Bombardier (à la retraite) Adam Jones

Bombardier (à la retraite) Adam Jones

« Mon service est le résultat de mon héritage familial, qui remonte à 1777. J'étais très motivé à servir mon pays ».

Transcription : Adam Jones - Histoires de vétérans

Alvin Jones : La philosophie militaire exige que si vous êtes blessé dans l’armée, il ne faut pas en parler en dehors de l’armée, surtout pas à la famille. Ainsi, il y a des choses qui sont arrivées à Adam dont nous n’étions pas au courant en tant que famille. La gravité de ses blessures, comment elles se sont produites. Il nous manquait donc certains éléments d’information pour comprendre ce qui se passait.

Adam Jones : Pendant l’entraînement, je suis tombé du haut d’un obstacle et j’ai été assez gravement blessé. J’ai endommagé plusieurs parties de ma main et de mon bras, et j’ai aussi subi une commotion. Mais j’ai convaincu l’infirmière praticienne de la SEM que j’étais assez bien pour reprendre le service. J’ai subi ensuite une autre commotion qui s’est transformée en traumatisme cérébral accompagné de convulsions. Mes souvenirs de l’accident sont un peu flous, mais vous savez, une minute je faisais mon travail, et la suivante, j’étais sur une civière. J’ai été pris de convulsions assez sévères, et par la suite tous les symptômes de ma commotion initiale et de celle qui a suivi se sont manifestés.

Donna Matheson : Adam était aux prises avec de nombreux troubles cognitifs liés à un traumatisme cérébral. Cela pouvait se traduire notamment par des troubles de la mémoire – un problème avec lequel bien des gens sont familiers – mais il avait aussi de la difficulté à se concentrer, à maintenir son attention. Est-ce qu’il mangeait? Est-ce qu’il pouvait s’habiller? À cette époque, Adam était très dépendant de son... du soutien militaire qu’il recevait, pour l’aider à se souvenir de ses rendez‑vous, et pour l’y accompagner et le ramener chez lui.

Adam : Au début, j’étais très réticent à suivre des traitements d’ergothérapie, mais mon attitude s’est améliorée du fait que mon ergothérapeute était une civile. Je pouvais donc être franc à propos des difficultés que j’éprouvais et obtenir des conseils sur les façons de travailler sur ces problèmes sans avoir l’impression d’être un mauvais militaire.

Donna : Adam s’identifiait vraiment à certains sports, comme le ski et les sports d’équipe, et c’était très difficile pour lui d’accepter de ne plus pouvoir les pratiquer. Mais ensuite, nous avons exploré beaucoup d’autres options, y compris la course à pied, le vélo, l’entraînement et l’aviron. Depuis, il a beaucoup progressé pour en venir à faire partie de l’équipe de son université et à participer aux Jeux Invictus.

Alvin : À Ottawa, Adam a rencontré un médecin qui a remarqué son intelligence. Il a reconnu qu’il était différent du soldat moyen et lui a dit : « Tu sais, tu vas poursuivre tes études. Tu ne seras pas un champion, mais tu vas aller à l’école. Et au fil du temps, tu connaîtras de plus en plus de succès ».

Donna : Le rôle de l’ergothérapie a vraiment changé de façon à l’aider à pouvoir suivre ses cours. Nous avons donc passé beaucoup de temps à améliorer la capacité d’Adam à se concentrer à l’école, à mettre par écrit des stratégies. Adam devait faire de la lecture pour l’école , mais il aime aussi lire dans ses temps libres. Il a donc fallu qu’il commence par lire quelques minutes par jour pour ensuite intégrer peu à peu la lecture dans sa vie et y prendre goût.

Adam : En m’inscrivant à l’université, non seulement j’ai pu constater l’étendue de mon rétablissement, mais j’ai pu aussi fournir à tous les spécialistes qui me soutiennent des paramètres pour évaluer mon rétablissement. Je dirais que ce fut un tournant dans mon processus de rétablissement, et aussi le début d’une transition vers la vie civile.

