Les mémoires de Gordie Bannerman
Enrôlement et instruction
La guerre a éclaté en septembre 1939, alors que j'allais avoir dix-huit ans. Il m'était impossible de m'enrôler dans le service actif à ce moment-là. J'étais en douzième année et j'espérais bien obtenir mon diplôme. Au printemps 1940, comme notre professeur faisait partie de la 60e Batterie de campagne de l'Artillerie royale canadienne (milice), nous étions quelques-uns à nous rendre, une fois par semaine, au village d'Aneroid pour des exercices de tir. Je n'en pouvais plus d'attendre de pouvoir m'enrôler.
À l'époque, les Alliés avaient été expulsés du continent à Dunkerque. Je me souviens de mon père, un ancien combattant de la Grande Guerre, les larmes aux yeux, disant : « Si j'étais assez jeune, j'irais voir si je peux aider ». L'été arrivé, j'ai participé avec trois camarades au camp estival de Dundurn (camp militaire en Saskatchewan). Nous y étions depuis environ dix jours quand le 14e Canadian Light Horse (régiment de cavalerie légère) a été déployé pour service actif. Mes copains ont dit qu'il fallait attendre le déploiement de la 60e Batterie, alors nous avons pris le train et sommes rentrés à la maison. Quelques jours plus tard, la 60e Batterie était appelée en service actif. J'avais dix-huit ans et Orme, mon camarade d'école, aussi. Nous en avons parlé ensemble à quelques reprises au téléphone, puis à nos parents et, voilà, nous sommes partis.
Nous sommes allés à Aneroid, un voyage d'une quarantaine de milles, et nous nous sommes enrôlés. Quand l'officier m'a demandé quel âge j'avais, j'ai dit, « Mais, vous le savez! », vu qu'il avait été mon professeur cette année-là. J'ai répondu « dix-huit ans ». Il m'a demandé si j'avais l'autorisation de mes parents, et j'ai dit oui. Tout bas, il a dit qu'il allait inscrire dix-neuf ans, et cet écart m'a suivi jusqu'à mon retour à la vie civile en 1946. Donc, la grande aventure allait commencer. On était le 23 juillet 1940. Nous étions en service actif et de fiers membres de la 60e Batterie de campagne de l'Artillerie royale canadienne (ARC), Armée active du Canada.
Nous étions parmi les premiers arrivés à Aneroid, Saskatchewan, pour joindre les rangs de la 60e Batterie ARC. On nous a logés pendant quelques jours dans des familles parce que les tentes et la cuisine n'étaient pas encore installées. Puis le 23 juillet 1940, nous avons subi l'examen médical, et ceux qui l'ont réussi ont prêté serment d'allégeance à SAR George VI et se sont engagés à servir dans les forces armées pour toute la durée des hostilités et une année après si jamais Sa Majesté le jugeait indiqué. On nous a alors attribué un numéro matricule; le mien était le L35064, « L » pour le district militaire no12.
Les tentes sont arrivées et, à partir de ce moment, nous ne logions plus dans les familles et ne mangions plus au café. Les tentes ont été montées en rangées et on nous a distribué notre équipement : casques coloniaux pour les exercices d'été, chaussures d'armée avec bande molletière, chaussures sport, sous-vêtements, chemises, culottes courtes, nécessaire à barbe avec rasoir et blaireau, brosses à chaussures et même un nécessaire de couture avec des bouts de laine et des aiguilles pour repriser les chaussons et des boutons de remplacement. Nous étions quatre par tente. On nous a distribué des couvertures et une paillasse qu'il fallait remplir de paille obtenue d'une ferme voisine et qui nous servait de matelas. La 60e Batterie comptait quelques officiers de la milice, des sergents et un sergent-major de la Première Guerre. Nous étions véritablement dans l'armée! Les corvées de garde et de cuisine ont marqué nos débuts. Et l'appel des noms du matin! L'instruction n'était pas trop exigeante au début vu que de nouveaux gars arrivaient chaque jour, jusqu'à ce que la batterie fasse le compte avec quelque deux cents hommes.
La GRC avait épinglé quelques clochards dans les trains de marchandises et nous les a laissés avec l'option de s'enrôler ou de faire de la prison pour vagabondage. Pendant un mois à Aneroid, nous avons fait de la marche et des exercices, apprenant à connaître nos confrères artilleurs. À vrai dire, nous nous trouvions pas mal bons et intelligents. C'était à qui surpasserait l'autre pour impressionner et attirer l'attention des filles de la localité, qui étaient assez nombreuses. Nous avions une bonne équipe de base-ball. J'étais le lanceur et Orme, mon camarade d'école, le receveur. Pour le moment, nous portions des culottes courtes et des chemises à manches courtes, mais nous avions hâte de revêtir nos tenues de combat pour montrer que nous étions en service actif. Quelle idée de vouloir porter l'uniforme dans la poussière, la sécheresse et la chaleur de la Saskatchewan! Finalement, on nous a distribué nos tenues de combat, j'ai revêtu la mienne et je suis allé à une danse pour la montrer. Ça m'a valu la pire irritation aux aisselles de l'histoire. Voilà pour la vanité!
Nous sentions que notre séjour à Aneroid serait bientôt chose du passé et que des événements importants se préparaient. Nos dernières semaines à Aneroid ont été occupées à faire la connaissance des nouveaux venus qui allaient, pour la plupart, être nos amis et nos camarades artilleurs pour les six prochaines années. Mais nous pensions que la guerre serait terminée bien avant que nous puissions combattre. Nous avions tort!
