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Les mémoires de Gordie Bannerman

La guerre est finie

Le 5 mai est arrivé et on nous a dit que la guerre était terminée en Hollande. Cette date était effectivement leur jour de libération. À Winschoten, la population hollandaise avait sorti ses drapeaux ainsi que les rubans et les brassards orangés. C’était leur JOURNÉE DE FÊTE. Pour nous, c’était quelque peu un jour de déprime. Décontenancés, sans travail à faire, et les copains que nous avions perdus au front n’étaient pas là pour célébrer. Nos parents et amis ne pouvaient pas savoir que nous avions survécu. Si nous avions été tués, ils l’auraient su dans les jours qui suivent, mais on ne leur dirait pas que nous avons survécu. C’est un groupe sobre et taciturne qui s’en est allé se coucher de bonne heure en ce jour de la libération des Hollandais.

Vers onze heures, le Sgt Jack Parr, accompagné d’une Hollandaise, est entré dans notre chambre. Les deux nous ont tous réveillés en disant : « Pourquoi restez-vous au lit? Levez-vous et célébrez cette merveilleuse journée. Prenez un verre et soyez heureux! », et patati et patata. Eh bien, nous n’étions pas trop heureux de ce dérangement et sommes restés couchés. Notre Hollandaise pensait qu’elle pourrait réussir à nous sortir du lit pour aller les aider à célébrer et, d’un geste du pied, a fait voler ses chaussures vers nous. Après avoir constaté que rien n’y faisait, elle remarqua alors une cible de jeu de dards sur laquelle était plantée une bonne provision de dards. Saisissant alors une pleine poignée de dards, cette turbulente fille commença à les tirer autour d’elle. Personne ne tenait à perdre un oeil. À l’unisson, nous avons alors dit : « Jack, amène ta fille avec toi et déguerpissez d’ici! » Le calme fut rétabli et nous nous sommes rendormis. Le lendemain, nous avons reçu à la maison un énorme bouquet de fleurs et une carte d’excuses que nous avait envoyée notre visiteuse de la veille.

Quelques jours plus tard, on nous a annoncé officiellement que la guerre était terminée! Nous étions le 8 mai 1945. C’était finalement terminé et nous nous demandions alors quand nous allions rentrer au pays. Le régiment allait tirer une salve de vingt et un coups de canon pour célébrer la victoire. C’est notre troupe qui fut choisie pour l’événement. On prépara des cartouches à blanc en retirant la plus grande partie de la charge explosive des obus et en y collant le bouchon de carton avec de la gomme-laque. Le jour de l’événement, les citadins et les militaires du régiment étaient tous sur place pour assister au salut de la Victoire européenne.

L’ordre de tir fut donné et les canons ont tonné, faisant voler en éclats les vitres des maisons. Pourquoi a-t-on continué à tirer et briser toutes les vitres? Nous ne le saurons jamais, mais c’était de mise. Les Hollandais étaient tellement heureux que la guerre soit terminée qu’ils n’ont pas arrêté de crier leur joie. Les canons devaient ensuite être nettoyés et astiqués, et ceux qui avaient collé ces bouchons de carton auraient dû être forcés de nettoyer les tubes de canon. Quelle corvée!

Le groupe des adjudants et des sergents de la 76e Batterie de campagne du 17e Régiment de campagne de l’ARC. La photo a été prise quelques jours après le jour de la Victoire, à Winschoten, en Hollande.

Pour la plupart d’entre nous, c’était une espèce de rêve et nous allions nous réveiller sous peu pour retourner au combat. Nous pouvions maintenant passer des nuits de sommeil sans nous faire mouiller dessus dans des trous à canons inondés, ou sans devoir garder l’oreille tendue pour entendre venir les obus. Le simple fait d’être entourés de civils aussi remarquables que les Hollandais était, je l’imagine, un bon point de départ pour la vie qui nous attendait. La transition d’un milieu de combat à la vie normale allait prendre quelque temps.

