« Mes soldats c’était ma vie… »
Raymond Lambert, qui a été tué à Kalkar. La famille Lambert, à St-Camille-de-Wolfe,
a fait ériger, ériger un monument à la mémoire de Raymond.
Raymond s’est enrôlé à l’âge de dix-sept ans, c’est son père qui a signé
pour lui. Puis quand Raymond est arrivé à mon peloton, on s’est affectionnés
l’un pour l’autre. Il était extrêmement brave. Il était intempestif, il était toujours,
il voulait toujours partir. C’est un gars qui défonçait tout. Il était jeune.
Alors, quand il s’est enrôlé, il avait dix-sept ans, lorsqu’il a été tué il
devait avoir dix-neuf ans, à Kalkar. Et quand il est mort, il a été criblé de
balles dans la région de Kalkar. C’est les gars qui sont retournés le
chercher. Quand ils ont fait la cérémonie d’ouverture du, du monument de la famille,
présenté par la famille, en mémoire de Raymond, à St-Camille-de-Wolfe,
la sœur de Raymond avait lu mon livre et avait dit :
« vous parlez d’un certain Lambert dans une patrouille, Raymond Lambert,
est-ce que ça se pourrait que ce soit mon frère? » J’ai dit : « d’où venait-il? ».
Elle dit : « St-Camille-de-Wolfe ». J’ai dit : « j’ai ses portraits,
son portrait dans mon bureau, c’est lui ». Elle dit : « c’est mon frère! ».
Alors, elle est partie à pleurer au téléphone, elle dit :
« on va avoir une cérémonie religieuse, au monument, nous aimerions
vous voir présent, parce qu’il a écrit beaucoup à votre sujet ».
Et pour, et comme surprise, elle a invité Grégoire Goulet, mon batman.
Quand on est arrivés à la cérémonie religieuse, j’ai vu Grégoire Goulet
avec un blazer, puis il avait un écusson du régiment de Maisonneuve. Je me suis
approché, puis j’ai dit : « vous, je vous connais très bien ». Il dit : « moi aussi…
savez-vous qui je suis? » J’ai dit : « je veux pas prendre de chance,
je veux pas dire de bêtise. » Il dit : « Grégoire ».
Grégoire! Grégoire Goulet ! J’ai dit : « mon batman… on s’est embrassés.
Il dit : « vous souvenez-vous, vous partiez en patrouille, cette maudite journée-là,
justement avec Raymond Lambert, il dit, j’étais après tailler votre moustache quand,
il dit, il y avait des pois verts, votre moustache descendait chaque bord,
vous aviez… Il dit, le commandant vous a fait venir, puis il a envoyé
son estafette en motocyclette, pour dire ‘vite, pars en patrouille,
la brigade veut savoir ce qui se passe dans le village’. Il dit,
j’ai dit à l’estafette du commandant, eh, laisse-moi y finir la moustache!
Je lui a coupé rien qu’un bord, il peut pas partir de même.
Il dit, tu parles d’un mort, si il se fait tuer! Vous souvenez-vous? »
J’ai dit : « oui, je m’en souviens! » Il dit : « vous allez faire
un beau mort si vous vous faites tuer! » (rire). C’était, pour moi
c’était cette camaraderie-là qui… En fait, moi, mes soldats,
c’était ma vie. J’ai eu des témoignages de la part de mes soldats,
j’en ai encore aujourd’hui, ils viennent me voir, ils viennent me visiter.
On a fondé, présentement, la filiale 265 de la Légion canadienne.
C’est des gars qui m’ont demandé de donner mon nom à la filiale 265.
J’ai dit : « s’il y a personne qui s’objecte, je suis d’accord. S’il y a une
objection, ma réponse, c’est non! » Puis, ils ont rappelé vingt minutes après,
puis ils ont dit : « unanime! » Fait que ils ont dit : « vous êtes pogné! »
Mais, on parle des… on parle de choses qui sont très, très, très
humaines entre soldats, c’est incroyable, je me souviens, j’avais été
blessé au poignet. Avant ma blessure à l’œil, j’avais pogné une tranchée,
sur le causeway. Alors, quand je suis revenu, finalement, j’ai parlé à mon peloton,
là, ça, ça s’était pas aggravé, mais c’était ouvert, puis il fallait nécessairement qu’il
y ait des points de suture. Fait que j’ai montré ça à mon caporal médical de compagnie.
« Qu’est-ce c’est tu penses de ça? » « Pas grave. » J’ai dit « tu penses
pas que je devrais me faire évacuer? » Je me cherchais une raison, tsé,
pour sortir. J’aurais aimé ça. J’étais, j’étais fatigué.
J’étais au bout. Ça me prenait une raison pour sortir.
« Moi, il dit, lieutenant, si j’étais à votre place, là, je partirais pas
pantoute. Savez-vous ce qui va vous arriver à l’hôpital? » « J’ai aucune
idée. » « M’a vous le dire, moi. Ça, là, il vont mettre de la poudre
blanche là-dessus, ils vont faire un pansement, ça nécessite pas de
points de suture, je ne le crois pas. Là, ce qui est important, c’est de
pas infecter ça. Ils vont faire un pansement autour de ça.
Après qu’ils vont avoir fait un pansement, ils vont vous donner deux,
trois jours de congé pour, les médicaux, pour te reposer,
puis savez-vous où ce qu’ils vont vous envoyer? » J’ai dit :
« non ». « La compagnie de renforts. Puis il dit savez-vous qu’est-ce
que c’est qu’il va arriver? Vous allez vous ramasser sur la ligne de
renfort dans une autre compagnie, dans un autre bataillon, vous savez pas où.
Puis nous autres, savez-vous qu’est-ce qui va nous arriver? Ils vont nous envoyer
un autre serin qui connaît rien. Fait que, il dit, restez ici, on veut pas
vous perdre. M’a vous soigner, moi. Moi, m’a vous soigner. »
Je peux pas oublier ça. Je pourrai jamais oublier ça. Là tu sais qu’il y a
quelqu’un qui t’aimes là-dedans. Tu sais qu’il y a quelqu’un qui a
besoin de toi parce qu’ils veulent pas te laisser partir. Puis euh… enfin,
ce sont des émotions du champ de bataille que j’ai aujourd’hui, c’est
sûr qu’à l’époque, ben coudonc, j’ai admiré ça, j’ai apprécié ça, mais…