On nous a donné la consigne que nous pouvions inviter nos familles à la batterie, le dimanche suivant. Nous étions à la fin du mois d'août 1940. Le lundi, on nous a dit que, dans les jours suivants, nous partirions pour Indian Head, Saskatchewan, là où la 76e Batterie, notre batterie sœur, était déployée. La dernière journée, nous avons démonté, roulé et remisé les tentes. Nous avons préparé nos havresacs et dormi à la belle étoile de façon à ce qu'il ne nous reste qu'à manger et à prendre le train le lendemain matin pour Indian Head. Au matin, nous avons pris le petit déjeuner, marché jusqu'à la gare et attendu que la grande aventure commence. Nombreux étaient ceux qui n'avaient jamais pris le train. L'attente était fébrile et, bien sûr, nous promettions d'écrire et de ne jamais oublier nos amis et les filles d'Aneroid.
Le train est entré en gare et, par cette chaude journée d'été, nous étions enfin installés sur nos banquettes et en route. Le train était plutôt lent. Certains gars avaient l'air maussade, surtout ceux qui étaient mariés et qui venaient de laisser sur le quai de la gare d'Aneroid une femme et une famille en pleurs. J'étais assis à côté de Joe Schwarek, et nous avons passé le temps à nous demander ce qui pouvait bien nous attendre et à surveiller l'approche de la prochaine station. La ligne du chemin de fer longeait le Sud de la Saskatchewan et, à un moment donné, elle bifurquait vers le nord en direction de Moose Jaw, Saskatchewan. Ici, le train s'est arrêté un bon bout de temps. Bon nombre de nos artilleurs venaient de Moose Jaw, leurs femmes et leurs copines s'étaient rendues à la gare pour leur dire bonjour et les serrer dans leurs bras et se faire embrasser.
Quelques-uns des gars les plus assoiffés qui connaissaient des chauffeurs de taxi de Moose Jaw se sont cotisés pour faire monter de la bière en quantité dans le train. Le trajet de Moose Jaw à Indian Head a été une grande beuverie. À l'arrivée à Indian Head, nous sommes descendus du train, et le sergent-major a donné l'ordre de former les rangs pour marcher vers le casernement. Nous l'avons fait, et le major Jacobs a ordonné le garde-à-vous. Sept ou huit artilleurs ont piqué du nez, complètement sans connaissance, résultat d'un mélange d'alcool, d'un manque de nourriture et d'une chaleur torride. Quel spectacle! Notre batterie sœur et des dignitaires étaient présents pour marquer notre arrivée. Nous avons marché, certains traînant derrière, et d'autres ont été entassés dans des camions et conduits au manège militaire. Je pense que tout le monde s'est effondré en arrivant. Il y a même des fenêtres qui ont été cassées dans le train.
Il y a eu une inspection médicale sur-le-champ parce que certains membres de notre batterie avaient la rougeole. On a placé ceux qui ne l'avaient jamais eue dans une section, une sorte de quarantaine, et ceux qui l'avaient eue, enfants, dans une autre section. Il y avait un peu d'animosité entre la 76e Batterie et la nôtre, la 60e, qui était arrivée en si piteux état. Ceux qui avaient la rougeole pouvaient boire à certains robinets, et les autres devaient boire à d'autres robinets. La deuxième journée, un des gars de notre groupe s'est rendu boire au robinet qui nous était assigné et c'est alors qu'un type en culottes vraiment très courtes, arborant deux galons, une moustache rousse et des lunettes nous est tombé dessus en hurlant que nous ne devions pas boire d'eau de ce robinet. Nous l'avons informé que ce robinet était bien le nôtre, et il est reparti en maugréant. Nous nous sommes tous demandé quelle mouche avait bien pu le piquer.
C'était notre premier contact avec le bombardier George Hegan. Les officiers qui nous accompagnaient ont passé ce qui a semblé être des jours en réunion. L'enjeu de ces réunions était la fusion des deux batteries de campagne en une seule. Les rencontres ont eu un résultat plutôt décevant. La nouvelle batterie allait s'appeler la 60e/76e Batterie de campagne et aurait trois troupes : A, B et C et un poste de commandement. Notre major, le major Clive Jacobs, serait le capitaine de la batterie. Le commandant serait le major Boulter, que beaucoup de gars de notre batterie connaissaient, car il avait été professeur d'école en de nombreux endroits du Sud de la Saskatchewan. Les affectations ont été affichées, et il y a eu un véritable branle-bas devant le babillard pour savoir à quelle troupe nous appartenions.
La fusion a donné lieu à des promotions et, à compter de cette date, je me suis retrouvé sergent suppléant dans la troupe B. Fantastique! Nous étions à quelques jours seulement de mon 19e anniversaire! Avec le recul, une telle responsabilité si tôt dans la vie m'est toujours restée collée. En y repensant, il m'arrive souvent de croire que ce sens des responsabilités a été une malédiction. Dès le moment où tu devenais sous-officier, tu étais exclu du groupe auquel tu appartenais à peine quelques jours plus tôt. Ton rôle était très différent, et tu espérais que la tête n'allait pas t'enfler au point où tes camarades artilleurs, ceux avec qui tu partageais une tente la veille, allaient se mettre à te haïr. Maintenant, tu occupais la tente des sergents de la troupe B qui étaient, pour la plupart, plus âgés et avaient des années d'expérience dans la milice.