La guerre étant terminée en Hollande, j’ai obtenu un congé pour me rendre en Écosse. J’ai visité ma parenté dans le comté d’Aberdeenshire. Ma tante Jean vivait à New Pitsligo, ville natale de mon père. J’ai logé chez ma tante Mary, soeur de ma mère. Ma tante Jean est venue prendre le lunch chez ma tante Mary, car je devais retourner à Aberdeen le lendemain. J’ai accompagné ma tante Jean à pied jusqu’à sa petite maison sur la rue Low. Au moment où je m’apprêtais à rebrousser chemin, elle m’a dit : « J’ai un petit quelque chose pour toi. » Elle est alors partie fouiller dans une commode pour revenir peu après avec une paire de chaussettes bleues tricotées à la main, et elle me les a données en disant : « Gordon, lorsque tu es parti d’ici en juin 1943, j’avais l’impression que ça prendrait un certain temps avant que je ne te revoie et j’espérais te revoir sain et sauf. Je ne t’ai pas fait parvenir les chaussettes parce que tu reviendrais sain et sauf et que je te les donnerais à ce moment-là. » Ma chère tante croyait que si elle m’avait envoyé les chaussettes, je ne serais pas revenu. Je ressens une vive émotion lorsque je songe à cette timide dame qui avait la foi et souhaitait me voir revenir sain et sauf.

La guerre était terminée et tout le régiment logeait dans la ville de Winschoten. Après la reddition complète des forces allemandes en Hollande occidentale, il fallait retourner ces troupes en Allemagne. Ce grand déplacement allait être exécuté par les unités canadiennes chargées de garder les soldats allemands durant leur marche de la Hollande occidentale à l’Allemagne. Certains de nos officiers et de nos hommes ont passé un certain temps à escorter les longues files de marcheurs.

Gordie et sa tante Jean.

Le trajet emprunté par cette colonne passait directement sur la route où étaient stationnés nos canons à Winschoten. Des milliers de soldats allemands défilaient sur la route tandis que nous nous tenions à côté de nos canons à les regarder. Certains avaient des cuisines roulantes tirées par des chevaux, tandis que d’autres tiraient des charrettes munies de roues de bicyclettes. Tous portaient des sacs à fourniment et la plupart des groupes étaient devancés par leurs officiers. Certains de ces types avaient encore l’air assez arrogants. Un groupe de ces marcheurs était entièrement constitué de Turcomans, originaires d’une région proche de la Chine. Les Turcomans étaient petits, et avaient la peau et les traits asiatiques. Nous en avions déjà combattus en Italie. Ce n’était donc pas la première fois que nous les rencontrions, mais jamais nous n’en avions vu en si grand nombre.

Lorsque les Allemands ont entrepris leur marche pour quitter la Hollande occidentale, nos autorités militaires avaient accordé aux officiers allemands la permission de porter leur arme portative, mais cet ordre a été annulé. Nos camarades chargés de les escorter s’en sont donné à coeur joie lorsqu’ils ont confisqué à ces milliers de soldats leurs revolvers et tout ce qui n’était pas d’origine allemande. J’ai demandé à Bobby Cochrane de me dénicher un revolver. Le jour suivant, il m’est revenu avec un bel automatique tout neuf qu’il avait trouvé dissimulé dans un camion de provisions ou sur une charrette. C’était une arme remarquable et l’intérieur du canon avait encore son enduit protecteur posé en usine.

Le Sgt Hans Lunan, de notre détachement de secours léger a confisqué un magnifique accordéon piano italien d’une charrette allemande. Je vous dis que Hans pouvait vraiment bien jouer de cet accordéon, et c’était encore mieux lorsqu’il avait ingurgité un ou deux verres de cognac belge. Stan Scislowski aurait été au septième ciel en voyant tout ce butin qui ne demandait qu’on le prenne. Il y avait au moins deux cents mille Allemands en marche. L’Armée canadienne leur fournissait les rations, tandis que les cuisiniers allemands préparaient les repas.

