d'assaut de la 5e Division était une école dure. Après la guerre, beaucoup de gars qui ont suivi le cours ont avoué que dans les vraies batailles, ils n'avaient pas eu à faire autant d'efforts physiques qu'à l'école. C'est possible, mais au moins à l'école, il n'y avait pas le stress mental de se sentir en danger de mort à tous moments. Du moins, moi je ne l'avais pas. Je suis allé en permission quelques fins de semaine à Ewell. À ma première permission, mon tendon d'Achille me faisait souffrir au point que j'arrivais à peine à marcher, mais j'avais en tête de bien réussir et je ne voulais pas abandonner le cours. À ma deuxième permission, j'ai pu soigner d'autres blessures. J'ai réussi à terminer le cours.
Le jour de la marche de quarante-trois milles, des gars de la section m'ont fait remarquer que Grouchy boitait péniblement. Nous nous sommes arrêtés et lui avons fait enlever sa botte qui dégoulinait de sang. Son talon ressemblait à de la viande hachée! Le talon de sa botte s'était détaché, et les longs clous avaient pénétré dans son talon. Quel gâchis! Les instructeurs ont suggéré de le laisser sur place et qu'on envoie un camion le récupérer. Grouchy s'y est opposé avec véhémence. Donc, en se servant d'une baïonnette, nous avons retiré les clous de son talon, replacé le talon de sa botte et repris la marche. Comme l'a dit Grouchy, nous avons commencé ensemble, nous allons finir ensemble. J'ai vu Grouchy plus tard. Il était sergent sur la ligne Hitler, puis je l'ai revu une autre fois alors qu'il était sergent quartier-maître de compagnie sur la ligne Gothic. Grouchy s'est fait tuer sur la ligne Gothic.
Blackie Rowe, un gars du Perth, qui s'est distingué pendant toute la campagne d'Italie, était aussi un de mes camarades de l'école de tactiques d'assaut. Blackie a reçu la Médaille de conduite distinguée, une récompense prestigieuse, pour avoir mené une charge à la baïonnette en Italie.
Une fois le cours de l'école de tactiques d'assaut terminé, tous les sergents sont revenus à l'unité. Le colonel s'attendait à ce que nous montrions au reste du régiment ce que nous venions d'apprendre. Je suis sûr que ça ne nous a pas rendus très populaires auprès des gars. Nous étions en excellente condition physique et pouvions courir des milles de distance en grimpant des côtes. Nous pouvions tirer de la hanche avec un fusil, une mitraillette Thompson ou une mitrailleuse légère Bren. Parfois, nous amenions les troupes en manœuvre la nuit pour leur apprendre la lecture de cartes. C'était un très bon entraînement pour tout le monde, et il fallait trouver certains points de référence à la noirceur, dans un certain délai. Le sergent Stickney et moi avons fait aussi bien que n'importe qui d'autre avec la troupe E, et nous avons trouvé tous les points de référence.
Bientôt, ce fut notre deuxième Noël loin de la maison. Nous avons passé Noël 1942 au manoir Chapelwood, dans le Sussex. Si nous avions pu voir l'avenir ce Noël-là, nous aurions su que nous irions en Italie en 1943, que Stickney serait blessé et que la guerre serait finie pour lui en août 1944. Le séjour à Chapelwood a permis de resserrer les liens entre les sergents de la 76e Batterie. Notre esprit de camaraderie a survécu toutes ces années, et nous éprouvons encore les uns pour les autres des sentiments indescriptibles. Nous avions de l'humour à revendre, et il n'y avait pas de jalousie entre nous. Nous formions une bande d'amis tricotés serrés, plus proches que des frères.
Le reste du temps passé au manoir Chapelwood a été occupé : d'autres exercices de tir, de grandes manœuvres portant des noms comme Spartan et Gunbuster, le creusage de trous pour les canons là où c'était permis, puis le remplissage. Bon exercice, disaient-ils. Chose certaine, tout ce creusage nous a servi quand nous avons engagé le combat. À part les déplacements dans le pays, des exercices de tir et des mouvements de troupes, il restait peu de temps pour faire autre chose. Un peu après Noël, j'étais à l'infirmerie avec une fièvre quand quelques avions de chasse allemands ont survolé le camp. Je suppose qu'un des pilotes avait remarqué des véhicules militaires ou nos baraques, va donc savoir à la vitesse qu'ils allaient. Toujours est-il qu'il a tiré un obus. Il a frappé une grange plus loin sur la route et tué une vache. Personne n'a été blessé parmi nous.