Alvin : C’était très frustrant pour nous de voir Adam passer par cette transition à cause de ce que le système lui faisait subir. Ce dont nous sommes très fiers, c’est de la façon dont il s’est élevé au-dessus de cela, notamment en commençant à s’entraîner pour les Jeux Invictus. Il a aussi créé l’Association des vétérans de Carleton. Il s’est engagé de différentes manières, non pas pour lui-même, mais pour aider les autres.

Adam : Il se peut que vous ne puissiez jamais faire totalement abstraction de cette croyance que vous appartenez avant tout au corps militaire, mais si vous parvenez à trouver de nouvelles façons de vous épanouir, la pression mentale sera moins forte. Dans mon cas, même si quitter l’armée fut une expérience négative, je savais que les études universitaires m’apporteraient un résultat positif au bout du compte. Mon service militaire est le fruit d’une tradition familiale. Mes ancêtres étaient des Loyalistes noirs de l’Empire. Notre tradition militaire familiale remonte à 1777 et se poursuit à ce jour.

Alvin : Je ne croyais pas avoir un jour la possibilité, en tant que Jones, de servir dans l’armée. Maintenant, c’est Adam qui a suivi cette voie. Comme il l’a fait en premier, il me dit, « Tu sais, papa, je suis content de voir que tu es dans l’armée, et je suis content d’en être sorti avant que tu n’y sois entré, ainsi je n’ai pas à te saluer ».

Motivé à servir

Le père d'Adam, le colonel honoraire Alvin Jones, dit que dès son plus jeune âge, son fils s’intéressait beaucoup à l'armée et pouvait reconnaître les chars et autres équipements. « Il a toujours eu une grande passion pour le service militaire et un profond désir de s'enrôler dans les Forces armées canadiennes ».

Après ses études secondaires, Adam s’est enrôlé dans les forces militaires. Il a commencé son service en 2011 en tant que soldat d’artillerie de campagne, maintenant appelé un artilleur. « Mon travail consistait à agir comme artilleur principal au sein d’une équipe responsable d’un obusier C3 ou M777 », affirme Adam.

En 2013, Adam est tombé du haut d’un obstacle pendant le parcours de développement de la confiance en soi. Il s'est blessé à la main et au bras, et a souffert une commotion cérébrale. « À l'époque, ma commotion cérébrale n'était pas considérée comme un problème médical grave », dit Adam. J'ai convaincu l'infirmière praticienne à l'unité médicale de la base que j'étais assez bien pour réintégrer mes fonctions. On m'a donc installé un collier cervical et une attelle au bras et j'ai repris mon service. J'ai été en mesure de progresser dans ma carrière, mais je ne me suis jamais vraiment occupé de cette blessure ».

L’année suivante, Adam a subi une autre commotion, qui s’est transformée en traumatisme cérébral et a provoqué une crise d’épilepsie. « Une minute, je faisais mon travail, la suivante, j’étais sur une civière ».

Quelqu’un dans son coin

Cette fois, la commotion ne pouvait être ignorée, obligeant Adam à subir un traitement d'urgence. « Tous les symptômes de cette première commotion cérébrale et de la commotion subséquente ont fait surface. Tous les symptômes à long terme se sont manifestés, y compris des difficultés au niveau de mes capacités cognitives, motrices, langagières et visuelles ». Malgré tout, Adam a essayé de dissimuler sa blessure. « Je me suis confié à mon ergothérapeute au cours ce que je croyais être une discussion confidentielle. Le lendemain, j'ai reçu un appel de mon médecin militaire qui m'a dit : « Comment ça, vous ne mangez pas, ne dormez plus, vous ne vous souvenez de rien et vous oubliez vos mots? »

Après le traitement d’urgence, Adam s’est vu attribuer une catégorie médicale temporaire. Le rapport d’observation rédigé par son médecin militaire recommandait notamment des « études universitaires à temps partiel ». C’est à ce moment que s’est véritablement amorcée la guérison d’Adam. « Mon médecin militaire m’a ordonné de retourner à l’université, ce qui signifiait que les cours devaient être offerts par l’armée, dit Adam. Je me suis blessé en mai et j’ai commencé mes études à l’Université Carleton en septembre 2014, parce que le médecin militaire s’est porté à ma défense ».

