La fierté de servir
Canadiens 2ELGBTQI+ en uniforme
Les membres de la communauté 2ELGBTQI+ ont fait d’importantes contributions militaires. Ils ont vécu de la fierté et des accomplissements, mais aussi de la discrimination et de la persécution. Découvrez cet important chapitre de l’histoire militaire canadienne.
Table des matières
- Renseignements généraux
- Introduction
- Les premières années
- L’arrivée des Européens
- Des obstacles difficiles
- Les cours martiales
- Les travestis
- L’occasion de s’épanouir
- Dissimuler son identité
- Des lois différentes
- La réaction de l’armée
- Des risques pour la sécurité?
- La guerre interne contre les militaires 2ELGBTQI+
- La « Fruit Machine »
- Plus de persécutions dans les années 1970
- Une fin lente des politiques injustes
- Des militaires libérés contre-attaquent
- Personnes et histoires – Les Forces armées canadiennes
- Les excuses présentées par le gouvernement du Canada
- Recours collectif
- Le Monument national 2ELGBTQI+
- Les Forces armées canadiennes aujourd’hui
- Renseignements connexes
Renseignements généraux
Pendant la majeure partie de l’histoire du Canada, les forces armées ont officiellement interdit aux membres de la communauté 2ELGBTQI+ de servir en uniforme. Dans le cadre de cet héritage de discrimination, la plupart de leurs histoires ont été enfouies profondément. Des recherches récentes ont permis de faire la lumière sur un plus grand nombre de ces histoires à la fois inspirantes et déchirantes.
L’histoire du service militaire des membres de la communauté 2ELGBTQI+ dans notre pays est celle de nombreux pionniers canadiens. Cependant, il s’agit d’un sujet complexe et les documents historiques ne peuvent pas toujours raconter toute l’histoire. Le présent texte en donne un aperçu, mais nous sommes conscients que chaque vétéran a sa propre histoire. Ce que vous lirez ici ne reflète pas l’expérience vécue par chaque personne. Nous partageons ces histoires pour ajouter à notre expérience collective sur le service militaire des personnes 2ELGBTQI+. Nous remercions ces personnes d’avoir partagé leurs histoires. Nous vous encourageons à découvrir et à reconnaître cette partie importante de l’histoire militaire du Canada.
Ce contenu aborde des sujets potentiellement douloureux qui explorent l’histoire de la discrimination et des préjudices subis par les militaires 2ELGBTQI+. Certains lecteurs pourraient être affectés par ce contenu. Si c’est le cas, de l’aide est disponible.
Si vous êtes un vétéran, un membre de la famille ou un aidant, vous avez accès au soutien d’un professionnel en santé mentale sans frais 24 heures sur 24, sept jours sur sept, durant toute l’année. Composez le 1-800-268-7708.
Introduction
La communauté des personnes aux deux esprits, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queers, intersexuées et autres personnes faisant partie des minorités sexuelles et de genre diversifiées a toujours été présente au Canada. Des membres de cette communauté ont également servi en uniforme tout au long de notre histoire. De nombreux hommes, femmes et personnes de diverses identités de genre de la communauté, issus de différents milieux et cultures, ont apporté d’importantes contributions militaires. Au même moment, leur pays leur a refusé pendant longtemps l’égalité des droits.
Des membres des Forces armées canadiennes hissent le drapeau de la fierté à la BFC North Bay en juillet 2019.
Photo : Ministère de la Défense nationale NB01-2019-180-3
Les personnes 2ELGBTQI+ dans l’armée canadienne ont ressenti de la fierté et accompli des réalisations, mais elles ont aussi été victimes de discrimination et de persécution. Les attitudes à l’égard de leur service ont évolué au même rythme que notre société. Des générations de vétérans ont persévéré pour faire tomber les barrières. Grâce à leurs efforts, les membres de cette communauté dans les Forces armées canadiennes n’ont plus à surmonter bon nombre de ces obstacles. Il y a encore du travail à faire pour parvenir à une véritable équité, mais les Canadiens 2ELGBTQI+ ont fait de grands pas vers l’équité juridique et l’acceptation.
L’avant-Première Guerre mondiale
Les premières années
Avant l’arrivée des Européens, les cultures autochtones de l’Île de la Tortue (aujourd’hui l’Amérique du Nord) avaient de nombreux rôles et systèmes de genre différents. Bon nombre de ces genres reconnus ne correspondaient pas à la conception coloniale de l’homme et de la femme. Ces attitudes inclusives se retrouvent encore aujourd’hui dans de nombreuses cultures autochtones. Certains guerriers autochtones du début de l’histoire de notre pays formaient ce que nous pourrions appeler aujourd’hui une diversité de genre et de sexe. À ce titre, ils ont été les premiers combattants de ce pays à pouvoir être considérés comme des membres de la communauté 2ELGBTQI+. Beaucoup d’autres suivront leurs traces.