Être promu à sergent suppléant signifiait que j'allais gagner 1,90 $ par jour, une véritable fortune. Le salaire d'un artilleur était de 1,30 $ par jour. À présent que nous faisions partie d'une troupe, l'instruction s'est s'intensifiée. Vu que nous n'avions pas de pièces d'artillerie, l'instruction comportait des tours de garde, des marches d'entraînement et des exercices en rangs serrés. Et puis, on nous distribua d'autre équipement. Ils nous ont distribué de l'équipement à sangles ici. Comment faire pour tout assembler? Personne n'avait utilisé ce genre d'équipement auparavant, mais tout allait ensemble : le gros sac à dos, la gourde, le tapis de sol. Les casques d'acier sont arrivés plus tard. Pendant notre séjour ici, une journée familiale a été organisée. J'ai été présenté à certaines des épouses des gars en tant que leur sergent.
Je m'étais mis en tête que je réussirais et que je deviendrais un sergent artilleur et que si la guerre se prolongeait et que je survivais, je deviendrais officier! La discipline, pour moi, c'était facile. De toute évidence, je me prenais assez au sérieux et j'imagine que j'ai dû perdre quelques camarades artilleurs à cause de cela. Mais au fil des années, j'ai toujours été quelqu'un sur qui les gars pouvaient compter quand ils avaient besoin d'un ami et j'étais capable de plaider leur cause quand ils avaient des ennuis. J'étais sous-officier, et les artilleurs savaient que je n'avais qu'une parole. Notre séjour à Indian Head fut bref et, bientôt, nous nous sommes préparés à partir. On nous a informés que nous allions partir dans les jours suivants, ce qui fait que nos proches ont pu venir nous faire leurs adieux.
C'est ici que tu te faisais des amis pour la vie et que tu découvrais ceux qui connaissaient le tabac, ceux qui étaient lèche-bottes et ceux qui aimaient la vie. C'est ce dernier groupe qui comptait le plus. Certains hommes n'ont pas survécu, mais ils aimaient la vie et vivaient dans le moment présent. Quelques-uns de mes meilleurs amis ont été promus ici. Orme Payne, avec qui j'étais allé à l'école, avec qui j'ai fait toute la guerre et qui est rentré avec moi, était parmi eux. Nous avons quitté Indian Head en train, le 4 octobre 1940, pour rejoindre un autre train à Portage La Prairie. Cet autre train transportait la 37e Batterie de campagne. Notre destination était Petawawa, Ontario, un endroit longé d'un côté par la rivière des Outaouais et de l'autre par la rivière Petawawa. À notre arrivée au camp, nous nous sommes retrouvés dans les dernières rangées de baraques, étant donné que le camp grossissait pour recevoir des centaines d'hommes supplémentaires. Les rangées étaient classées par ordre alphabétique. La nôtre était la rangée V.
Petawawa serait notre chez-nous pour les treize prochains mois, mais nous ne le savions pas encore. Une fois installés dans le camp, nous avons appris que des membres de la 37e Batterie avaient fait partie du détachement précurseur et étaient arrivés à Petawawa quelques jours avant nous. Dès le départ, il y a eu de la jalousie et de la mesquinerie entre la 37e Batterie et la nôtre, la 60/76e. Les membres de la 37e venaient de Portage La Prairie, Manitoba, de Kenora, Ontario et d'autres municipalités ontariennes, tandis que ceux de la 60/76e venaient de petits villages de la Saskatchewan.
Quel soulagement pour tout le monde de se retrouver dans des baraques après avoir passé nos premiers mois dans l'armée sous la tente! Les baraques étaient en forme de « H » et, dans chaque patte du « H », il y avait au moins quatre-vingts hommes qui couchaient dans des lits superposés. Dans l'intersection des deux pattes, il y avait la salle de bains et la salle de séchage. Chaque patte avait son poêle chauffé au charbon et au bois et un long tuyau de poêle qui sortait à l'extérieur. Les plantons entretenaient le feu durant la nuit. Les poêles devenaient rouges tellement la chaleur était intense et, parfois, par accident ou malfaisance, quelqu'un se levait et se vidait la vessie pleine de bière Black Horse sur le poêle rougi. Je vous laisse imaginer l'odeur nauséabonde qui assaillait les narines de tous les occupants de la baraque et les invectives à l'endroit de la personne qui pissait.
Parfois, les occupants d'une patte du « H » lançaient une razzia contre l'autre patte. Tout cela après le couvre-feu. Le cri de ralliement était « préparez-vous à repousser les frontières » et, dans le reflet rouge de la fournaise, cinquante artilleurs s'engageaient dans un combat d'oreillers. Les plumes volaient et, occasionnellement, les tuyaux de poêle tombaient. Après une bonne sortie, nous faisions le ménage, tout ça, sans allumer de lumière. Les plumes étaient bourrées dans les oreillers, les tuyaux de poêle réinstallés et les baraques remises à l'ordre à temps pour l'inspection du matin. Il faut se rappeler que la plupart de ces soldats n'étaient que des garçons avec quelques types plus âgés, qui devaient bien avoir tout au plus une trentaine d'années. Nous pouvions toujours prendre une douche.