Notre séjour au manoir Chapelwood s'est terminé. Le régiment a été escorté dans Londres selon un plan bien précis. Aucun arrêt pour quoi que ce soit, tout simplement avancer et sortir de la ville. Nous avons traversé Londres et puis Norfolk vers Attleborough, la destination de la 76e Batterie. Un bel endroit, mais, encore une fois, nous étions beaucoup trop occupés pour en profiter. Le temps a passé vite à Attleborough, avec beaucoup de manœuvres : Rabbit, Hardtack, Grizzly. Une manœuvre portant le nom de Snaffle s'est déroulée avec la division blindée polonaise et a pris fin avec le départ du régiment vers Windy Ridge dans la région de Winchester.
Nous avons immédiatement baptisé le camp de Winchester, Windy Ridge. Le camp était situé dans la réserve d'eau potable de la région. Par conséquent, la règle était que toutes les déjections humaines et autres déchets devaient être brûlés. Ce sont quelques-uns de nos hommes qui ont écopé de la détestable tâche de faire brûler les excréments, une corvée dont ils se souviendront toute leur vie. Dans cet endroit, nous avons trouvé des champignons comestibles, et je me rappelle en avoir préparé une grande chaudronnée. Et évidemment, nous avons pris quelques verres pour faire descendre les champignons.
Le mois d'août s'est écoulé et, en septembre, l'unité a participé à un exercice de censure du nom de Harlequin. Nos véhicules ont été mis à l'épreuve de l'eau, alors vous pouvez imaginer les folles rumeurs qui ont circulé. À la fin, on nous a fait marcher jusqu'au quai de Southampton, je crois. Nous avons aperçu un vaisseau et c'est tout. Pas de voyage, simplement un exercice. On nous a donné quelques heures pour nous reposer pendant que nous attendions les transports pour le retour. Soudainement, les sirènes ont retenti et les canons antiaériens ont tiré. Nous pouvions voir seulement deux ou trois traînées de condensation à ce qui nous semblait être des milles dans les airs. Après un barrage impressionnant de tirs, nous avons aperçu un faible éclair là-haut dans le ciel, comme si quelqu'un avait craqué une allumette, tellement c'était loin. Bientôt, cet objet à peine discernable a commencé sa chute vers la terre. Les canons ont cessé de tirer et, autour de nous, fusaient les hourras des artilleurs antiaériens. Il a fallu un temps fou avant que l'avion abattu tombe. Les journaux du lendemain rapportaient qu'un avion d'observation allemand avait été abattu à une altitude record de quelque 37 800 pieds B soit plus de sept milles dans les airs. Les Britanniques n'avaient jamais frappé un avion à une telle altitude auparavant.
À partir de Windy Ridge, nous avons participé à beaucoup d'exercices de tir, notamment à Sennybridge, au pays de Galles, puis à Alfriston et à Larkhill, tous des champs de tir. Nous avons surtout passé du temps à creuser des trous pour les canons et des tranchées de tir. Évidemment, il fallait aussi les remplir. Ça semblait plaire au colonel Armstrong de nous faire creuser vu que c'est lui qui en donnait l'ordre. En octobre, le régiment s'est déplacé à Heathfield, et on nous a dit que nous irions en Irlande nous entraîner avec les Américains et en nous servant de leur équipement. Rendre nos canons, ceux-là mêmes que nous avions appris à tant aimer? C'est vrai. Nous aimions nos canons de vingt-cinq livres, d'excellents canons en somme. On nous a remis des mitraillettes Thompson au lieu des Sten. Armés de cette façon, nous étions convaincus d'être bientôt armés uniquement d'équipement américain. Le 25 octobre, la manœuvre Timberwolf a été lancée, destination Liverpool. De là, nous devions embarquer pour l'Irlande à partir du port où nous avions débarqué près de deux ans auparavant.
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