L’arrivée des Européens
Les colons européens qui sont arrivés au Canada ont apporté des normes et des attitudes très différentes. Pour les premiers colons, les rôles liés au genre et à la sexualité et les identités qui s’y rattachent étaient beaucoup plus limités. Ces identités étaient rigides et visaient le maintien des normes dominantes de l’hétérosexualité et du mariage entre un homme et une femme. Des lois restrictives soutenaient en outre la notion de seulement deux identités de genre et d’une orientation sexuelle.
Depuis les temps anciens, la diversité sexuelle et de genre existe. De la période médiévale à la période moderne, des pays ont cependant créé des lois contre les actes et les relations entre personnes de même sexe dans la société en général et dans l’armée. Les religions dominantes de l’époque ont aussi banni ce type d’actes et de relations.
Des obstacles difficiles
En Amérique du Nord, dès le régime français au Québec dans les années 1600, on trouve des dossiers de militaires arrêtés et accusés de sodomie. Il s’agissait de règlements contre les pratiques sexuelles ou romantiques différentes de la norme hétérosexuelle. Cela signifie que c’est seulement dans les dossiers des tribunaux que l’on trouve certaines histoires du passé du Canada concernant les militaires 2ELGBTQI+.
Ces obstacles difficiles ne se sont pas atténués sous le régime britannique. Au XIXe siècle encore, certaines formes de relations sexuelles entre personnes de même sexe étaient punies de peines de prison à vie, voire d’exécution. Avec le temps, les outils utilisés pour persécuter les personnes 2ELGBTQI+ au Canada ont évolué. Dans les années 1890, le code juridique a été modifié pour inclure des lois contre ce que l’on appelait la « grossière indécence ». Ces lois étaient délibérément vagues. Elles pouvaient inclure tout ce qui démontrait une attirance pour le même sexe, comme de simples attouchements, des danses et des baisers. Souvent, aucune preuve directe n’était exigée. Les personnes accusées pouvaient être condamnées sur la base de simples rumeurs.
Soldats canadiens pendant la guerre d’Afrique du Sud.
Photo : Musée canadien de la guerre
Comme dans la société en général, les membres de cette communauté étaient victimes de discrimination dans l’armée canadienne. À cette époque, il n’était pas vraiment possible de porter l’uniforme en tant que personne ouvertement 2ELGBTQI+. La culture militaire valorisait les idéaux exagérés de la masculinité des colons. Les militaires devaient se conformer strictement aux normes de genre attendues. Sinon, ils s’exposaient à des représailles de la part des autres soldats et de leurs officiers supérieurs. Ils pouvaient aussi être punis par l’intermédiaire du système judiciaire militaire.
La Première Guerre mondiale
Le saviez-vous ?
La Première Guerre mondiale a éclaté en Europe en août 1914. Il s’agissait d’un conflit de grande envergure et l’armée canadienne a dû se développer rapidement. De nombreuses personnes se sont empressées de s’enrôler et plus de 650 000 Canadiens et Terre-Neuviens avaient servi en uniforme lorsque le conflit a pris fin en novembre 1918.
Malgré les nombreux obstacles auxquels ils se sont heurtés, les militaires canadiens 2ELGBTQI+ ont persévéré pour apporter leur contribution personnelle à l’effort de guerre. Bon nombre d’entre eux allaient également perdre la vie. Ces héros tombés au combat font partie des plus de 66 000 Canadiens qui sont morts pendant la Première Guerre mondiale.
Les cours martiales
Des Canadiens de toutes les couches de la société ont risqué leur vie pendant la Première Guerre mondiale. Certains d’entre eux, cependant, ne correspondaient pas aux catégories de genre ou d’orientation sexuelle de l’époque. En raison des politiques injustes de cette époque, de nombreuses personnes 2ELGBTQI+ et leurs histoires ont été effacées ou cachées. On ne trouve que des traces dans les documents officiels, principalement les transcriptions des cours martiales. Ces documents font état des accusations portées contre des soldats surpris dans ce qui était considéré comme des situations compromettantes.
Les cours martiales étaient monnaie courante pendant les deux guerres mondiales. Autorisées à l’origine par l’Army Act de 1881 et la Naval Discipline Act de 1866, elles prenaient généralement la forme d’un tribunal d’officiers militaires agissant en tant que juges. Les cours martiales avaient compétence pour une longue liste d’infractions. Les plus courantes comprenaient le fait d’être ivre pendant le service ou de s’absenter sans permission.
