Alors, j'm'en vais participer à une attaque avec des chars. Pis
là, on arrive face-à-face contre des positions fortifiées, avec
des 88 mm. On s'fait descendre à peu près tous nos chars, comme
c'était toujours c'qui s'passait quand on faisait face aux 88
mm. Puis, finalement, j'suis rappelé en arrière, après une
action épouvantable où encore une fois j'avais réussi à passer
au travers sans trop de difficulté. Pis là, enfin, j'suis plus
ou moins au repos pour un p'tit moment. On me demande de
m'occuper, parce qu'il faut qu'on occupe des positions plus
avancées, de m'occuper des cuisines. Ben j'ai dit :
« Certainement, j'vais m'en occuper. » Alors là, comprenez-vous,
on m'a donné une ligne, une route qui fallait que j'suive. Puis
j'suis arrivé sur une route complètement encombrée par, en fait,
tous les camions d'infanterie, de l'armée Service Corps
d'artillerie, comme vous pouvez imaginer. Puis, j'arrive à un
carrefour qui, tout à coup, est bombardé par les Allemands.
Puis, après l'bombardement, j'rencontre mon John Rowley, tel que
j'vous l'ai dit au début, là, puis on s'parle pour quelques
minutes. Puis moi, je retourne à mon Jeep où j'étais. J'entends,
tout à coup, deux, trois obus qui éclatent. John s'est fait
tuer. J'ai appris qu'il était mort. À peu près, oh mon dieu,
vingt minutes plus tard, peut-être 22, peut-être 23… J'suis à un
carrefour moi même. J'peux pas avancer. J'ai mon camion
d'cuisine en arrière de moi. J'suis dans mon Jeep. Pis, pour
vous montrer c'que c'est que l'destin, je d'mande à mon Gosselin:
« Écoute, tu es fatigué, tu es nerveux, j'vais conduire. »
L'premier obus d'mortier frappe. Pis là j'm'aperçois que
Gosselin a tout l'ventre ouvert. Alors, j'essaie de l'sortir. Un
autre obus arrive. Pis là l'autre obus lui a presque enlevé la
tête. Pis moi, elle m'a frappé dans l'dos. Alors j'ai vu
c'pauvre Gosselin était mort. Pis là, je regarde en arrière.
Pis, c'qui m'inquiétait, c'est mon camion de cuisine. On reçoit
un obus en plein sur l'camion qui tue l'chauffeur, tue l'gars à
côté, pis blesse tous les cuisiniers. Ah, un désastre
épouvantable! Alors, j'sors du Jeep. Pis là y'arrive un
troisième obus qui m'a pris à la jambe. Pis, j'suis tombé. Puis,
la moindre de mes blessures c'tait à la jambe. C'tait pas…
J'saignais, mais c'tait pas… J'pouvais marcher encore. Pis là
finalement, on est v'nu m'chercher. Tout à coup, j'tais
presqu'inconscient parce que j'étais.. j'avais des obus partout.
Puis, j'vais vous épargner tous les détails. J'ai été transporté
d'urgence dans un first aid station, ensuite un night aid
station… Puis, finalement, en tout cas, pour rendre une longue
histoire courte, j'sentais moi que j'allais m… j'avais saigner
abondamment. J'savais qu'y avait un hôpital anglais qui
s'trouvait dans un couvent qui était pas tellement loin sur la
route où on allait. Je demande au sergent qui conduisait
l'ambulance, j'ai dit : « Écoute, laisse moi ici, parce que, moi
là, j'saigne tellement que j'me sens aller. » Ben y dit : « Mes
ordres, c'est qu'on descende plus loin. Pis je m'en vais plus
loin. » Là, j'ai posé le seul acte de véritable indiscipline de
ma vie. J'ai ouvert la porte de l'ambulance, j'me suis jeté en
bas. Pis là, évidemment, on m'a vu sur le bord du chemin pis on
est v'nu m'chercher. Pis là, j'ai perdu connaissance.
Puis, ce qui m'a presque causé la mort, c'est que j'ai fait d'la
gangrène. Puis, on m'a enlevé d'abord le pied, ensuite au genou,
ensuite une dernière opération. Pis là, on a dit, ben, si ça ça
marche pas, y va y rester. Mais, la dernière opération
heureusement la gangrène a réussi à sortir. On voulait m'enlever
l'bras, l'bras gauche. Ben là, j'vous assure que j'ai dit non
tant qu'à mourir, j'aime autant mourir avec mon bras. Ah ça été
une histoire seigneur! J'ai été porté disparu pendant quelque
chose comme 4 ou 5 jours, parce que j'étais sorti de mon
ambulance. Pis éventuellement, en tout cas, j'suis revenu. J'ai
été transporté en Angleterre. Mais, cette gangrène gazeuse,
s'débarasser d'ça, savez-vous, c'est long. Pis, c'est
terriblement affaiblissant. Puis... y'a toujours cette fièvre
qui traîne. Quand on fait d'la fièvre, les médecins disent, ben
enfin, c'est peut-être une fièvre causée par une infection
normale. Mais si c'est d'la gangrène… Alors j'suis r'venu au
Canada, j'en menais pas large. Je peux vous le dire. Puis,
j'étais, vous avez vu le portrait quand j'ai été photographié,
c'était pas très, très brillant. C'est là qu'enfin j'ai décidé
que pour tuer l'temps, j'écrirais mes mémoires, que j'ai écrit
dans ce livre-là : Face à l'ennemi. Puis… Mais, j'étais
terriblement déprimé, puis fatigué, puis épuisé. Alors
j'voulais… mon idée était de recommencer mes études de droit,
j'savais que l'armée nous donnait, comprenez-vous des faveurs
extraordinaires, pis des octrois, des subventions, et ainsi de
suite, mais j'étais tellement faible, tellement malade, que
quand j'ai rencontré mon épouse d'aujourd'hui, parce qu'on est
mariés depuis 52 ans, ben j'ai décidé franchement que je
m'occuperais... on m'a offert des opportunités d'faire des
affaires, pis j'ai commencé dans les affaires... Pis, finalement
j'ai pris l'dessus. Ça allait bien. On m'a équipé avec une
prothèse que j'ai depuis c'temps là. Mais, ça n'a pas été
facile, j'vous assure que de reprendre le dessus surtout quand
on est un peu alerte comme je l'étais, plutôt athlète
qu'autrement, pis tout à coup de s'trouver dans l'état où
j'étais, ça j'souhaite pas ça à personne.