L’équipe d’identification de la GRC – Opération Homage
Quatre des experts en sciences judiciaires de la GRC de la Nouvelle-Écosse – possédant plus de 100 ans d’expérience combinée – se sont rassemblés tôt le matin après l’écrasement du vol 111 de Swissair survenu au large de Peggy’s Cove. Vingt-cinq ans plus tard, ils ont mis le Canada à l’avant-plan en écrivant le livre (quelques livres) sur la façon de procéder à l’identification des victimes de catastrophes.
Opération Persistence
*Avertissement : Ce contenu aborde un sujet difficile que certains pourraient trouver dérangeant. Nous préférons vous en avertir.
Si vous êtes un vétéran ou une vétérane, un membre de la famille ou un aidant ayant besoin d’un soutien en santé mentale, le Service d’aide d’ACC est à votre disposition 24 h sur 24, sans frais. Composez le 1-800-268-7708 pour parler à un professionnel de la santé mentale dès maintenant.
Le vol 111 de Swissair a décollé de New York à destination de Genève lorsqu’un incendie dans le poste de pilotage a été découvert. L’équipage a essayé de larguer du carburant au-dessus de la baie St. Margarets en préparation d’un atterrissage d’urgence à l’aéroport le plus près – Halifax International.
Le contrôle de la circulation aérienne a perdu le contact à 22 h 24, quelques instants avant que l’avion pique du nez dans l’océan – à huit kilomètres du phare de Peggy’s Cove.
Alors que des centaines de Néo-Écossais étaient réveillés par des appels matinaux le 3 septembre 1998, l’inspecteur (à la retraite) de la GRC Neil Fraser, le sergent d’état-major Vic Gorman, le surintendant Lee Fraser et le caporal Calvin Smith se sont rendus à Shearwater pour se lancer dans le plus grand projet d’identification judiciaire de leur carrière. Ils constituaient un groupe de quatre officiers supérieurs de la GRC en Nouvelle-Écosse, cumulant plus de 100 ans d’expérience dans le domaine de l’identité judiciaire, qui s’est réuni au petit matin après l’écrasement du vol 111 de Swissair survenu au large de Peggy’s Cove.
L’inspecteur (à la retraite) de la GRC Neil Fraser a mémorisé par ordre alphabétique la liste des passagers du vol 111 de Swissair.
Il a parcouru les listes tant de fois pendant tant de jours, de semaines et de mois qu’elles se sont gravées dans sa mémoire à long terme.
Après des semaines d’analyse et de tri, l’inspecteur (à la retraite) Neil Fraser a mémorisé la liste des passagers du vol 111 de Swissair par ordre alphabétique. L’expertise qu’il a acquise pendant l’enquête a été mise à profit pour aider à l’identification des victimes de catastrophes après le tsunami de 2004 à Phuket, en Thaïlande.
M. Fraser était expert en médecine légale et avait passé de nombreuses heures à témoigner sur les éclaboussures de sang dans les tribunaux de la Nouvelle-Écosse. Cependant, à la suite de l’écrasement tragique du vol 111 de Swissair, son expertise sera mise à l’épreuve de façon différente.
Dans les mois qui ont suivi l’écrasement, il passait souvent des journées de 12 à 16 heures à cataloguer l’ADN prélevé sur des restes humains dans le hangar B de Shearwater. Lui et son équipe d’experts en identité judiciaire de la GRC savaient à quel point il était important pour les familles d’avoir quelque chose, quoi que ce soit, à ramener à la maison.
Dans le cadre de l’opération Homage, la GRC a travaillé aux côtés des équipes des Forces armées canadiennes (FAC) dont la mission était l’opération Persistence. Il s’agissait de l’intervention multiorganismes et multinationale la plus importante et de l’enquête la plus complexe de l’histoire du Bureau de la sécurité des transports du Canada.
« Alors que les victimes commençaient à être identifiées de diverses manières, j’ai été frappé par l’émotion, un matin, alors que je vérifiais quelques sacs mortuaires : il ne s’agissait plus de simples chiffres, mais de personnes. »
L’une de ces personnes réelles a attiré l’attention de M. Fraser, alors qu’il lisait le journal du samedi matin. Il a remarqué une lettre publiée dans le journal, écrite par Nancy White, la mère américaine de la passagère Rowenna White, âgée de 18 ans, qui se rendait à l’université en France à bord du vol 111 de Swissair. La mère éplorée a écrit pour remercier toutes les personnes ayant pris part à l’enquête et aux efforts de récupération, mais aussi pour reconnaître qu’elle savait qu’elle ne pourrait peut-être jamais enterrer sa fille.