Je logeais dans la baraque des sergents de la 60/76e, je mangeais dans le mess des sergents et je prenais un verre dans le bar ou le mess des sergents. Les autres grades avaient leur cantine, et les officiers avaient un mess, muni d'un bar dont des artilleurs de service s'occupaient. Petawawa était un grand camp militaire, et d'autres unités d'artillerie s'y trouvaient. Il y avait des centaines d'hommes de tous les grades. Le Corps royal du génie canadien avait une cantine appelée Merry Sappers Canteen (cantine des joyeux sapeurs). Cette cantine était fréquentée par quelques ingénieurs noirs qui avaient fait la Première Guerre mondiale. Ces gars avaient franchi la quarantaine, et je peux encore les imaginer. Des coquins comme eux, il y en a peu. Nous étions des jeunes gars des Prairies, pas habitués de voir des Noirs à moins qu'il ne s'agisse de préposés de wagons-lits dans un train ou des joueurs d'une équipe de balle itinérante appelée Colored House of David. Ces vieux types sympathiques ont sans doute fait marcher tous les gars à un moment ou l'autre dans le but de se faire offrir un verre. Ils étaient imbattables. Je me souviendrai toujours de leur rire et de leur sens de l'humour. Et puis, ces types connaissaient la guerre, et ils avaient survécu.
L'Armée du salut, le YMCA et les Chevaliers de Colomb avaient chacun leur baraque où ils vendaient de la nourriture, des tablettes de chocolat et des souvenirs et fournissaient gratuitement le nécessaire pour écrire. L'Armée du salut, appelée aussi Sally Ann, était le meilleur endroit. Le major Watters et maman Watters, c'est ainsi qu'il appelait sa femme, s'en occupaient. Le major savait repérer un gars qui s'ennuyait de chez lui et le manœuvrer en direction de maman Watters et d'autres dames à l'instinct maternel, qui lui offraient une tasse de thé, ajustaient son uniforme et cousaient les insignes de son unité. Je ne les ai jamais oubliés! À l'heure de la fermeture, ils distribuaient les biscuits et les beignes qui n'avaient pas été vendus. Aucun des autres clubs de bienfaisance ne faisait cela.
La vie dans un grand camp militaire était une expérience nouvelle à coup sûr pour la majorité d'entre nous et, chaque jour, il se passait quelque chose de nouveau. Se faire aux bières fortes de l'Est du pays, comme la Black Horse, la Molson's, la Kingsbeer et la Carling Red Cap, n'était pas de tout repos, surtout que la plupart de ces bières étaient servies dans des bouteilles d'une pinte. L'instruction commençait à changer. La majorité des officiers de notre batterie suivait des cours pour valider leurs compétences de base comme officiers d'artillerie, ce qui fait que les officiers de la 37e Batterie dirigeaient les manœuvres sans arme. Ils n'étaient pas des plus plaisants avec nous, les gars de l'Ouest. Ils avaient le tour de mettre le doigt sur les défauts de nos soldats et sous-officiers, parfois par pure malice. Ils contrôlaient le garage et la remise des canons, et la tension montait d'un cran quand nous ramenions un véhicule et qu'ils signalaient chaque égratignure ou petite tache. Mais, en gars fiers des Prairies, nous rongions notre frein et ravalions nos injures.
On avait l'impression de passer des heures à faire des exercices sur le terrain de parade et de consacrer très peu de temps à apprendre les rudiments des canons. Les canons en question étaient deux canons de dix-huit livres, des pièces d'artillerie de campagne héritées de la Première Guerre et montées sur des pneus de caoutchouc. Ils étaient rangés dans une remise à canons, vu que l'hiver approchait et qu'on pouvait, quelle que soit la température, s'entraîner sur ces canons. Plus tard, nous avons reçu des obusiers de 4,5 et d'autres canons de dix-huit livres qui étaient gardés à l'extérieur au printemps avec les quads, c'est-à-dire les camions qui servaient à déplacer les canons. Il fallait aligner tout cela bien en ordre dans le secteur des pièces d'artillerie.
C'est à ce moment que beaucoup de nos hommes qui étaient mariés ont commencé à s'ennuyer du foyer. Ils étaient loin de chez eux, et leurs femmes leur écrivaient sans doute que c'était difficile à la maison sans eux et que les enfants étaient turbulents. Ou, dans certains cas, les femmes n'écrivaient pas et elles étaient vues aux danses locales en compagnie d'aviateurs des bases d'entraînement du Commonwealth. Aussi, pour bon nombre, la discipline était difficile à prendre. Dans mon cas, je prenais tout ça avec un grain de sel et je gardais ma bonne humeur. Je trouvais que c'était bien mieux ainsi. Le programme de la journée était toujours le même et bientôt, c'est devenu normal. À chacun son tour d'être sergent de garde, sergent de service et d'entraîner les recrues. Entre ces corvées, j'écrivais beaucoup de lettres et je buvais ma part de bière au mess. J'essayais tout le temps d'être un bon soldat.
En 1940, nous sommes au camp Petawawa. C'est presque Noël. Nous espérions pouvoir rentrer chez nous pour les Fêtes, car nous n'étions pas retournés à la maison depuis la fin de septembre. Je faisais partie du premier groupe à recevoir une permission pour Noël. Nous avons averti nos parents, et bien sûr nos copines qui nous attendaient, que nous allions arriver en train à telle date. Nous étions tous pas mal excités à l'idée de rentrer chez nous. Des vendeurs de tenues militaires bleues se sont présentés au camp à ce moment-là. Ils ont pris les mesures des gars pour leur confectionner des uniformes. Je pense qu'un uniforme fait sur mesure pouvait coûter environ trente dollars. Quand les premiers uniformes ont été livrés au camp, j'ai trouvé qu'ils avaient l'air de piètre qualité.