Notre routine consistait à nous rassembler le matin, à nettoyer et astiquer nos armes et notre équipement, et à attendre des nouvelles nous annonçant que nous rentrions au pays. Cela ne nous empêchait toutefois pas de festoyer sérieusement et de flirter avec les Hollandaises. Étonnamment, la plupart d’entre elles parlaient un peu d’anglais et nos camarades étaient disposés à parfaire leur éducation.

Nous avons reçu la visite du général Crerar, qui avait commandé la Première Armée canadienne durant toute la campagne européenne. Nous étions très heureux de cette visite, car je crois qu’il avait été artilleur tôt dans sa carrière. Nous avons astiqué nos vieux canons du désert jusqu’à ce qu’ils scintillent. En outre, tous nos véhicules et nos soldats avaient une apparence resplendissante. Notre régiment tirait grande fierté de son apparence et de son excellence d’exécution sur le terrain.

Nous avions reçu l’ordre de rassembler toute la division à l’aéroport d’Eelde, en Hollande, pour participer au grand exercice, celui que nous attendions depuis toutes ces longues années, la FINALE. À Eelde, toute la division était rassemblée en formation rectangulaire ouverte. Le général Crerar, commandant de la Première Armée canadienne, a passé en revue toutes les unités. Le général a ensuite pris la position de salut et toute la division a défilé devant lui. Notre régiment a été jugé le meilleur à tous égards et ceci devait être confirmé plus tard par le général Hoffmeister. J’imagine bien que tous ont probablement reçu le même hommage, mais il fait toujours bon d’obtenir une bonne tape dans le dos plutôt qu’un coup de pied au derrière. Cette grande FINALE a eu lieu le 23 mai 1945.

Le général Crerar passe en revue le régiment à Winschoten ... accompagné du Lcol Rankin, du major Crown et du brigadier Ross. À l’arrière-plan, on peut voir les membres de la troupe E de la 76e Bie du 17e Régiment de l’ARC. Le canon est un canon d’artillerie de 25 livres.

Après ce grand exercice, nous avons rendu notre équipement et il ne nous restait plus que le strict nécessaire en termes de véhicules de transport. Certains de nos conducteurs se sont joints à d’autres unités divisionnaires pour conduire des centaines de véhicules en Tchécoslovaquie en vue de les remettre au gouvernement en place. Certains d’entre eux ont eu l’occasion de voir quelques camps d’extermination et ils ont été horrifiés par ce qu’ils y ont vu. Oui, il y avait des fours à gaz et des camps d’extermination.

Les canons de la troupe Fox en position pour le défilé divisionnaire à Eelde, en Hollande. Exercice FINALE.

Winschoten, Hollande, en juin 1945. Nous étions des artilleurs sans canons et avec du temps devant nous, et la prochaine question était de savoir si certains d’entre nous allaient se porter volontaires pour la campagne du Pacifique ou faire partie de l’armée d’occupation en Allemagne, ou si nous allions simplement attendre qu’on nous ramène au pays. Orme Payne, moi-même et quelques autres soldats qui s’étaient également enrôlés il y a plus de cinq ans avons tenu une rencontre où chacun a exprimé ses idées sur ce qui servirait le mieux nos intérêts. J’ai clairement fait valoir que nous nous étions portés volontaires pour la durée des hostilités et une année supplémentaire, ou une période déterminée au bon vouloir de Sa Majesté. J’étais disposé à me porter volontaire pour me rendre partout ensemble, comme groupe, mais pas pour voir certains d’entre nous être affectés à un endroit et d’autres, ailleurs. Notre groupe ne s’est pas porté volontaire.

Voici tout ce qui restait de la troupe Fox après que tous les vétérans et les militaires mariés plus âgés furent rapatriés.

Paul Shwarek, sergent-major de la troupe E a décidé pour sa part de faire partie de l’armée d’occupation. Il a ensuite été promu SMR de la 13e Batterie d’artillerie de campagne de l’ARC. Peu de temps après, le sergent-major de batterie Bill Lloyd s’est porté volontaire pour la force du Pacifique. Il ne restait plus que moi, rendu maintenant sergent-major de batterie et seul Adj de la 76e Batterie.