Il arrivait que des personnes ayant participé à des rencontres en apparence entre personnes de même sexe soient accusées de différentes infractions. La principale accusation était la grossière indécence. C’était le reflet du code criminel de l’ensemble du Canada à l’époque. Les accusations militaires de grossière indécence relevaient de divers articles de l’Army Act. En général, cette loi renfermait des définitions vagues dont l’armée pouvait se servir pour poursuivre des personnes 2ELGBTQI+. Les militaires canadiens étaient assujettis à ces lois, même pour leurs actions en France ou en Belgique, où les lois en cette matière étaient moins strictes.
Des soldats du 13e Bataillon (Royal Highlanders of Canada) se rassemblent dans une tranchée sur les lignes de front en décembre 1917.
Photo : Bibliothèque et Archives Canada
Les soldats visés par ces lois discriminatoires pouvaient se voir infliger de lourdes peines de prison. Ils pouvaient également être renvoyés de l’armée pour cause d’indignité ou se voir refuser des promotions.
Les travestis
Malgré cette discrimination à l’égard des membres de cette communauté, certains aspects de la culture 2ELGBTQI+ étaient populaires. Pendant les années de guerre, les acteurs masculins se déguisaient souvent en travestis lors des spectacles que les animateurs de l’armée donnaient aux soldats.
Membres de la troupe les « Dumbells » de la Première Guerre mondiale.
Photo : Bibliothèque et Archives Canada
La Force expéditionnaire du Canada possédait plusieurs de ces troupes de spectacles. Les Dumbells étaient les plus célèbres. Les soldats adoraient voir ces personnages féminins sur scène. Les meilleurs « travestis » devenaient même de modestes célébrités.
La Seconde Guerre mondiale
Le saviez-vous ?
La Seconde Guerre mondiale a été déclarée en septembre 1939. Plus d’un million de Canadiens avaient servi en uniforme lorsque le conflit a pris fin en août 1945. Les combats ont fait rage sur les champs de bataille du monde entier et plus de 45 000 Canadiens y ont perdu la vie. Cette guerre gigantesque a eu de nombreuses répercussions sur la société de notre pays, y compris sur les membres de la communauté 2ELGBTQI+.
L’occasion de s’épanouir
De nombreux Canadiens qui ne correspondaient pas aux attentes traditionnelles rigides de l’époque en matière de genre et d’hétérosexualité étaient menacés de persécution et de violence. Outre le fait que le service en temps de guerre est dangereux et stressant, les recrues 2ELGBTQI+ faisaient l’objet d’un harcèlement accru. Malgré cela, nombre d’entre elles estimaient que le service pendant la Seconde Guerre mondiale était une occasion d’y trouver d’autres personnes semblables, une communauté et un sens de l’amitié. Certaines y ont aussi trouvé un refuge contre la société hostile de leur pays. Pour certains, la guerre offrait en quelque sorte un moyen de rompre avec l’expérience canadienne stricte et hétérocentrique. C’était aussi pour des membres de la communauté 2ELGBTQI+ une occasion de se découvrir.
Dissimuler son identité
Une fois de plus, l’armée forçait les personnes 2ELGBTQI+ à dissimuler leur identité sexuelle ou de genre. Sinon, elles s’exposaient à de graves sanctions. Par exemple, toutes les nouvelles recrues devaient subir un examen médical officiel visant à évaluer leur aptitude physique et mentale au service. Les autorités médicales de l’armée canadienne classaient les membres de la communauté 2ELGBTQI+ dans la catégorie des « personnalités psychopathiques ». D’autres termes similaires étaient employés, notamment « délinquants chroniques, alcooliques chroniques et toxicomanes ». Selon cette évaluation très déficiente, ils étaient officiellement considérés comme « inaptes au service pour des raisons médicales, où que ce soit et à quelque titre que ce soit ».
Des lois différentes
Comme pendant la Première Guerre mondiale, il existait encore des règlements qui pouvaient être utilisés contre les personnes 2ELGBTQI+ qui réussissaient à s’enrôler. Les deux principaux outils étaient l’Army and Air Force Act et la Naval Discipline Act. Mais ces lois n’ont pas été utilisées contre les femmes militaires canadiennes pendant la Seconde Guerre mondiale.
Par contre, elles ont été contraintes de surmonter de nombreux défis lorsqu’elles ont tenté de porter l’uniforme. Les politiques discriminatoires qui ont persécuté les hommes de la communauté 2ELGBTQI+ n’ont été utilisées contre les femmes que plus tard. Cependant, les femmes militaires ont dû faire face à de nombreux obstacles pendant ce conflit. La culture militaire privilégiait la masculinité hétéronormative et ne considérait pas les femmes comme les égales des hommes.
Membres du Service féminin de l’Armée canadienne dans une base d’entraînement en Ontario, en 1944.