Mais voilà qu'en passant dans une très bonne boutique à Pemberton, j'ai aperçu un mannequin vêtu d'une tenue bleue superbe, qui arborait même les galons de sergent suppléant. Il me la fallait à tout prix. Et si ma mémoire est bonne, je pense qu'elle devait bien coûter près de soixante dollars, une vraie fortune. Mais il me la fallait! J'ai fait venir l'argent de la maison et je l'ai achetée. La journée du départ n'en pouvait plus de se faire attendre et, lorsque le temps est venu de nous remettre nos autorisations de permission, je me suis disputé avec le sergent-major, qui ne m'a remis la mienne que quelques heures avant le départ du train. J'ai fait du mauvais sang comme jamais, mais c'était un petit homme et je pense qu'il s'imaginait que tout le monde en avait pour son emploi. Tout ce que j'avais en tête, c'était d'obtenir mon autorisation. En fin de compte, il me l'a remise à contrecoeur et j'ai pu prendre le camion qui nous transportait à la gare du CPR. Nous étions enfin en route pour passer Noël à la maison. Et bien sûr, dans mes bagages, il y avait mon uniforme tout neuf à faire admirer de tous. Ce serait à coup sûr une permission mémorable.
Finalement, j'allais passer Noël à la maison. Nous étions probablement une centaine de gars à rentrer ainsi à la maison. Après deux nuits et deux jours, le train s'est enfin arrêté au quai de la gare de Swift Current, Saskatchewan, et mes parents m'y attendaient. La dernière étape du voyage, de Winnipeg à Swift Current, le train roulait en ligne droite et se déplaçait rapidement à travers la prairie, mais ce n'était pas assez vite à mon goût. Il n'y avait que des soldats à bord et aucun confort. De vieux wagons de l'époque des pionniers avec des couchettes en bois sans matelas et des banquettes dures. Mais nous étions jeunes et en route pour passer Noël à la maison.
C'était formidable me retrouver à la maison. Maman, bien sûr, m'a nourri, car elle savait qu'après ce long voyage en train, j'aurais faim. Et comment! Mes parents vivaient sur la ferme et, quand je suis arrivé, il ne faisait pas trop froid et il n'y avait pas de neige. J'avais rapporté des chandails de hockey des Maple Leaf pour offrir à mes jeunes frères et des médaillons et broches arborant l'insigne de l'artillerie pour ma mère et ma sœur. J'avais hâte de me retrouver à Aneroid pour voir Louise, une fille que j'avais rencontrée en juillet 1940. Je pense que j'ai passé quelques jours chez Eric et Toots Corbin, des amis à Louise et à moi. Eric Corbin était également chez lui en permission. Il appartenait au même régiment que moi. Louise était aussi charmante que le souvenir que j'en avais et elle était contente de me voir. Ses parents aussi m'ont bien reçu. Je pensais que j'étais amoureux, pour tout vous dire. Si je me souviens bien, je voulais me fiancer, mais Louise pensait que la guerre allait durer longtemps et elle préférait attendre pour voir ce que nous éprouverions l'un pour l'autre au cours des prochaines années. Louise m'a trouvé très beau dans mon uniforme bleu.
La permission était déjà terminée, et il fallait penser à rentrer au camp le lendemain. Je me suis rendu la veille à Swift Current pour prendre le premier train de l'Est qui me ramènerait à Petawawa. Je portais mon uniforme bleu, et je me suis fait photographier. Je suis entré dans un café et d'autres soldats se sont moqués de moi, croyant sans doute que je portais un uniforme de l'Armée du salut. Je suis retourné à l'hôtel, et j'ai mis ma tenue de combat pour montrer à ces gars que j'étais en service régulier actif, ce qu'ils n'étaient probablement pas.
Un jour, mon père était de passage à Swift Current et il a vu dans la vitrine du magasin du photographe un cadre avec mon portrait en couleur, peint à la main par le photographe. Papa l'a acheté pour ma mère, et ma mère l'a donné à Edith. À ce jour, soixante-deux ans plus tard, il est toujours accroché au mur de notre chambre. J'ai sauté dans le train de cinq heures, en route pour rejoindre mon unité à Petawawa, emportant avec moi les souvenirs de mon passage à la maison.
On se demandait toujours ce qui allait se passer. Encore de l'instruction, des exercices de tir avec de vraies munitions et l'hiver en Ontario. Une rumeur persistante en janvier voulait que les 37e et 60/76e batteries soient fusionnées en un régiment. Aussi, cela a pris du temps avant que la rotation des permissions de Noël prenne fin. Il y avait donc moins d'hommes pour faire les tours de garde et les autres tâches et, en même temps, les exercices de tir dans la remise des canons. Parfois, une troupe n'avait que sept ou huit hommes pour pratiquer le tir, les autres étant affectés un peu partout à d'autres corvées.
En janvier, certains gars ont appris à faire de la patrouille à ski et d'autres en raquettes. Les jours s'écoulaient assez rapidement. Le grand moment a été une démonstration de tir exécutée par une équipe d'artilleurs venue d'Angleterre. Ils ont tiré des centaines d'obus de 40 mm dans le ciel au-dessus de la rivière des Outaouais avec un canon antiaérien Bofors. Le système automatique du canon était extraordinaire.