Des écoles de métiers furent établies à l’école où notre batterie était cantonnée. En outre, le Lt Alex Ross s’occupait d’une école établie pour les troupes à Groningue. Une école de mécanique automobile fut établie à Groningue. Jack Parr et certains des autres militaires des transports y enseignaient. À un moment donné durant tous ces bouleversements, moi-même et vingt ou trente soldats avons été envoyés dans une ville appelée Deventer pour assurer la garde d’un parc de véhicules d’une unité du 2e Corps d’Armée, les 12th Manitoba Dragoons. Je ne saurai jamais comment on avait pu nous choisir pour cette mission. J’imagine que la plupart de leurs soldats, à l’exception de quelques sergents, avaient été affectés à l’armée d’occupation en Allemagne. D’autres de nos militaires mariés avec longs états de service se sont retrouvés parmi des contingents renvoyés en Angleterre avec l’espoir de les faire rentrer rapidement au pays. Mais le retour au pays allait être retardé, car la plupart des gros navires de transport de troupes ramenaient les Américains chez eux pour pouvoir les dépêcher par la suite en Extrême-Orient.

Dans l’intervalle, des camarades comme Lloyd Fraser et Eugene Agrette faisaient la belle vie dans une écurie de courses et s’entraînaient même un peu comme jockeys. Lloyd était émerveillé par ces magnifiques chevaux qu’il y avait dans cette écurie et par la passion des amateurs de courses hollandais. Maintenant que j’ai mentionné Lloyd, je vais vous raconter comment lui et Roy Childs sont rentrés au Canada. Lloyd et Roy sont arrivés en Angleterre juste au moment de l’émeute d’Aldershot ou peu après, et on sortait alors les troupes de l’Angleterre le plus rapidement possible. Ainsi, Lloyd et Roy, tout comme vingt autres soldats, ont eu droit à un retour rapide au pays à bord d’un destroyer canadien, un voyage rapide et inconfortable, mais un voyage de retour à la maison.
 
Le reste d’entre nous étions encore en Hollande et nous allions y demeurer un bon bout de temps. Les réceptions, les soirées de danse, le cinéma, les Hollandaises et l’hospitalité de la population hollandaise nous aidaient à passer le temps. Oui, il y a eu beaucoup de frasques en ville. Roy Childs m’a raconté qu’un quartier-maître que tous les artilleurs détestaient a reçu un coup de manche de pic sur la tête qui l’a envoyé à l’hôpital et qu’il n’était jamais revenu à l’unité, ce qui a valu au Sgt Jim Jessup une promotion à quartier-maître. Il s’est bien débrouillé dans son nouveau rôle. Il se produisait des accidents à l’occasion. Ainsi, Jack Beckwith a été tiré au genou par Bill Strickland, qui s’amusait au jeu de dégainage rapide avec son revolver. Il avait atteint Jack au genou et cette blessure a ennuyé Jack toute sa vie.

Hollande, juin et juillet 1945. Nos effectifs régimentaires fondaient rapidement au fil des jours. On voyait partir des contingents constitués de volontaires pour la campagne du Pacifique et l’armée d’occupation, et de militaires mariés qui étaient en service depuis longtemps. Chaque jour, il semblait que quelqu’un d’autre n’était soudainement plus là. C’était l’éclatement de cette famille qui nous avait aimée, nourrie et abritée. Vous espériez que le reste d’entre vous pourrait partir en groupe. Ce ne fut pas le cas. On avait beau essayer, il était assez difficile de garder un groupe ensemble.

La question était maintenant de savoir quand nous rentrerions au pays. Je pense que la population hollandaise a beaucoup fait pour nous préparer à réintégrer la vie civile. Nous étions traités comme des membres de la famille dans leurs foyers, et nous partagions leur quotidien. Là où il y avait des enfants, il y avait également des soldats canadiens, et ces soldats ont conquis le coeur des enfants, de sorte qu’il n’était pas rare de voir un soldat canadien déambuler dans la rue avec quelques enfants qui l’accompagnaient. Il suffisait de donner une tablette de chocolat ou même de réparer un pneu de bicyclette. Cela nous aidait à établir le contact avec les enfants et souvent, vous finissiez par rencontrer leur soeur aînée lorsque vous rendiez service aux plus jeunes. C’était très différent de ce qui s’était passé en Italie. Les Hollandais étaient plus qu’aimables à notre égard. Les mères nous traitaient comme leurs fils, percevant à quel point nous pouvions manquer notre foyer après en avoir été éloignés depuis tant de temps.

