EN ROUTE VERS L'ITALIE (PARTIE 2)
Heureusement, au bout de, j'pense, cinq ou six heures,
on a entendu du bruit. C'était les munitions dans la cale d'un destroyer.
C'est le bruit qui nous a donné un p'tit peu d'espoir. Qu'ce soit allemand
ou autrement, on était sûrs d'être... que quelqu'un allait finir par nous aider. Et puis,
ça c'est... on s'est aperçu, tout à coup, qu'c'était des américains. Nous nous sommes
identifiés, puis y nous ont porté secours tout d'suite. Ils nous ont d'mandé qui nous étions,
puis une infirmière a répondu : Nursing Sisters. Puis, un jeune américain a dit...
on l'a entendu – vous savez, c'est écho en mer – un jeune américain a dit :
« Ce sont des religieuses... They're nuns... » Fait qu'même dans notr' malheur,
on a trouvé ça bien drôle, ça nous a fait rigoler un peu. Et puis finalement,
ben les nuns... pas nuns, y nous ont aidés, y nous ont dit comment
ils allaient nous lancer une p'tite échelle de corde, comment prendre l'échelle
avec la vague. Donc, ça s'est bien passé, on a pas paniqué personne, pis y
nous ont sauvés, tout l'monde. Et puis, rendus à bord du bateau, la réaction,
c'est là qu'elle s'opère. Y avait un méd'cin à bord et puis là, pour... évidemment,
on était en état d'choc un peu. Là, y nous donne du pain... du pain sec à manger,
pis y nous donne du cognac... Y nous tient au cognac, pis au pain sec, vous savez, pour...
pour essayer de nous aider, de nous réchauffer aussi. Et puis... ben, par contre, pas longtemps après...
ben là, ça allait assez bien... On peut pas laisser nos ceintures de sauv'tage, les Mae West,
qu'on app'lait à c'moment-là, les grosses Mae West [Inaudible],pis nos uniformes...
On était mouillés d'la tête aux pieds, pis on peut pas rien faire, faut absolument qu'on reste comme
ça parc'qu'y nous avertissaient qu'si on était frappés par des sous-marins, que là, y fallait
qu'on saute vraiment à l'eau. Et puis... ça s'est passé... ça s'est bien passé.
On a passé une vie... une nuit mouv'mentée, mais le lend'main matin, ils ont essayé
d'aborder un autr' bateau parc'que eux, ils ont un... d'autres choses à faire que
d'avoir soin des infirmières... Ça n'a pas réussi. La mer était trop agitée, donc, ils nous
ont débarqués en Algérie, dans un endroit qui s'appelle El Arrouch.
À El Arrouch, y avait déjà un hôpital canadien qui était installé là. C'était...
Y avait un groupe très hétéroclite parc'que y avait des prisonniers italiens
qui étaient là d'la campagne d'Afrique. Mais on a été très bien soignés. On nous a
hospitalisés et puis on nous a donné c'qu'ils avaient... comment, les... on nous a nourris, mais...
les repas de fortune. On avait du corned beef, pis des pommes de terre déshydratées.
Mais, ça fait rien, on était tellement contentes d'être sauvées. Ensuite, c'est la
Salvation Army anglaise... d'Angleterre, qui était là. Des personnes extraordinaires.
Y nous ont, nous, y nous ont reçus avec du thé, des p'tits gâteaux, y nous ont donné
des tangerines, des noix, y nous ont donné de quoi manger, un tas de bonnes choses,
pis y ont eu bien soin d'nous. Elles étaient d'une... elles ont été des plus charmantes.
J'pense que ça, ça nous a bien r'monté l'moral. Seulement de se sentir sur le sol ferme,
j'pense qu'on était contentes dans n'importe quelle condition. Mais ça été très bien.
Là, j'ai passé quelques temps là, à l'hôpital, et puis on m'a donné une paire de chaussures,
une paire de bottes d'homme, de grosses bottines noires d'homme,
de soldat, mais comme c'tait trop grand pour moi, une infirmière du nom de Matte...
Henriette Matte... m'a donné un pain d'savon pour que j'mette dans l'bout d'mes bottines.
Elle m'a dit : « Tu t'en serviras en Italie... Tu vas en avoir besoin... » Pis elle m'avait
donné, également, une bouteille d'eau d'toilette, pis j'y ai dit : « Qu'est-ce tu veux
que j'fasse avec ça ? » Ben, elle dit : « Tu l'prendras... Si tu t'fais piquer par des puces,
partout là, si tu vas... » Comme de fait : en Italie, y avait des puces. On a presque eu...
Les puces, la nuit, on en avait dans figure, on était piqués d'partout. On avait la fameuse
eau d'toilette qui sentait pas tellement bon. Ça, ça été bien. On s'est installés en Italie,
ça a pris bien du temps. On avait pas de... on avait rien pour s'installer. On était dans des...
une grande manufacture de tabac qui avait été libérée. Y a des religieuses, là,
qui nous ont aidés. En premier, on est allé dans un espèce de couvent où
les religieuses ont pris nos vêt'ments, pis les ont lavés.
Y avait d'la boue partout. On avait vécu en Afrique... les sols de terre.
Pis là, les religieuses ont lavé nos vêtements, nous ont env'loppées dans des couvertures,
pis nous ont remises un p'tit peu propres, nous ont permis d'se laver, on a pu s'laver,
on a pu s'laver, puis manger un peu, puis ont nettoyé nos vêt'ments.
Mais après ça, on avait pas beaucoup d'eau. On avait une gourde d'eau par jour.
Ça c'était... on choisissait : ou s'laver, ou bien donc boire. Y avait... Mais, y a fallu qu'on
s'installe très vite parc'que là, c'était la guerre, on était en pleine guerre, y v'nait de...
Et puis, c'était les attaques... c'tait l'Mont-Cassin après, pis les troupes
étaient très actives, pis on avait beaucoup, beaucoup d'blessés.
Donc, y a fallu qu'on opère le mieux possible avec c'qu'on avait,
les moyens d'bord. Mais ça c'est bien passé. Ça été... le premier Noël, on a même pas
su qu'c'était Noël. Quelqu'un nous a dit qu'c'était Noël. On était tellement
occupés qu'on a même pas su qu'c'était Noël...