Un champ de mines en Bosnie en 2002

Des héros se racontent

Un champ de mines en Bosnie en 2002

Transcription

Et à travers ça, vous avez fait un autre déploiement? Ouais, ça c’était en 1996, en 1998, je suis partie pour Alert, après avoir transféré dans la régulière. Je suis partie pour Alert, dans les Territoires-du-Nord-Ouest, j’ai passé 6 mois dans le noir, comme si ce n’était pas assez de « dépressionner », on va continuer de « dépressionner » comme il faut. C’était quand même un bon tour parce que c’est pas la même affaire, on vit pas la même chose. Dans le Grand Nord, c’est un beat totalement différent. Dans un sens, ça a fait du bien de voir que c’est pas tous les déploiements qui étaient pareils. En 2002, je suis retournée en Bosnie. C’est quasiment ma deuxième maison, dans le fond. C’est comme mon deuxième chez nous. Vous étiez volontaire pour retourner en 2002 aussi? Totalement. Comment ça s’est passé ce tour-là? Beaucoup mieux, dans le sens ou c’était pas la même chose qui se passait, il n’y en avait presque plus de guerre, presque plus rien qui se produisait. Le tour était quand même bien. J’ai marché dans un champ de mines, ça c’est un peu moins bien. C’est là, en marchant dans le champ de mines, c’est ce qui a fait déclencher, je pense, mon histoire de syndrome de stress post-traumatique. Après ça, j’ai redescendu encore dans ma toupie, dans mon verre, j’ai recalé dans ma tornade, dans le fond de mon verre. Là ça a été difficile. Pendant le tour? Ouais, pendant le tour, parce que j’osais plus marcher dans le foin, nulle part. Je restais sur le camp. J’avais peur un peu de n’importe quoi, je commençais à avoir peur de mon ombre. Plein de choses reviennent. En 1993 et en 1995, quand on partait en vacances, on partait en convoi. En étant une fille, où moi je vais aux toilettes? Un gars c’est facile, tu te vires de bord et tu fais ce que tu as à faire, mais moi je suis une fille, je peux pas baisser mes culottes en plein milieu de la rue et faire ce que j’ai à faire. Ils nous envoyaient en arrière de n’importe quelle bâtisse et ils disaient allez par-là. Aller par-là, souvent on retrouvait un paquet d’affaires. Tu retrouves des choses et tu dis OK. Après la rétrospective, en 2002, je me disais j’aurais pu sauter avant ça. Je sais pas, ça aurait pu arriver. Tu retournes et tu repenses à tout, tu retombes dans le noir. C’est difficile de s’en remettre. Après mon traitement pour le syndrome post-traumatique, souvent je disais à ma famille, vous savez pas combien de fois qu’on a eu des réunions de famille ou j’étais pas là. Mon corps était là, je le sais que mon corps était là, mais j’entendais rien. J’étais pas là. J’entendais rien. On avait des conversations des fois et je ne répondais pas. J’étais là, mais j’étais pas là mentalement. Avec la rétrospective de maintenant comment je suis, je suis capable de le voir, je suis capable de voir que j’étais pas là, c’est évident, j’ai manqué tellement d’affaires. Je ne me souviens pas. Il y a plein d’années de ma vie que je ne me souviens pas. Je rencontre des gens qui me connaissent et j’ai aucune idée. Mon cerveau essaie d’oublier. En essayant d’oublier, t’oublies les mauvais moments, mais t’oublies les bons qui étaient dans le même temps, parce que c’est pas tout le temps de la merde. Il y a des bons moments, il y a des mauvais moments.

Description

Madame Grandmaison parle d’un déploiement de 6 mois à Alert, dans les Territoires-du-Nord-Ouest, avant de se porter volontaire pour retourner dans la région des Balkans en 2002, où elle a marché dans un champ de mines.

Julie Grandmaison

Madame Grandmaison est née à La Pocatière, au Québec et elle a grandi à Saint-Pacôme. Au moment de l’entrevue, elle était toujours en service avec les Forces armées canadiennes depuis 28 ans et avait le grade d’adjudant. Elle s’est enrôlée à 17 ans dans la réserve avec les Fusiliers de Rivière-du-Loup. Elle a servi entre autres en Croatie et en Bosnie et à différents endroits au Canada.

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