Pour la plupart, nous n’avions pas parlé avec nos parents depuis près de cinq ans. Certains de nos camarades avaient perdu des êtres chers à la maison et certains autres avaient eu à passer par un divorce. Je me souviens d’un triste cas, celui du Capt Taylor, dont l’épouse est décédée dans les jours qui ont suivi son retour au foyer. Au pays, les mères et les pères ne savaient jamais vraiment ce qui était advenu de leurs fils, sauf lorsqu’ils recevaient un télégramme leur disant « j’ai le regret de devoir vous informer que votre fils est mort au combat », suivi de la date. Ces télégrammes provenaient d’Ottawa. Le plus triste à déplorer alors que nous attentions notre retour et essayions de passer le temps, c’est qu’il y a eu des accidents de moto et de jeep, des cas de consommation d’alcool empoisonné, et des Canadiens jetés dans les canaux avec les mains liées avec du fil de fer (en Belgique). Tout cela a fauché des vies de soldats canadiens, et pendant ce temps, l’attente se poursuivait. Je ne me suis pas laissé déprimer par l’attente, sachant que nous allions finir par rentrer au pays.

Orme Payne et Elmer Applegren partageaient une chambre dans la maison des adj et sgt. Avec ces deux-là, c’était à savoir chaque matin qui allait être le mieux habillé. Il s’est avéré que pour l’emporter, il fallait se lever tôt. Elmer avait vu Orme presser un pantalon de combat la veille et, étant un mauvais garnement, il s’est levé plus tôt et a enfilé le pantalon pressé d’Orme. Évidemment, Orme étant beau joueur, il allait prendre sa revanche. Ainsi donc, le lendemain matin, il se réveilla le premier et, encore à moitié endormi, il sortit du lit et alla enfiler des chaussettes fraîches qu’il avait vu Elmer laver la veille. En enfilant le premier bas, une odeur nauséabonde assaillit ses narines, puis il se rendit compte que les chaussettes étaient détrempées et laissaient suinter un liquide des plus indescriptibles. Elmer était tombé dans un canal en rentrant à la maison. Ces canaux servaient d’égouts depuis des centaines d’années, de sorte que vous pouvez bien imaginer l’état du reste des vêtements d’Elmer. Couché dans la chambre voisine, je n’en avais rien su jusqu’à ce que je voie la porte s’ouvrir et Orme se mettre à enguirlander Elmer, qui dormait toujours, pour l’état de la chambre et des vêtements, ainsi que la puanteur. Ah oui, il se passait bien des histoires drôles et intéressantes.

Hollande, août et septembre 1945. Le Capt Weir et sa dame Pat ont été mariés lors de la première permission de Doug, alors qu’il était en Belgique. Pat était officier du Service de transport aérien. Doug Weir était maintenant major, au tendre âge de 24 ans, et il logeait dans une maison privée de Winschoten. Selon ce qu’il nous a dit, il était traité comme un roi et on lui servait un oeuf avec la garniture au petit déjeuner, toute une différence si l’on songe au mouton déshydraté en conserve auquel nous étions tous habitués.

La transformation du régiment se poursuivait alors qu’on regardait partir les vétérans pour voir apparaître de nouveaux venus qui venaient nous rejoindre et être rapatriés avec nous. Parmi les nouveaux, il y avait le Sgt M.O. Nelson et le Sgt Sparky Ament. Ils nous arrivaient d’autres régiments et cadraient bien avec notre groupe. L’expérience qu’ils avaient vécue après le débarquement du jour J et les âpres combats de Normandie différait à bien des égards de ce qui s’était passé durant la campagne d’Italie.