Rowenna était dans les pensées de M. Fraser lorsqu’il s’est présenté au travail le lundi matin au hangar B de Shearwater. « Ce matin-là, le premier résultat d’ADN de toute l’enquête est arrivé : il s’agissait de Rowenna White, a‑t-il dit, la voix brisée par l’émotion.
« Je suis allé voir le surintendant Lee Fraser et je lui ai dit "mon ami, on va y arriver". »
Lee Fraser, surintendant à la retraite de la GRC, a déclaré que lui et son équipe portent le succès de l’enquête sur le vol 111 de Swissair sur leurs épaules.
Lee Fraser, originaire du Cap-Breton, est grand et imposant, avec une voix profonde de baryton et un regard bienveillant. La nuit où le vol 111 de Swissair s’est écrasé, il était responsable de l’identification judiciaire pour le Canada atlantique.
« Notre travail consistait à identifier ces personnes, ce qui s’est avéré être probablement la chose la plus importante de l’enquête sur Swissair, afin que les familles puissent tourner la page. »
Lee Fraser a conseillé aux membres de son équipe de procéder étape par étape – leur rappelant qu’ils avaient chacun beaucoup d’expérience en matière de pièces à conviction sur les scènes de crime. Il s’agissait seulement d’un projet à plus grande échelle. Une tâche accablante, monumentale et émotionnelle leur avait été confiée.
« Nous nous occupons constamment de pièces à conviction : nous savons comment les cataloguer, nous connaissons la chaîne de continuité, mais il s’agit simplement d’un grand nombre de pièces à conviction », a déclaré Neil Fraser.
C’est un tragique hasard qui a réuni les collègues et les amis cette nuit-là.
L’équipe d’identification de la GRC de Swissair était composée de vétérans chevronnés ayant des décennies d’expertise dans les enquêtes sur les homicides, les suicides, les morts suspectes et les morts accidentelles. Le caporal Calvin Smith avait de l’expérience dans les enquêtes sur les catastrophes aériennes : il faisait partie de l’équipe d’enquêteurs après l’écrasement du vol 1285R d’Arrow Air à Gander, Terre-Neuve, en 1985. Son premier conseil à Swissair a été de mettre immédiatement en place un système de suivi de chaque pièce à conviction.
« Nous devions documenter les processus, a affirmé Neil Fraser.
« Ces notes ont été intégrées au manuel que nous avons élaboré et qui a fait le tour du monde : c’était le manuel le plus avancé qui existait. Il est toujours utilisé comme référence. »
Ils ont utilisé des protocoles scientifiques avec les équipes de dentistes et de radiologues en utilisant les quatre éléments clés de l’identification judiciaire : l’analyse, la comparaison, l’évaluation et la vérification. C’était un énorme casse-tête et ils ont tous utilisé des techniques innovantes pour tout reconstituer.
Pour la première fois dans l’histoire du Canada, ils ont pu identifier une famille entière de cinq personnes grâce à l’empreinte du pouce du père. En confirmant l’ADN au moyen de cette empreinte, ils ont pu faire correspondre à moitié l’ADN du père pour trouver les trois enfants. Ensuite, ils ont pris l’autre moitié de l’ADN des enfants pour identifier leur mère.
Dans une salle d’autopsie, quelqu’un criait « ADN » et Neil Fraser remplissait une petite éprouvette de tissu musculaire ou de peau, la numérotait et l’envoyait à Ottawa pour qu’elle y soit analysée. Lorsque l’ADN permettait d’identifier un passager, les restes étaient placés dans un sac mortuaire dans un camion réfrigéré sur place. Chaque sac portait un nom qu’il avait mémorisé. Après avoir identifié tout le monde, les restes ont été rapatriés à la famille et aux proches. Les restes non identifiés ont été enterrés, entourés de roses sauvages et de la mer, dans un sentier du mémorial de Bayswater.
Le sergent d’état-major (à la retraite) Vic Gorman de la GRC a passé toute sa carrière à côtoyer la mort : homicides, suicides, morts suspectes, morts accidentelles. Il était souvent le premier sur les lieux. Son expertise a été requise à Ground Zero, à New York, après le 11 septembre 2001. Il a été diagnostiqué d’un état de stress post-traumatique (ESPT) en 2004. Avec sa femme, Jan, il s’efforce aujourd’hui d’aider d’autres vétérans atteints d’un ESPT.