Photo : Bibliothèque et Archives Canada
La réaction de l’armée
La réaction officielle face aux personnes 2ELGBTQI+ en uniforme variait considérablement. Les autorités pouvaient porter des accusations. Les sanctions possibles comprenaient la détention ou des peines de prison dans des camps de travail, l’exclusion pour cause d’indignité ou la libération pour « raisons autres que médicales ». Certains militaires accusés étaient également contraints de consulter des psychologues. Les personnes reconnues coupables de « conduite déshonorante contre nature » étaient souvent placées en détention. Après avoir purgé leur peine, bon nombre d’entre elles ont repris le service. Les officiers étaient beaucoup moins susceptibles d’être condamnés pour ce type d’accusation que les membres des troupes. Cependant, s’ils étaient reconnus coupables, les officiers étaient plus susceptibles d’être renvoyés que les militaires enrôlés.
Parfois, la connaissance officielle de l’orientation sexuelle « déviante » d’un soldat n’entraînait pas le dépôt d’accusations, une sanction ou le renvoi de l’armée. En effet, l’armée acceptait certains hommes de la communauté 2ELGBTQI+ plutôt ouvertement. Pourquoi? La perception de l’impact de la sexualité d’un militaire sur les autres membres de son unité a parfois joué un rôle, tout comme ce fut très probablement le cas de l’attitude de leurs commandants et de la police militaire. De plus, l’armée était moins susceptible de les renvoyer s’il lui fallait davantage de combattants lorsque les combats étaient particulièrement sanglants. Face aux fortes pressions exercées par la guerre, de nombreux militaires ont peut-être accepté leurs camarades 2ELGBTQI+ ou ont tout simplement fait fi de leur orientation sexuelle.
Des soldats canadiens heureux à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Photo : Bibliothèque et Archives Canada
Une grande partie de la littérature sur la guerre ferme également les yeux sur cette situation. Les membres de cette communauté ont été effacés de l’histoire. En outre, les activités sexuelles ou romantiques entre hommes étaient souvent présentées comme des exutoires temporaires dans un environnement à prédominance masculine.
L’évolution de la société
Dans l’armée, les personnes 2ELGBTQI+ subissaient souvent de la discrimination. Au même moment, les sous-cultures centrées sur cette communauté connaissaient un essor considérable dans la société nord-américaine. C’est une période complexe de l’histoire. Des communautés 2ELGBTQI+ dynamiques se sont développées malgré les attitudes conservatrices courantes. Elles se sont renforcées lorsque les vétérans ont réintégré la vie civile après la guerre.
Durant tout ce temps, les Canadiens 2ELGBTQI+ ont servi leur pays et surmonté de nombreux obstacles. Ils ont servi et se sont sacrifiés aux côtés de leurs camarades hétérosexuels et cisgenres pour rétablir la paix et la liberté dans le monde.
L'ère de la guerre froide
Le saviez-vous ?
La Guerre froide s’est déroulée de la fin des années 1940 au début des années 1990. À l’époque, le monde était essentiellement divisé en deux camps. Les États-Unis dirigeaient les démocraties capitalistes de l’« Ouest », tandis que l’Union soviétique dominait les pays communistes de l’« Est ».
Le Canada s’est rangé du côté de l’Ouest, tout comme les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et de nombreux autres pays démocratiques. Le conflit ne s’est jamais envenimé pour mener à un combat direct entre les deux camps. Par contre, pendant la Guerre froide, les deux camps ont développé leurs forces militaires, y compris leurs armes nucléaires, pour tenter d’obtenir un avantage stratégique. Les tensions internationales étant élevées, l’espionnage a joué un rôle de premier plan.
Des risques pour la sécurité?
La discrimination dont faisaient preuve l’armée et le gouvernement du Canada à l’égard des militaires 2ELGBTQI+ s’est poursuivie. Elle a donné lieu après la guerre à une purge liée à des préoccupations contestables en matière de sécurité nationale. À cette époque, il y avait des attitudes négatives et bien ancrées à l’endroit des personnes queers. Le gouvernement canadien pouvait donc les dépeindre faussement comme des risques possibles pour la sécurité. Il a désigné les personnes queers comme des cibles possibles pour la manipulation soviétique, en particulier celles faisant partie de l’armée, de la Gendarmerie royale du Canada et de la fonction publique fédérale.
Il s’agissait d’un raisonnement erroné, fondé sur des préjugés. Le gouvernement craignait que les espions soviétiques ne fassent chanter les personnes queers. Il croyait que les Soviétiques les forceraient à divulguer des renseignements secrets pour éviter que leur orientation sexuelle ne soit rendue publique. Une fois de plus, le gouvernement obligeait les membres de cette communauté à quitter ces emplois sensibles. Cette campagne de persécution, connue sous le nom de « Purge LGBT », a causé de grandes difficultés et des préjudices à un très grand nombre de personnes.