Puisque bien des jeunes soldats rêvaient de la LNH, Bing Coughlin a dessiné cette caricature de Herbie en tant que hockeyeur.  Jouer dans la LNH était le rêve de bien de jeunes hommes de cette époque et Herbie représentait ce rêve.  Il était avec chaque Canadien en Italie, il a vécu là-bas tout ce que nous y avons vécu car il faisait partie de nous, nous nous reconnaissions en lui.

Nous avons beaucoup bu durant cette période et écoulions le temps du mieux que nous le pouvions. Le super-débrouillard Joe Telfer et un chauffeur de camion faisaient la navette entre la Hollande et la Belgique pour faire du magasinage. Joe visitait les brasseries belges et y achetait des tonneaux de bière pour les cantines des officiers, des adjudants et des sergents et artilleurs. Joe était un entrepreneur hors-pair. Il allait cueillir tout ce qui pouvait se vendre, allant notamment faire de petites incursions en Allemagne pour y chercher un moteur diesel, des machines à coudre, et quoi encore. Joe recueillait ce matériel pour le revendre sur le marché noir en Belgique et obtenir des livres sterling.

Puisque bien des jeunes soldats rêvaient de la LNH, Bing Coughlin a dessiné cette caricature de Herbie en tant que hockeyeur.  Jouer dans la LNH était le rêve de bien de jeunes hommes de cette époque et Herbie représentait ce rêve.  Il était avec chaque Canadien en Italie, il a vécu là-bas tout ce que nous y avons vécu car il faisait partie de nous, nous nous reconnaissions en lui.

La Belgique avait été inondée de faux billets britanniques par les Allemands. Les Britanniques le savaient, mais ils ont su tirer profit de tous ces faux billets. Joe s’est amassé une petite fortune, mais il rapportait quand même des chaussures ou des sacs à main et quoi encore à quiconque en demandait pour pouvoir les offrir à sa petite copine hollandaise ou anglaise. Comme acheteur, Joe se classait parmi les meilleurs. J’ai demandé à Joe ce qui était advenu des tonneaux de bière appartenant aux Hollandais qu’il avait employés pour toutes ses excursions en Belgique. Il m’a admis qu’il les avait vendus lors de son dernier voyage.

Hollande, fin de l’automne 1945. Nous sommes encore en Hollande et nous avons évidemment entendu toutes ces histoires d’unités qui rentraient à la maison bien qu’ayant accumulé bien peu de points comparativement à ce que nous avions accumulé après avoir fait la campagne d’Italie et avoir été outre-mer bien plus longtemps. Pour certains d’entre nous, c’était probablement dans les façons d’agir du gouvernement. Si nous étions tous rentrés ensemble au pays, nous aurions peut-être exprimé des choses que le gouvernement ne voulait pas entendre, et peut-être bien qu’il n’y avait rien de sinistre dans tout cela. Qui sait? Aucun d’entre nous n’avait d’allégeance politique, tout ce que nous voulions c’était de rentrer à la maison!

Un soir, Orme et moi avons eu toute une beuverie à la bière. Mon frère George, qui devait sous peu rentrer au pays avec la 1re Division du SLI, nous avait rendu visite. George n’était pas un buveur, de sorte qu’il a peut-être pris une bière et est allé se mettre au lit peu après. Orme et moi avions entrepris de boire un petit tonneau de bière belge. Orme m’a alors dit : « Gordie, qu’aimerais-tu vraiment? » Ce à quoi j’ai rétorqué : « Pour l’instant, deux ou trois oeufs frais pour les mettre dans ma bière. » Orme avait les clés du garde-manger et il m’en a ramené au moins trois oeufs. J’ai brisé le premier dans ma bière pour ensuite engloutir la bière, puis l’oeuf. Même chose pour le deuxième oeuf et la deuxième bière. Arrivé au troisième, j’ai brisé l’oeuf sur le rebord de mon verre et un poussin est tombé au fond de mon verre. J’ai alors levé mon verre jusqu’à la hauteur des yeux et j’ai dit : « J’ai vu de nombreux verres de bière dans ma vie, mais c’est bien le premier qui me regarde dans les yeux .» Le poussin, reposant au fond du verre, m’a fait un clin d’oeil. Je l’ai donc sorti de là, puis Orme et moi avons terminé le petit tonneau de bière. Vers six heures du matin, mon frère George s’est levé et nous a trouvés au même endroit, encore en train de raconter des histoires. Nous étions probablement en meilleure forme qu’à minuit, car la bière belge n’était pas trop forte.