Le 1er février 1941, notre premier commandant est arrivé au camp. Il s'agissait du lieutenant-colonel W.C. Thackray. Freddy Wright, qui allait être notre sergent quartier-maître régimentaire (SQMR), était avec le colonel, ainsi que notre premier sergent-major régimentaire (SMR), le SOB1, I.A. McLeod. Nous formions le 17e Régiment de campagne de l'Artillerie royale canadienne. Le régiment a finalement été reconnu officiellement comme faisant partie de la 5e Division blindée canadienne, la puissante Maroon Machine, car notre insigne d'épaule était marron. La journée où nos batteries sont devenues un régiment a été assez spéciale. Tous les hommes s'étaient regroupés devant le babillard pour lire de longues listes d'affectation et savoir à quelle batterie ou quel poste de commandement régimentaire ils étaient affectés. Le régiment était composé d'un poste de commandement régimentaire, de la 60e Batterie, de la 37e Batterie et de la 76e Batterie. Je me suis considéré chanceux d'être affecté à la 76e Batterie de campagne et j'y suis resté presque tout au long des cinq années suivantes, sauf pour une courte affectation au poste de commandement régimentaire, du 17 février au 22 juillet 1944, comme sergent de service. Puis le 22 juillet 1944, j'ai été promu sergent-major et affecté à la troupe Fox de la 76e Batterie.
Au moment de la formation du régiment, certains gars étaient très malheureux d'avoir à quitter leurs vieux camarades de la batterie où ils s'étaient enrôlés. Mais avec le temps, le régiment n'a pas eu d'égal pour ce qui est de l'esprit de corps, de la fière allure, de l'expertise de combat, de l'artillerie et de tout ce qu'on lui demandait de faire. Malgré l'amertume du départ, nous avons fusionné dans une machine de combat de première classe, un régiment auquel tous les gars étaient fiers d'appartenir. Impossible d'avoir un meilleur groupe d'officiers et de soldats. Bénis soient tous ceux qui ont fait partie de ce régiment. Y appartenir était un honneur. Le régiment était notre famille. Il l'est encore dans nos cœurs et le restera toujours!
Je me trouvais chanceux d'être resté dans la 76e Batterie vu que les gars étaient tous ceux avec qui je m'étais enrôlé ou ceux que j'avais rencontrés à Indian Head, Saskatchewan, au moment de la formation de la 60/76e Batterie de campagne. Au total, tous grades confondus, le régiment comptait huit cents hommes, y compris le personnel détaché. Le SMR Alec McLeod a pris quelques mesures dès le départ. Il a placé les adjudants et les sergents dans la même baraque afin qu'ils apprennent à se connaître. Le SMR considérait que le cœur et l'âme du régiment, quels que soient les résultats, bons ou mauvais, dépendaient des adjudants et des sergents. S'ils étaient formidables, le régiment serait le meilleur. Nous avions toujours cette idée en tête, car nous étions les sous-officiers supérieurs et il nous revenait de veiller à ce que le régiment fonctionne vraiment comme une unité à laquelle tous étaient fiers d'appartenir. Le SMR était un soldat de carrière qui ne laissait pas sa place comme buveur de bière. Son plus grand plaisir était de voir le mess des adjudants et des sergents remplis de gars qui buvaient un coup.
J'avais un seuil de tolérance à l'alcool assez élevé et je pouvais boire pas mal plus que certains des buveurs expérimentés qui, selon moi, se ridiculisaient après à peine quelques bières. Je me souviens d'une fois où j'avais abusé de la Kingsbeer et, comme j'avais une crainte respectueuse du SMR, j'ai retiré mes chaussures en passant devant sa porte pour me mettre au lit. Je pense que j'étais le plus jeune sergent d'artillerie du régiment à ce moment-là et je ne voulais pas me mettre le sergent à dos. Pour tout vous avouer, quelques jours après, il a dit qu'il m'avait entendu passer devant sa porte malgré tous mes efforts pour être silencieux.
Une semaine ou deux ont passé, et il y a eu d'autres promotions. Je suis devenu sergent d'artillerie, et un grand nombre d'autres promotions ont été distribuées dans tout le régiment. J'étais un des vingt-quatre sergents d'artillerie ou les no1, comme on nous appelait. Nous étions un régiment de vingt-quatre canons, mais nous n'avions que la moitié ou moins de ce nombre de canons. Durant l'hiver de 1941, nous nous sommes entraînés sur des canons de dix-huit livres et des obusiers 4,5. C'était des canons de campagne de la Première Guerre qu'on avait modernisés en les montant sur des pneus de caoutchouc au lieu de roues de bois. Les exercices de tir d'hiver se faisaient dans un garage ou un hangar de pièces d'artillerie et chaque troupe, à tour de rôle, s'exerçait sur les canons. L'hiver était très froid et humide, et les exercices sur le terrain de parade étaient réduits au minimum en raison de la quantité de neige. Pour nous occuper, nous faisions des patrouilles en raquettes et à skis. Avec les tours de garde, le service de piquet d'incendie, les corvées de cuisine, l'entretien du chauffage au charbon dans les baraques, si la troupe était de service, il ne restait que quelques hommes pour les exercices de tir. Tous les autres étaient occupés à d'autres corvées.