Quitter les forces

En raison de l’étendue de ses blessures, Adam s’est vu attribuer par la suite une catégorie médicale permanente. En 2017, Adam a été affecté à une unité interarmées de soutien du personnel à Ottawa. C’est là qu’il a amorcé le processus de transition. Il a été libéré officiellement en 2018.

Les dernières années du service d'Adam ont été axées sur son rétablissement, ce qui comprenait des séances de physiothérapie, d'orthophonie et d'ergothérapie. Cependant, la période précédant sa libération a aussi été marquée par des réalisations personnelles et professionnelles. En effet, Adam a été sélectionné pour faire partie de l'équipe canadienne aux Jeux Invictus de 2017 à Toronto. Il a participé aux épreuves d'aviron et d'athlétisme. Il a reçu des éloges et a été promu au grade de bombardier. Adam accorde une grande importance à ce sentiment de satisfaction professionnelle. « J’ai eu l’impression de quitter les Forces canadiennes en obtenant une certaine reconnaissance ».

Même si Adam pouvait constater les résultats positifs de quitter le service militaire, comme le fait de bénéficier d’une formation universitaire, la transition n'a pas été facile. « Lorsque j'ai fait la transition, outre un profond sentiment de déception familiale, j’ai aussi vécu la perte du sentiment d'appartenance que procure le service au sein d’un bataillon. J'avais accepté d’être avant tout un soldat et de faire partie d’une famille militaire. Quand tout ça a disparu, ça m’a détruit ».

Un changement de perspective

« Mon plus grand obstacle psychologique, à la suite de ma blessure et de la transition, a été la perte de mon identité de soldat, parce que j’évaluais mon processus de rétablissement avec le raisonnement suivant : Est-ce que je remplis les conditions nécessaires pour pouvoir exercer à nouveau mon métier? C’est une importante prise de conscience qui a permis à Adam de changer sa façon d’aborder la vie après le service. « Plutôt que de chercher à redevenir qui j’étais auparavant, je me suis demandé : Qui puis-je être maintenant? »

Adam a commencé à s'adonner à de nouveaux passe-temps et à trouver différentes façons de se mettre au défi. « J'ai commencé à m’épanouir dans des domaines que je n'avais jamais explorés auparavant ». Il a notamment choisi d’apprendre à jouer du violoncelle. « Cela m'a permis de continuer à me dépasser, de demeurer l’artisan de mon rétablissement, mais aussi de m’enlever de la pression, de faire des choses intéressantes, de travailler sur mon caractère et de commencer à me considérer autrement que comme un soldat défectueux ».

Donner au suivant

Adam s’efforce de créer une communauté de vétérans sur le campus de Carleton. Il a formé la toute première association d'étudiants vétérans au Canada. L'association accueille les vétérans sur le campus, offre un réseau de soutien par les pairs et fournit des outils qui facilitent l'intégration aux services de santé mentale existants de l'établissement universitaire. Jusqu'à 40 personnes participent aux réunions.

« L'âge moyen d'un soldat est de 25 ans, explique Adam. Les étudiants universitaires de première année ont 18 ans. Le fait d'offrir un réseau sur le campus où les membres n'ont pas l'impression d'avoir 10 ans de plus que leurs camarades de classe représente un grand pas en avant pour nous ».

Conseils aux autres vétérans

Fort de ses propres expériences en matière de rétablissement et de transition, Adam recommande à ses camarades vétérans de trouver des façons de s'épanouir en tant que personnes. « Vous ne serez peut‑être jamais capable d'ébranler entièrement votre conviction d'être avant tout un soldat et le sentiment d'appartenance que cela procure, mais si vous commencez à vous épanouir d'une manière que vous n'avez jamais connue auparavant, cela soulage cette pression mentale. Vous pouvez ainsi faire une transition en douceur. Cela vous permet d’avoir une meilleure idée d'où vous vous situez ».

Date de publication : 2021-02-01


 

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