Lorsque nous sommes arrivés à Winschoten, deux de nos camarades ont aperçu une jeune femme hollandaise se balader à bicyclette. L’un d’entre eux cria : « Hé, mademoiselle, votre roue arrière tourne! » Cette jeune femme comprenait parfaitement l’anglais lui a alors rétorqué : « Toi le Canadien, si tu enlevais la merde que tu as dans les yeux, tu verrais que la roue avant tourne également! » Les Hollandaises comprenaient certainement les soldats et leur soi-disant humour.

Comme l’automne était arrivé, l’idée du hockey fit son apparition. Turk Broda, des Maple Leafs, et quelques autres joueurs de la LNH arrivaient tout juste d’outre-mer, à l’instigation de Conn Smythe, propriétaire des Leafs et commandant d’une batterie d’artillerie. Orme Payne, Sparky Ament, Darcy Spencer, Bob Bradley et quelques autres de nos camarades, plus des membres du 5e Régiment d’AAL, sommes allés à Amsterdam pour jouer au hockey. Nos camarades ont eu quelques semaines de bon temps dans la « cité des canaux ».

Le corps de cornemuses du Service féminin de l'Armée canadienne est venu à Winschoten et a offert un grandiose spectacle de marche et de musique. Il faisait chaud au coeur de voir ces Canadiennes se produire. C’était la première occasion que nous avions de voir des Canadiennes depuis l’été de 1944 en Italie, lorsque la 1re Compagnie de divertissement canadienne avait monté des spectacles à notre intention après la campagne de la ligne Hitler. Notre mess des sergents leur servait leurs repas et nous les avons visitées durant le lunch et en après-midi. Nous avions noté que lorsque les femmes marchaient sur le grand terrain de jeu elles secouaient les pieds environ à tous les deux pas. Lorsque nous les avons rencontrées, quelqu’un leur a demandé pourquoi elles gigotaient ainsi du pied. Elles ont répondu que c’était pour débarrasser de leurs chaussures du fumier de vache dont était couvert le terrain.

La maison où nous logions, les sergents et les adjudants, était auparavant une maison établie par l’État à l’intention des mères. C’était là où les mères célibataires demeuraient et donnaient naissance à leurs enfants. Ces enfants avaient été engendrés par des soldats allemands. C’était la première fois que nous, fils de fermiers, ou quiconque d’autre parmi nous avons aperçu un autre type d’appareil dans la salle de bains, une chose qu’on appelait un bidet. Et cela a suscité certaines questions comme :  « À quoi ça sert? » Eh bien, quelqu’un le savait, et le mystère était résolu. J’ai également pris un gros livre allemand, rédigé par Hitler, qui s’intitulait MEIN KAMPF. Quelque cinquante ans plus tard, je l’ai vendu au poste de commandement à Victoria.

Orme Payne et moi avons réveillé les gens du quartier un bon matin, probablement vers 4 heures, en roulant un tonneau de bière sur la rue jusqu’à notre maison. La rue de pierres des champs avait une bonne résonance et le bruit a réveillé les gens qui dormaient dans les maisons devant lesquelles nous passions. La plupart des frasques étaient assez anodines. Ce tonneau étant plus gros au milieu qu’aux extrémités, de sorte qu’il allait d’un sens à l’autre sur la rue. Aussi, je ne me rappelle plus qui courait pour rattraper le tonneau lorsque celui-ci se mettait à rouler de gauche à droite.