De l’autre côté, les experts en sciences judiciaires collectaient tout l’ADN qu’ils pouvaient trouver sur chaque passager. Ils demandaient des échantillons aux membres de leur famille, les récupéraient sur des brosses à dents, des brosses à cheveux, et même sur une paire de verres à vin qu’un couple avait laissée sur sa table à Paris la veille de son départ pour New York.
« Nous apprenions au fur et à mesure, en identifiant des personnes à l’aide de dossiers dentaires, d’empreintes digitales, de radiographies, d’ADN et même de numéros de série sur des prothèses de genou et de hanche », a déclaré Vic Gorman.
Les équipes d’infirmières, de médecins, de membres des FAC et de la GRC présentes à la morgue se sont rapprochées au fur et à mesure qu’elles accomplissaient leur tâche exténuante. Il aurait été trop difficile de rencontrer les familles à ce moment-là, a déclaré Vic Gorman. Ils se sont opposés à la demande du médecin légiste provincial de les emmener à la morgue.
« Grâce à mon expérience avec tant de décès avant Swissair, j’ai vu venir les problèmes », a expliqué M. Gorman.
« Nous nous sommes battus [contre la venue des familles]. Nous ne pouvions pas le permettre : c’était assez dévastateur. Nous avons eu des gens qui ont eu des difficultés après, et qui en ont encore aujourd’hui, alors il ne fallait pas les mettre dans une situation où ils allaient s’effondrer. »
« Nous avons eu quelques séances de larmes pendant l’enquête. »
Le travail remarquable que l’équipe a accompli au cours des mois suivants pour identifier et rapatrier les restes de chacune des 229 victimes a permis à la GRC d’asseoir sa réputation mondiale en matière d’identification des victimes de catastrophes.
Au cours des deux décennies et demie qui se sont écoulées depuis l’écrasement, chacun d’entre eux a prononcé des discours lors de conférences internationales; leur travail a conduit le Canada à rejoindre le comité d’identification des victimes de catastrophes d’INTERPOL, et ils ont réécrit le manuel de la GRC sur les catastrophes (qui est encore utilisé aujourd’hui dans la formation des policiers) et certaines parties du manuel d’INTERPOL sur l’identification des victimes de catastrophes.
L’expertise qu’ils ont acquise au cours de l’enquête sur Swissair a permis à chacun d’entre eux d’acquérir la qualité d’expert mondial dans ce domaine. Ils ont été parmi les premiers experts en identification judiciaire invités sur les lieux des catastrophes de grande ampleur qui ont suivi, comme les attentats terroristes du 11 septembre 2001 à New York (Vic Gorman) et le tsunami de Phuket, en Thaïlande, en 2004 (Neil Fraser).
Vic Gorman a été diagnostiqué d’un ESPT en 2004. Depuis qu’il a pris sa retraite, lui et sa femme, Jan, s’efforcent de soutenir les vétérans atteints du même diagnostic. Ils ont joué un rôle déterminant dans la conception et l’élaboration du Programme de soutien et de défense en Nouvelle-Écosse et au sein de l’Association des anciens de la GRC à l’échelle nationale.
« On ne peut pas se cacher de ce genre de choses : je dois faire face à cela tous les jours de ma vie. »
Les quatre membres de la GRC sont toujours de bons amis et se réunissent lors de dîners où l’on raconte de vieilles histoires de police. Ils portent tous encore leur chemise de l’opération Homage.
Malgré la tristesse et le chagrin, l’enquête sur l’écrasement de Swissair a donné des résultats positifs.
« Je n’aurais jamais manqué l’occasion de participer à cette enquête, mais je ne voudrais pas la recommencer », a déclaré M. Gorman.
Lee Fraser a déclaré que les hommes étaient très fiers de dire qu’ils avaient identifié tous les passagers en 105 jours. Cette expérience inoubliable a adouci les arêtes tranchantes qu’il avait acquises au cours d’années de travail macabre au sein de la police et lui a permis d’apprécier plus profondément toutes les choses de sa vie.
« Vingt-cinq ans plus tard, vous pouvez poser le masque et faire ressortir certains de vos vrais sentiments. »
« C’était quelque chose », a-t-il dit, la voix s’assourdissant.
« Et on l’a fait, en totalité. »
Le nom de Rowenna White est inscrit avec celui des 228 autres passagers sur le mémorial de Swissair à Bayswater, en Nouvelle-Écosse.
Avec courage, intégrité et loyauté, Vic Gorman, Neil Fraser, Lee Fraser et Calvin Smith ont laissé leur marque. Ils comptent parmi nos membres de la GRC.
- Date de modification :