Pilotes d’avion de chasse de l’Aviation royale canadienne sur une base militaire en Allemagne de l’Ouest en 1963.
Photo : Organisation du Traité de l’Atlantique Nord
La guerre interne contre les militaires 2ELGBTQI+
Lorsque la Guerre froide s’est intensifiée dans les années 1950, le service des enquêtes spéciales de l’armée canadienne s’est mis de plus en plus à la recherche des militaires 2ELGBTQI+. Pourquoi? Pour les éliminer complètement des rangs. Ironiquement, l’armée faisait également pression sur tous les militaires, peu importe leur orientation sexuelle, afin qu’il dénonce les collègues qu’ils soupçonnaient d’être des « homosexuels ».
Le terme « homosexuel » était souvent utilisé par l’armée canadienne dans ses politiques à l’encontre des membres de la communauté 2ELGBTQI+. Il était utilisé dans un sens négatif et péjoratif. Ce mot n’est plus autant utilisé, mais « homosexuel » était un terme général appliqué aux personnes qui sont aujourd’hui désignées comme 2ELGBTQI+.
Le service des enquêtes spéciales de l’armée canadienne faisait du chantage aux militaires soupçonnés d’appartenir à la communauté 2ELGBTQI+. Le gouvernement craignait alors que l’Union soviétique ait recours à cette stratégie. Autrement dit, l’armée offrait un « choix » à ces personnes. Elles pouvaient quitter volontairement les Forces armées canadiennes avec mention honorable. Sinon, elles risquaient la cour martiale et une libération pour cause d’indignité, même si elles n’avaient pas accès à des renseignements de sécurité de nature délicate. L’armée tentait aussi de les forcer à dénoncer leurs amis.
La « Fruit Machine »
Au début de la guerre froide, le gouvernement a commencé à financer des recherches visant à trouver des moyens de dépister « scientifiquement » les personnes 2ELGBTQI+. Ces recherches biaisées ont débouché sur la mise au point d’un appareil connu sous le nom de « Fruit Machine ». En anglais, « fruit » est un terme péjoratif utilisé pour désigner certains membres de la communauté queer.
Cet appareil tentait de tester l’orientation sexuelle d’une personne en surveillant la taille de ses pupilles lorsqu’elle regardait des images érotiques. On pensait que la dilatation des pupilles était le signe d’une excitation sexuelle. Le résultat du test était ensuite utilisé comme preuve pour forcer la personne à admettre sa « culpabilité ». Toutefois, les résultats de ces tests ont été jugés non concluants, de sorte que l’utilisation de cette machine a été abandonnée en 1967. On a déterminé qu’il était impossible de « détecter » l’homosexualité à l’aide de ce type de technologie.
La « Fruit Machine ».
Photo : Musée canadien de la guerre
Regardez le documentaire :
The Fruit Machine (2018) (disponible en anglais seulement)
Dans ce documentaire de la cinéaste Sarah Fodey, les survivants d’une chasse aux sorcières envers les homosexuels qui a duré des décennies racontent leurs histoires personnelles de dévouement et de trahison au sein du gouvernement canadien. Certaines étant adoucies par l’âge et la tristesse, d’autres bruyantes et en colère, les voix des anciens fonctionnaires visés par la purge sont désormais unies et déterminées.
Plus de persécutions dans les années 1970
En 1969, une modification est apportée à la loi fédérale pour décriminaliser partiellement les actes homosexuels. Malgré cela, les Forces armées canadiennes ont publié la nouvelle Ordonnance administrative OAFC 19-20. Cette ordonnance interdisait « la présence de déviants sexuels dans les forces armées ». Fort de cet outil, l’armée a renforcé encore davantage ses tactiques de persécution à l’égard des militaires soupçonnés. Cette fois, les politiques discriminatoires visaient également les lesbiennes et les autres femmes 2ELGBTQI+.
Les femmes en général ont été victimes de discrimination fondée sur le sexe et le genre dans l’armée. Par conséquent, les femmes membres de cette communauté ont vécu une vie militaire et la discrimination de manière différente des hommes. Les femmes accusées étaient plus souvent contraintes de quitter l’armée. Ce traitement injuste témoigne des problèmes plus vastes qui existent au sein des Forces armées canadiennes, qui commençaient alors à intégrer davantage de femmes dans leurs rangs. La structure de pouvoir systémique excluait toutes les personnes qui ne correspondaient pas à la culture militaire à dominance masculine hétérosexuelle. Cela a créé un climat de peur.