Nous sommes encore en Hollande, mais chaque jour semble nous rapprocher davantage du grand jour, celui où nous allons finalement rentrer chez nous. Nous sommes à Winschoten depuis maintenant près de huit mois depuis la fin des hostilités. Nous avons été amenés dans un état d’esprit où nous ne saurions pas vraiment quoi faire si, soudainement, nous retournions tous à la maison. La réalité avait commencé à nous frapper. Que ferions-nous à notre retour? Retourner à la maison et travailler sur la ferme familiale? Nous inscrire à l’école normale pour devenir enseignant? Demeurer dans l’armée? Quel type d’emploi attendrait un homme qui a une douzième année?

L’armée avait fait circuler de la documentation sur le genre de programmes d’études qui pouvait s’offrir à nous à notre retour. Mais je ne sais combien de temps on consacrait à un jeune garçon qui sortait à peine d’une guerre pour le préparer à affronter la vie dans le civil. Les Hollandais nous ont grandement aidés à nous habituer à la vie en famille. Ils nous ont accueillis dans leur foyer et nous ont traités comme des membres de la famille. Je crois que nous devons leur en être reconnaissants. En effet, les mois que nous avons passés chez ces bonnes gens ont jeté un baume sur des nerfs qui étaient plutôt à vif.

Pendant que nous attendions de retourner à la maison, les bonnes gens de Wervik, en Belgique, ont écrit une lettre au général Crerar lui demandant d’accorder une permission aux membres du 17e Régiment d’artillerie de campagne de l’ARC pour leur permettre de visiter à nouveau Wervik avant de rentrer au Canada. Le général a accédé à leur demande et je crois qu’une centaine de membres du régiment, moi-même inclus, ont passé deux jours de permission à Wervik. Durant mes deux jours de permission, je n’ai pas logé chez la famille belge où j’étais demeuré en février, car elle se trouvait à l’extérieur de la ville à ce moment-là. Cinquante ans plus tard, j’ai reçu un appel du fils de cette famille. Il était en voyage ici et m’a téléphoné de Vancouver. C’était sympathique de se rappeler de moi. J’ai donné suite à l’appel en écrivant à la famille, mais je n’ai jamais reçu de nouvelles depuis.

Wervik nous a accueillis en grande pompe. Nous avons repris contact avec de vieilles connaissances, surtout les filles. Une ombre au tableau durant cette visite... le rappel que Bill Bancescu n’était plus de ce monde. Il avait perdu la vie à Otterloo. Bill était fiancé à une fille de Wervik et prévoyait l’épouser, puis la ramener au Canada. J’ai contacté Denise, une servante française employée à la maison où l’on m’avait envoyé loger, et j’ai pris le repas avec sa famille. Ce jour-là, Denise était en congé de son travail au delà de la frontière, en France. J’avais offert à Denise une couverture américaine lorsque j’ai quitté la Belgique et elle en avait confectionné un manteau très chic. Lorsque nous avons fait une marche dans la soirée, sa jeune soeur nous a accompagnés. Donc, pas de grande histoire d’amour, mais plutôt une nouvelle rencontre avec une amie que je n’allais plus jamais revoir.

Après avoir fait la tournée de tous nos amis et, évidemment, après quelques bières dans les cafés, nous sommes rentrés en Hollande. Le sergent Vic Wilson a épousé une fille de Wervik et il y a eu quelques autres mariages. Bien des années plus tard, en 1984, quelque deux autobus bondés d’anciens du 17e Régiment de l’ARC et leurs épouses ont visité Wervik. Nous étions les stars de la ville et avons été accueillis comme des rois. Le moment le plus émouvant, mis à part les retrouvailles avec nos vieux amis d’il y a 39 ans à Wervick, fut la cérémonie du coucher du soleil à la porte de Menin, à Ypres. La cérémonie avait été avancée pour notre visite. Les pompiers d’Ypres exécutent la cérémonie de rentrée des couleurs avec six clairons jouant la Sonnerie aux morts et le Réveil. Ils reprennent cette cérémonie à tous les couchers de soleil depuis 85 ans.

Sur le chemin du retour
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