Impossible d'oublier cela…
C'est de voir tomber un gars à côté de toi… un gars qui… la pire chose qui
peut arriver, c'est de voir un de nos chums se faire blesser, mais quand
on voit surtout un type qui est à terre, puis on est, on est à côté, puis qu'il, il
saigne, qu'il est après mourir, puis on peut pas l'aider, ça,
c'est des cas qui sont pas facile, Ça, ça… il est à côté, puis
j'en ai vu mourir, puis t'es à côté, puis tu peux pas parce que
les Allemands sont, sont, sont retranchés, puis nous autres
aussi, puis on n'a pas hâte d'avancer. Il y a des fois, ils se
font tirer par des obus, un morceau d'obus, le type, là, j'en ai
vu un à Zutfen, puis je me rappelle toujours, celui-là il m'a
resté marqué, le cou, là, le morceau lui a rentré, il a eu un
morceau, c'est brûlant, c'est du fer, de l'acier, là, il était
après mourir, puis à chaque fois que le cœur bat, ça sort. J'ai
resté marqué avec ça. Ça m'a pris je sais pas comment de jours
avant que je puisse me défaire de ça. Je l'ai vu mourir, j'étais
pas capable de rien faire, quand les types sont blessés à côté,
puis on est sur la ligne de feu, on pouvait pas aller aider un,
l'autre, à aider l'autre. Il y a des positions qu'on peut, puis
d'autres positions qu'on peut pas. Quand même que le gars hurle,
puis il braille, puis il pleure… On n'est pas capable de rien
faire. Il y a des troupes en arrière pour prendre soin d'eux
autres quand on peut avancer après. Mais voir mourir ton, ton
chum à côté, là, c'est pas un cadeau, ça… ça, c'est, c'est,
c'est pas facile, ça. Ou un gars qui se fait amputer une épaule
en partant, ou un bras, ou bien donc un pied, passe sur une
mine, les jambes… C'est des choses qu'on voit, là. Dans onze
mois, on en voit pas mal. Mais voir mourir le type devant toi,
là, c'est… Il se fait tirer, il tombe mort, c'est moins pire.
Mais quand tu le vois mourir puis t'es pas capable de rien faire…
T'es de son âge, là… C'est pour dire, c'est, c'est dur
mourir, mais quand tu vois mourir ça de même, tu peux pas rien
faire… Moi ça m'a resté parce qu'on dit toujours que le cœur,
avant de mourir, ben lui le sang, là, à chaque fois qu'il avait
un spasme, le cœur, ça sortait, je voyais couler ça… Ça, ça, ça
te pogne. C'est pour ça je te dis quand il y a un ou deux
Allemands qui vont se rendre dans ce temps-là, c'est pas le
temps, là. Les gars, ils reviennent, l'expression : « ils on
voulu se sauver ». C'est ça qui était l'expression. Qu'est-ce tu
veux faire avec deux Allemands? Pris avec ça? Tu vas laisser tes
chums qui sont après se faire tuer, pour deux Allemands?
Comment vivre après la guerre avec ces histoires?
On était préparés, quand la guerre était finie, on avait des genres de psychiatres
qu'on, aujourd'hui il y en a de toutes les sortes mais, qu'ils
nous disaient de, après la guerre est finie, amusez-vous,
changez vous les idées, vous allez avoir des séquelles qui vont
rester pour quelques uns. D'autres moins, d'autres pire. Moi,
j'ai été nerveux, ma mère disait que je donnais des coups dans
les murs, la nervosité, puis… Quand même, tu peux pas l'oublier
comment, parce que quand tu t'en reviens chez toi, là, tout le
monde te questionne. Comment ce que tu peux te reposer les
esprits quand tout le monde, tu peux pas aller en nulle part,
dans une taverne, dans le temps, des tavernes, il y en avait à
tous les coins de rue, prendre une bière, c'était normal.
J'étais pas un amateur de bière tellement, mais prendre une
bière… ou même dans les usines, on allait visiter les usines,
tout ceux qui revenaient de l'autre côté. Ils te posent toujours
la même question. D'autres te demandent : « comment ce que t'en a tué? »
On vient assez… on déteste se faire demander ça.
Mais avec d'autres on peut parler, mais si on parle trop, ben là, ça…
Le mieux, ça a été de retourner à l'ouvrage, comme j'ai fait,
parce que au bout de un mois, un mois et demi, j'ai signé mon,
ma décharge honorable, puis j'ai retourné à l'ouvrage, parce que
la loi canadienne disait que fallait que tu reprennes ton travail
que t'avais laissé. C'était une des lois qui étaient bonnes
du gouvernement canadien, ils étaient obligés de te reprendre à ton usine.
Et, là, j'ai, j'ai eu cinq garçons, je me suis marié puis j'ai eu cinq garçons,
puis j'ai jamais parlé de rien de la guerre, excepté le onze novembre.
On se réunissait comme d'habitude, un gros cérémonial, de moins en moins
aujourd'hui, là… Dans le temps, les usines, à onze heures,
c'était l'usine, tout ferme, tout arrête, en ville, partout,
les églises, ça sonnaient les cloches. Là on restait un peu, les
souvenir revenaient. Mais graduellement, à force de travailler,
puis retourner avec ta famille, là… Il y avait rien que nos
rencontres, les anciens combattants qui en parlent. Mais
normalement, c'est rare, rare qu'on voit un vétéran qui va
s'asseoir puis qui va parler de ça. Mais aujourd'hui, on peut
raconter parce qu'on est rendus plus posés, puis on a
l'expérience de la vie. Mais c'est ça qu'ils te demandent tout le temps,
tes enfants. Mes enfants, qu'est-ce que ça m'aurait donné de leur raconter?
Ça m'aurait dérangé quand même. Mais il faut être capable de le faire,
il faut être capable de le raconter. Il y en a bien qui sont pas capables,
il y en a bien qui pleurent, il y en a qui…J'ai de mes types, moi,
à tous les onze novembre, qui viennent au cénotaphe puis ils partent à
pleurer le moment qu'ils jouent le last call. C'est sûr qu'on reste marqué.