La discipline de la batterie et les ordres régimentaires étaient parfois exagérés, car tous ceux qui détenaient une autorité s'essayaient pour voir jusqu'où ils pouvaient ou ne pouvaient pas aller. Les adjudants et les sergents avaient pas mal d'autorité puisque le SMR était, comme qui dirait, dans les bonnes grâces du colonel. Le printemps s'est pointé à Petawawa, et le changement de température a été bienvenu. Nous pouvions enfin nous entraîner dehors. La discipline et la fierté de soi nous étaient inculquées. Rapidement, nous avons été convaincus que nous étions les soldats les plus futés et les meilleurs sur le terrain de parade. Bientôt, l'entraînement intensif a mené à des exercices de tir avec des munitions réelles. Ces exercices avaient lieu dans les champs de tir, et il est difficile de décrire l'excitation que nous ressentions (nous, les nouveaux sergents) d'obéir aux ordres de tir et de tirer nos premières vraies munitions. Nous utilisions des obus de la Première Guerre dont il restait de grandes quantités : des munitions encartouchées avec une mèche T&P 80, ou temps et percussion 80. Nos officiers s'entraînaient à observer l'endroit où tombait l'obus et à corriger le tir en degrés et en verges pour parvenir à frapper la cible. Il fallait beaucoup de répétition pour devenir bon. Certains officiers avaient un talent naturel pour rectifier au quart de seconde les calculs et relayer l'information aux canonniers, ce qui permettait d'atteindre très rapidement la cible.
Il y avait un côté négatif à toutes ces promotions. Notre premier sergent, le major Ken Cameron, un ancien combattant de la Première Guerre mondiale, a été rétrogradé et a dû passer du temps à entraîner des officiers à l'instruction dans un autre camp. Ken ne nous a pas accompagnés outre-mer. Puis, nous avons perdu les capitaines Peters et Jacobs, deux excellents hommes et officiers, mais considérés trop âgés. Tous les deux devaient bien être dans le début de la quarantaine. Ils avaient combattu durant la Première Guerre, et nous pensions tous qu'ils méritaient mieux. Mais c'était une nouvelle partie, et la jeunesse était la clé. Bientôt, suivant l'arrivée d'un lot de jeunes officiers sortis des rangs du Collège militaire royal ou du corps-école des officiers de l'Est, le régiment a atteint le nombre réglementaire d'officiers. Les officiers mutés à des unités de non-combattants en raison de leur âge venaient des Prairies. Le colonel jugeait, dans sa grande sagesse, que ces hommes ne seraient pas assez durs avec nous pour nous former selon le moule qu'il avait en tête. Ces officiers nous ont manqué, mais la vie a continué et nous avons entraîné les jeunes officiers.
Au programme de la journée, il y avait une demi-heure d'entraînement physique avant le petit déjeuner. Cette activité était obligatoire pour tous, sauf pour le colonel. Par conséquent, le sergent George Hegan a décidé de tenir l'exercice de la troupe Fox sous la fenêtre de la chambre du colonel et de scander ses commandements à tue-tête. Il avait une voix tonitruante. Cela a eu l'effet désiré de réveiller le colonel, qui s'est aussitôt amené à sa fenêtre et a crié : « Sergent Hegan, foutez-moi le camp de là sur-le-champ ». George a répondu : « Oui, monsieur », et est reparti avec la troupe. Il n'a plus jamais réveillé le vieux par la suite. Nous avons reçu beaucoup de nouvelles recrues afin que le régiment atteigne son compte d'hommes. Nous, les sergents, passions donc beaucoup de temps sur le terrain de parade à faire faire des exercices, au point d'en rêver la nuit. Certains sergents lançaient des commandements pendant leur sommeil, et les autres étaient tentés de leur enfouir un chausson dans la bouche pour les faire taire.
Je pourrais en dire long sur ce que je pensais, moi fils de fermier, de certains de mes confrères sergents, mais je garderai toujours le souvenir de ces types plus âgés que moi qui m'ont pris sous leur aile. Dans nos quartiers, mon petit lit était placé entre ceux de Ken Lovering et d'Art Cheney, deux gars plus vieux que moi qui venaient de Port Arthur. Des types formidables qui avaient toujours un bon mot pour moi et quelques conseils à me donner. Ken a survécu à la guerre et a été le seul sergent-major à être blessé. Art a quitté le régiment au Canada pour des raisons médicales, je crois.
C'était le printemps en Ontario et nous commencions à nous sentir comme un vrai régiment. L'entraînement s'intensifiait tout le temps et il fallait se taper les défilés régimentaires pour l'inspection du colonel Thackray. Mais le plus souvent, ces défilés étaient pour le compte d'un brigadier-général ou d'officiers supérieurs en visite, qui arrivaient toujours en retard à l'endroit désigné pour l'inspection, nous semblait-il. Debout, sous un soleil de plomb, en pleine tenue de combat, l'air de dire : « Mais qu'est-ce qu'on attend? ». Mais nous avons survécu, et tout cela visait vraisemblablement à nous apprendre quelque chose. Dans ces moments-là, nous avions en tête une ritournelle : « J'attendrai le jour et la nuit, j'attendrai toujours... ».
L'instruction sur les champs de tir de Petawawa était une expérience nouvelle, et l'excitation d'avoir de vraies munitions à tirer donnait tout son sens à ce que nous étions. Les tirs de vraies munitions étaient effectués par du personnel d'expérience qui surveillait nos moindres gestes. Mais il reste que les premiers tirs nous restent à jamais gravés dans la tête. Le crac sec d'un obus de dix-huit livres, l'éclair de feu et le long recul du canon, sans oublier, bien sûr, les récupérateurs qui replacent le canon en position de tir. Quel moment inoubliable! Et si la température le permettait, je pouvais suivre la trajectoire de l'obus dans les airs jusqu'à la cible au loin, en espérant que j'avais donné les bonnes indications au pointeur du canon et que celui-ci ne s'était pas trompé, parce que j'avais bien vérifié. J'espérais que l'officier d'observation avait donné les bonnes indications et que la cible était atteinte.