La carrière et la survie des militaires 2ELGBTQI+ les obligeaient à mener une double vie. Ils cachaient leur vie personnelle, notamment les personnes qu’ils aimaient et qu’ils fréquentaient. Ils craignaient d’être sanctionnés ou renvoyés s’ils étaient démasqués. Ils craignaient également de se voir refuser des mutations ou des promotions. L’armée les harcelait souvent, les espionnait ou mettait leurs téléphones sur écoute. Ces personnes étaient aussi interrogées sans pouvoir bénéficier des services d’un avocat. L’armée a interrogé des militaires 2ELGBTQI+ en utilisant des techniques psychologiques destinées à faire craquer les gens. Ces interrogatoires duraient des heures, des jours ou des mois.
Les enquêteurs harcelaient également leurs amis, leurs partenaires ou leurs conjoints, ainsi que leur famille. Cette persécution a aussi eu des répercussions négatives sur ces personnes.
Les membres de l’unité d’enquête spéciale de la police militaire ont soumis les militaires soupçonnés d’appartenir à la communauté 2ELGBTQI+ à des détecteurs de mensonges. Certains accusés ont même été agressés sexuellement. Ces pratiques dures, humiliantes et traumatisantes de la police militaire ont eu de lourdes conséquences sur les accusés. Leur vie et leur carrière ont souvent été bouleversées, ce qui a eu des répercussions durables sur leur santé, leur emploi, leurs possibilités de bénévolat et leurs déplacements.
Cette campagne discriminatoire contre les militaires 2ELGBTQI+ s’est poursuivie dans les années 1980 et au début des années 1990. L’armée a clarifié ses politiques au cours de cette période afin d’intensifier la persécution de ces personnes. Elle en a élargi le fondement pour y inclure une suggestion injuste : les personnes qui s’identifiaient comme 2ELGBTQI+ pouvaient être la cause de « conflits interpersonnels ». Les autorités prétendaient que cela pourrait avoir un « effet préjudiciable » sur la capacité des Forces armées canadiennes à s’acquitter de leurs fonctions.
Une fin lente des politiques injustes
Malgré la persécution persistante, certaines attitudes militaires à l’égard des militaires 2ELGBTQI+ ont commencé à s’adoucir lentement dans les années 1980. Cette évolution témoigne d’un changement d’attitude dans la société canadienne en général. Mais à la fin des années 1980, les autorités militaires continuaient d’encourager les membres de la communauté à quitter l’armée.
La politique de l’OAFC 19-20 visant à exclure ces personnes était toujours en vigueur. Cependant, l’armée a fait circuler une note de service indiquant que les commandants n’étaient pas tenus de recommander automatiquement la libération des militaires 2ELGBTQI+. Ainsi, certains d’entre eux n’ont pas été renvoyés de force. Ces militaires ont plutôt dû consentir à être libérés en raison de leur orientation sexuelle.
Les personnes qui avaient été démasquées et qui refusaient d’être libérées pouvaient poursuivre leur service militaire à la discrétion de leurs supérieurs. Toutefois, l’armée leur refusait toute promotion, augmentation de salaire et toute autre possibilité d’avancement professionnel. Malgré l’évolution de ses pratiques et politiques, l’armée a poursuivi la purge de certains militaires 2ELGBTQI+.
Après la guerre froide
Des militaires libérés contre-attaquent
À l’automne 1992, l’ordonnance OAFC 19-20, qui permettait à l’armée d’exercer une discrimination officielle à l’égard des militaires 2ELGBTQI+, a finalement été abrogée.
Ce changement est intervenu à la suite d’une action en justice intentée contre les Forces armées canadiennes.
En 1990, Michelle Douglas et trois autres personnes 2ELGBTQI+ ont courageusement intenté des actions en justice contre l’armée. Ces anciens membres des Forces armées canadiennes avaient été victimes de discrimination et libérés par les autorités. La poursuite intentée par Michelle Douglas fut la première à être traitée. L’armée a réglé le litige à l’amiable le 27 octobre 1992 et a versé 100 000 $ à Michelle Douglas. En conséquence, la Cour fédérale du Canada a statué que les personnes « homosexuelles » pouvaient désormais servir leur pays sans craindre d’être renvoyées de l’armée en raison de leurs choix sexuels. Ce jugement historique a officiellement mis fin à la tristement célèbre ordonnance OAFC 19-20. Les militaires qui avaient été renvoyés pour cette raison pouvaient demander à réintégrer l’armée. Le jugement a en outre supprimé toutes les restrictions officielles en matière de carrière.
La lieutenante Michelle Douglas en uniforme.
Photo reproduite avec l’autorisation de Michelle Douglas.
La discrimination formelle a ainsi pris fin. Mais d’innombrables militaires et leur famille injustement visés par la Purge LGBT ont subi des dommages et des souffrances difficiles à mesurer. Le nombre de personnes affectées par la Purge LGBT des années 1950 aux années 1990 restera inconnu, mais elle a touché des milliers de personnes.
