Une histoire orale du maintien de la paix à Chypre

Une histoire orale du maintien de la paix à Chypre

Quatre vétérans canadiens ont parlé de leurs expériences et de l’empreinte du rôle de maintien de la paix joué par le Canada à Chypre.

24 septembre 2024 – La ministre des Anciens Combattants, Ginette Petitpas Taylor, et le lieutenant-général (retraité) Marc Caron visitent l’exposition du Musée canadien de la guerre : Chypre – Une île divisée.

Le 12 mars 1964, le premier ministre Lester B. Pearson décide de fournir un contingent de soldats canadiens à la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP). Le contingent se met en route dès le lendemain. Cette opération de maintien de la paix s’est avérée l’un des efforts militaires les plus longs et les plus connus du Canada à l’étranger.

Soixante ans après le premier déploiement, lors de l’inauguration de l’exposition « Chypre – Une île divisée » au Musée canadien de la guerre, quatre vétérans canadiens ont parlé de leurs expériences et de l’empreinte du rôle de maintien de la paix joué par le Canada à Chypre.

Le déploiement

Le major‑général (à la retraite) Clive Milner a été l’un des premiers à partir en mission à Chypre en 1964. L’année suivante, il a hissé le tout nouveau drapeau canadien à Nicosie, la capitale de Chypre.

Le major‑général Milner : « On ne savait pas vraiment dans quoi on s’engageait, ni ce qu’on faisait. [Lorsque] on est arrivés, on nous a immédiatement donné pour mission d’assurer la reconnaissance pour la collecte de renseignements et de montrer le drapeau des Nations Unies. Soyons honnêtes, la majorité des Chypriotes n’avaient jamais entendu parler de l’ONU, et encore moins vu le drapeau ou le béret bleu. On avait donc beaucoup à apprendre à la population chypriote. »

La première mission à l’étranger du lieutenant‑général (à la retraite) Marc Caron a eu lieu à Chypre avec le Régiment aéroporté du Canada en 1974 – une période charnière de l’opération de maintien de la paix.

Le lieutenant général (à la retraite) Marc Caron

Le lieutenant‑général Caron : « D’avril à juillet 1974, tout s’est déroulé normalement, comme d’habitude. À cette époque, l’UNFICYP, les forces de l’ONU à Chypre, avait procédé à un certain nombre de réductions d’effectifs… une indication que les gens croyaient que c’était un endroit tranquille, et que nous faisions route vers le succès. Mais le 15 juillet, tout s’est effondré. Il s’agissait d’un coup d’État au cours duquel des officiers grecs… voulaient tuer le président. Il a réussi à s’enfuir avec l’aide des forces britanniques et, bien sûr, les Turcs n’ont pas voulu se laisser faire. Le 20 juillet, ils ont envahi le pays. »

L’adjudant‑chef (à la retraite) Terence Hurley a participé à trois missions à Chypre à partir de 1976.

L’adjudant‑chef Hurley : « Parce que la guerre de 1974 était encore fraîche dans l’esprit de tout le monde lorsqu’on est partis en 1976, on est allés là-bas avec la mentalité du “soldat entraîné” et non du “soldat de la paix”. Même si on était encore des soldats de la paix, on avait la mentalité d’être prêts en cas de [conflit]. Ainsi, tout au long de la mission de 1976, on était alertes, on était vigilants, on prenait tout très au sérieux et on faisait notre travail. »

La première affectation du lieutenant‑colonel David Jones a été au sein de la Royal Marine Commando Brigade, qui a notamment servi à Chypre en 1995.

Le lieutenant‑colonel Jones : « En 1995, j’ai pris en charge ce qui était auparavant une grande partie de la zone canadienne. [Les Canadiens] étaient partis en 1993… il y avait donc encore beaucoup de traces de la présence canadienne parce qu’elle avait été si durable. »

L’opération

Lorsque la force de maintien de la paix est arrivée en 1964, la situation était tout à fait différente de ce que les soldats de la paix de l’ONU avaient connu auparavant.