Les obusiers 4,5 étaient différents des canons de dix-huit livres en ce sens qu'ils tiraient des obus plus gros, mais que les munitions n'étaient pas encartouchées. Il fallait enfoncer l'obus dans le canon, puis des sacs de cordite à charges variées, et la mise à feu se faisait en tirant une corde. L'entraînement progressait. Nous apprenions à tirer en mouvement. C'est-à-dire qu'il y avait une troupe d'au moins quatre canons qui se déplaçait sur la route et au signal : action à droite, à gauche, etc., il fallait sortir de la route et préparer l'artillerie pour la mise à feu, l'officier de tir relayant aux canonniers l'ordre de tirer en direction d'une cible éloignée. Les informations sur la cible venaient d'officiers d'observation qui voulaient atteindre la cible très rapidement. Ce genre d'exercices provoquait beaucoup d'excitation et de concurrence entre les troupes et les autres batteries du régiment. C'était à savoir qui tirerait le premier et les obus de quelles troupes atteindraient la cible. On aurait dit qu'il n'y avait jamais assez de vraies munitions à tirer à moins d'être affecté au canon de réglage de la troupe.
À cette époque, j'étais sergent d'artillerie subalterne et je m'occupais du canon no 3 de notre troupe. À vrai dire, quand j'ai été le premier sergent de notre troupe, j'ai gardé mon canon et ça été ainsi jusqu'à ma mutation au poste de commandement du régiment. C'était le canon EC. Le E pour la troupe E et le C parce que les canons étaient identifiés par les lettres a, b, c et d. Chaque canon d'une troupe de quatre canons arborait à l'avant les lettres EA, EB, EC ou ED.
L'été 1941 m'a semblé excessivement long à certains égards. Je suis convaincu que nous avons défilé plus souvent pour des dignitaires en visite que n'importe quel autre régiment à Petawawa. Je me rappelle que la société Fox Movietone a filmé nos exercices de tir d'artillerie à Petawawa. Pendant une pause, ils ont installé la caméra derrière mon canon. C'était plutôt excitant de savoir que la caméra tournait quand j'ai reçu l'ordre de mise à feu. J'ai reçu l'ordre de tirer après avoir reçu toutes les autres informations requises et, croyez-moi, le moment venu, j'ai crié FEU. Le viseur d'arme, le bombardier Gillespie, a tiré la détente, et le canon a craché son obus de dix-huit livres dans un bruit de tonnerre, un éclair de feu et de la fumée sortant de sa bouche. Le canon a basculé sur ses pneus de caoutchouc et il a reculé vers nous. Le no4 de la troupe a ouvert la culasse et éjecté la douille, puis il a préparé le prochain obus pour armer le canon et tirer. Je ne me souviens plus du nombre d'obus tirés pour l'équipe de tournage, mais peu importe parce que c'était très excitant.
On ne faisait pas que s'entraîner. Un jour qu'il se baignait dans un bassin résultant d'un contre-courant dans la rivière, l'artilleur Ooms, un type de la Saskatchewan, s'est enfoncé et n'est pas remonté. Quelqu'un est arrivé en courant dans le camp pour chercher de l'aide. George Hegan et moi l'avons entendu crier, et nous sommes descendus en courant vers la rivière, juste à temps pour voir le corps d'Ooms entraîné par le courant. Nous avons plongé tous les deux et réussi à le ramener sur la berge rocailleuse. Je voulais le recouvrir pour cacher sa nudité, mais George a dit qu'on était là pour essayer de lui sauver la vie et non pas pour s'inquiéter de sa nudité. George appliquait des techniques de réanimation, mais n'obtenait pas de signes de vie. Le personnel médical est arrivé du camp avec une civière et est reparti avec le corps. Quand tout fut terminé, j'ai vérifié l'heure. Ma montre s'était arrêtée, détraquée par l'eau. Or, un sergent artilleur avait absolument besoin d'une montre munie d'une trotteuse (aiguille des secondes). Le jour où Ooms est mort fut triste. C'était un de nos premiers décès, et il n'était pas attribuable à une attaque ennemie. Au fil des années, nous allions en voir beaucoup d'autres.
Le camp Petawawa est un endroit qui s'est gravé dans ma mémoire. On communiquait par lettres à l'époque, et il y avait toujours l'espoir de recevoir, de la famille, un colis contenant les articles qu'il était impossible de se procurer dans l'armée. Il y avait des clubs de bienfaisance au camp : l'Armée du salut et les Chevaliers de Colomb étaient les plus actifs, mais l'Armée du salut (Sally Ann) était vraiment le meilleur. Il était également actif outre-mer et était toujours situé le plus près des postes avancés quand nous allions au combat.
L'année 1941 m'a semblé s'éterniser, car nous avions tellement de choses à faire. Il y a eu beaucoup de changement de personnel, et il était aussi beaucoup question du départ pour l'étranger et du fait que la guerre se terminerait peut-être avant. Mais en 1941, selon les nouvelles qui nous parvenaient de l'étranger, les Alliés prenaient toute une raclée et la Grande-Bretagne essayait encore de réarmer et d'équiper ses troupes après l'évacuation de Dunkerque, l'année précédente. De plus, les sous-marins allemands coulaient des centaines de navires alliés. L'année 1941 a connu des jours très sombres.
Outre-merLiens connexes
- Gordie Bannerman
- Biographie
- Enrôlement et instruction
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- Passer á l'action en Italie
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- La Belgique et la Hollande
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- Sur le chemin du retour
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