Nombre d’entre elles ont été officiellement renvoyées. D’autres ont choisi de partir volontairement plutôt que d’être exposées ou forcées de partir. D’autres encore sont restés parce qu’elles ont échappé de justesse à la détection et au renvoi. Ces membres des Forces armées canadiennes qui ont pu continuer à porter l’uniforme ont tout de même dû endurer des enquêtes et une surveillance cruelles. D’autres ont gardé leur vie privée profondément cachée et ont souffert d’une peur constante d’être découverts. Ce qui est certain, c’est que tous les membres de cette communauté qui ont servi en uniforme ont souffert de la culture militaire misogyne, hétérosexiste et anti-2ELGBTQ+.
La purge LGBT – Récits des survivantes
Voyez cette série sur YouTube consacrée aux survivantes de la purge LGBT au Canada (disponible en anglais seulement).
Les excuses présentées par le gouvernement du Canada
Des survivants de la Purge LGBT, comme Martine Roy, Darl Wood et Diane Pitre, ont lutté en vain pendant des années pour que le gouvernement canadien reconnaisse officiellement les préjudices subis. Cependant, les choses ont finalement commencé à changer en 2013-2014. Martine Roy, Darl Wood et Diane Pitre, ainsi que d’autres militants 2ELGBTQI+, universitaires et survivants de la Purge, ont fermement exigé des excuses pour la discrimination dont ils avaient été victimes. Des Canadiens 2ELGBTQI+ ont risqué leur vie en s’engageant dans l’armée et en servant leur pays de manière désintéressée. Mais le Canada leur a dit qu’ils n’étaient pas aptes à servir en raison de qui ils étaient et de leurs relations amoureuses. Ces personnes défendaient désormais les droits des autres, même si leurs propres droits avaient été bafoués.
Le 28 novembre 2017, le premier ministre Justin Trudeau a présenté des excuses officielles au personnel des Forces armées canadiennes, aux membres de la Gendarmerie royale du Canada et aux fonctionnaires fédéraux 2ELGBTQI+. Il s’est excusé auprès de toutes les personnes lésées par la législation, les politiques et les pratiques fédérales qui les avaient discriminées.
Cet extrait des excuses présentées témoigne de ce traitement injuste :
Pour l’oppression des communautés lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queers et bispirituelles, nous présentons nos excuses. Au nom du gouvernement, du Parlement et de la population du Canada : nous avions tort. Nous sommes désolés. Et plus jamais nous ne permettrons que ces gestes se produisent.
Le premier ministre Justin Trudeau présentant ses excuses en 2017.
Photo : Gouvernement du Canada
Recours collectif
Un an avant les excuses, Todd Ross, Martine Roy et Alida Satalic ont intenté une action en justice de grande envergure à l’échelle nationale contre le gouvernement. Ces trois personnes dynamiques représentaient tous les membres de la communauté 2ELGBTQI+ qui ont fait l’objet de discrimination entre 1955 et 1995. Ce dossier juridique est souvent appelé le « recours collectif de la Purge LGBT ». Le procès a été réglé à l’amiable le 28 mars 2018.
Le règlement comprenait l’un des plus importants règlements financiers de l’histoire accordés à des survivants 2ELGBTQI+. Tous les survivants ou membres du groupe doivent avoir soumis un formulaire à l’administrateur de la réclamation en 2019 afin d’être officiellement reconnus.
Le règlement comprenait également des sommes destinées à indemniser les survivants et les membres du recours collectif qui avaient présenté une demande, ainsi qu’une citation spéciale pour ces personnes. Il leur a également permis de faire figurer une clause de non-responsabilité dans leurs états de service.
Les états de service sont des documents qui contiennent une foule de renseignements sur toutes les personnes qui se sont enrôlées dans l’armée. Lorsqu’un militaire quitte l’armée, ses états de service sont envoyés à Bibliothèque et Archives Canada. Ils deviennent ensuite accessibles au public. Il était important pour les survivants de ne pas passer pour des criminels parce que l’armée les avait déclarés coupables « d’homosexualité » ou les avait renvoyés pour cause d’indignité.
Des fonds de recours collectif ont également été mis de côté pour des projets de réconciliation et de commémoration des 2ELGBTQI+. Le comité du Fonds Purge LGBT a été créé pour gérer les fonds et surveiller la manière dont l’armée s’acquitte de sa part du règlement.
Citation Fierté Canada
La Citation Fierté Canada est une mesure de réconciliation et de reconnaissance individuelle accordée aux membres du recours collectif Purge LGBT en reconnaissance de leur service au Canada et des difficultés endurées en raison de politiques injustes.
En savoir plus sur cette citation.