Le major‑général Milner : « On pensait qu’on serait là pour six mois au maximum. Le mandat n’était que de trois mois. Finalement, on s’est rendu compte que cela allait durer un peu plus longtemps. »

La modératrice Karen Storwick, le major général (à la retraite) Clive Milner (à l'oral) et le lieutenant colonel David Jones.

Les populations turques et grecques, qui se disputaient, étaient très mélangées sur l’île, et les troupes de l’ONU devaient maintenir la paix dans une situation où de nombreux petits groupes de Turcs vivaient au milieu d’une population grecque plus nombreuse.

Le lieutenant‑colonel Jones : « On vivait dans la zone tampon… entre les Turcs et les Grecs… et ils s’engueulaient toute la nuit. Parfois, il y avait des coups de feu. Je n’ai aucune preuve que quelqu’un a été touché par un projectile provenant d’un côté ou de l’autre. Mais ils le faisaient juste pour s’embêter les uns les autres. »

L’adjudant‑chef Hurley : « L’une des choses je pense, et ce n’est que mon opinion, c’est que chaque fois que le Canada était prêt à se retirer de Chypre, l’une ou l’autre des parties exacerbait légèrement les tensions pour qu’on reste là. »

Les soldats canadiens avaient besoin à la fois de leurs compétences militaires traditionnelles et de leurs compétences en matière de gestion de différends et de conflits entre civils.

Le major‑général Milner : « C’était une période intéressante… J’ai dû mettre en pratique certaines choses auxquelles je n’avais jamais vraiment consacré beaucoup d’efforts, comme la diplomatie. Je pensais qu’on était là pour protéger la démocratie, pas pour la pratiquer. Mais j’ai dû m’y mettre, tout comme certaines personnes aux échelons les plus bas. Les caporaux, les sergents, les adjudants et les jeunes officiers étaient en fait des missionnaires diplomatiques de leur pays. Ils arboraient le drapeau de l’ONU d’un côté et leur drapeau national de l’autre. »

L’héritage

Dans une certaine mesure, la bravoure et l’héroïsme ont fait partie intégrante des efforts déployés par tous les Canadiens à Chypre au fil des ans.

Le lieutenant‑colonel Jones : « La présence canadienne est durable… Il y a Beaver Lodge, Maple House. Il y a beaucoup de preuves de la présence canadienne, et les Chypriotes l’apprécient beaucoup. Ils se souviennent des Canadiens, de leur contribution à la paix, avec beaucoup d’affection. Même si cela fait longtemps, c’est encore très visible. »

L’invasion de 1974 a donné lieu à des combats acharnés, des milliers de soldats turcs ayant débarqué à Chypre dès les 24 premières heures.

De gauche à droite, le lieutenant-colonel David Jones et l’adjudant-chef (retraité) Terence Hurley.

Le lieutenant‑général Caron : « Je pense qu’on peut s’attribuer le mérite de Nicosie… Remettez‑vous dans le contexte de l’époque : il y avait des bombardements, les gens essayaient de quitter l’île et ils n’y arrivaient pas. Mais on les a rassurés. On les a fait sortir… Je pense que c’était un événement important. Et servir pendant 60 ans, c’est un héritage important. »

Le lieutenant‑colonel Jones : « Le Canada était responsable de la partie la plus cruciale de l’opération… Les problèmes à Nicosie sont complexes et difficiles. On a confié cette partie de l’opération au Canada parce qu’on savait qu’il pouvait la mener à bien. Et cela a été confirmé par tous les services rendus par de grands Canadiens. »

Dans des situations difficiles comme celles‑ci, on a fait remarquer que « le maintien de la paix n’est pas le travail d’un soldat, mais seul un soldat peut le faire. »

Le major‑général Milner : « Je pense que la guerre de 1974 a cimenté les relations avec les Nations Unies. Les gens ont compris que… les Nations Unies avaient un vrai rôle à jouer. On nous a bien accueillis à l’époque et je pense que c’est encore le cas aujourd’hui. Il est agréable de voir le drapeau canadien flotter encore à Nicosie. »

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