Le Monument national 2ELGBTQI+
Un nouveau monument commémoratif saisissant au centre-ville d’Ottawa rendra hommage aux membres de la communauté 2ELGBTQI+. Il racontera l’histoire de générations de personnes 2ELGBTQI+ au Canada qui ont été victimes de discrimination en raison des personnes qu’elles aiment et de leur identité. On y fera également mention des dommages causés par la Purge LGBT.
Dessin conceptuel du Monument national 2ELGBTQI+ à Ottawa.
Photo : Équipe de conception Wreford
Ce monument national reconnaîtra les blessures et les injustices que le gouvernement canadien a infligées aux membres de cette communauté. Il permettra également de renseigner les gens ainsi que de commémorer, de célébrer et d’inspirer la diversité et l’inclusion dans notre société.
Le nouveau Monument national 2ELGBTQI+ à Ottawa est un projet clé lié au Fonds Purge LGBT, qui est à l’origine de sa création. Le monument devrait être achevé en 2025. Pour en savoir plus, consultez le site de Patrimoine canadien – Projets en cours – Monument national 2ELGBTQI+.
Coup de tonnerre a été la conception sélectionné pour ce monument. Créé par l'équipe Wreford il s'inspire du symbolisme d'un nuage orageux, qui incarne la force, l'activisme et l'espoir des communautés 2ELGBTQI+. En savoir plus sur la conception du monument.
Les Forces armées canadiennes aujourd’hui
De nombreuses personnes ouvertement 2ELGBTQI+ ont servi dans les Forces armées canadiennes au cours des dernières années. Cela comprend les gradés et personnes de troupes, les officiers subalternes et les officiers supérieurs. Aujourd’hui, la politique d’emploi de l’armée renforce leurs droits. Elle énonce que tout militaire qui peut contribuer à l’efficacité opérationnelle d’une unité, d’une occupation militaire ou d’une affectation est à la fois admissible et responsable d’un tel emploi sans restriction.
Le matelot-chef Francis Légaré embrasse son partenaire Corey à la BFC Esquimalt en février 2016. M. Légaré revenait d’un long déploiement à bord du NCSM Winnipeg.
Photo : Ministère de la Défense nationale ET2016-0056-17.
Cette reconnaissance officielle des diverses identités de genre et des diverses identités sexuelles se manifeste également d’autres manières. Depuis 2005, les Forces armées canadiennes se conforment aux règlements civils canadiens. L’armée reconnaît les mariages et les unions de fait entre personnes de même sexe comme étant égaux à ceux de tous les autres militaires actifs. Ces couples sont censés bénéficier des mêmes avantages officiels que les couples hétérosexuels. Les aumôniers militaires peuvent marier les couples homosexuels et d’autres couples 2ELGBTQI+ dans les bases militaires. De plus, la Saison de la Fierté est régulièrement soulignée dans l’armée. Dans les bases partout au pays, on effectue des levers du drapeau de la Fierté. Des militaires participent en outre parfois aux défilés de la Fierté.
Les défis que doivent surmonter les militaires 2ELGBTQI+ n’ont cependant pas pris fin avec la suppression des politiques discriminatoires officielles de l’armée. Le harcèlement et la discrimination sont malheureusement toujours présents et il reste du travail à faire. Toutefois, en cette nouvelle ère, on constate une évolution vers l’équité, la diversité et l’inclusion à l’égard des personnes 2ELGBTQI+ au sein de la communauté des Forces armées canadiennes.
Les Canadiens 2ELGBTQI+ en uniforme ont maintenu la paix et la liberté au pays et dans le monde entier. Ils méritent d’être traités avec dignité et que leurs droits soient protégés.
Des membres de la Marine royale canadienne défilant lors d’un défilé de la Fierté à Toronto en juin 2019.
Photo : Ministère de la Défense nationale
Renseignements connexes
Le Fonds Purge LGBT
La société sans but lucratif Fonds Purge LGBT a été constituée pour administrer ces fonds. Composé de six membres, son conseil d’administration compte des personnes ayant survécu à la purge, des parties demanderesses du recours collectif et un représentant de l’équipe juridique qui a poursuivi le gouvernement du Canada. En savoir plus sur ce fonds.
Les Vétérans arc-en-ciel du Canada
Vétérans arc-en-ciel du Canada est un organisme à but non lucratif fondé par Diane Pitre. Il a été constitué en société en 2019. Cet organisme offre un espace sécuritaire pour les vétérans des FAC touchés par la purge LGBT ainsi qu’aux autres vétérans des FAC qui s’idéntifient comme 2SLGBTQI+, tout en militant en faveur des droits, des avantages et de la reconnaissance que nos membres méritent et favorisant l’éducation sur le sujet. En savoir plus sur les Vétérans arc-en-ciel du Canada.
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