Je me suis enrôlé en 1974, c’est ça, en 1974.
J'ai travaillé dans les industries de pêche. J’ai travaillé,
après ça, une petit peu sur la construction, mais pas la
grosse construction, les charpentiers par chez-nous qui
bâtissaient des maisons qui m’engageaient comme
helper. Excusez le mot anglais, comme helper. Puis
après ça j’ai travaillé, j’ai été travailler, quand j’ai été un
petit peu plus vieux là, j’ai été travailler pour la
compagnie Irving à Saint John, Nouveau-Brunswick. J’ai
été travailler comme helper là.
Plusieurs connaissances, pas vraiment des amis, qui s’avaient
enrôlé puis ils ne revenaient plus à Caraquet, ça fait que
je me suis dit, ils doivent aimer ça. Puis un de mes
chums s’est enrôlé puis il est revenu à l’été puis il m’a
comme convaincu. Il m’a dit : « Étienne, c’est le fun. »
Je l’ai cru sur parole, puis je me suis enrôlé.
Mon père était fier mais maman elle, elle a mal pris ça.
Elle a mal pris ça, elle pensait que je m’en allais tuer du
monde. L’armée là, on en n’entendait pas beaucoup
parler par ici, à la télévision ni à la radio. Ça fait que
pour ma mère, je m’en allais tuer du monde, je m’en
allais à la guerre. Je ne m’en allais pas sur un camp
m’entraîner là, pour elle - elle était bien pieuse - je
pense qu’elle a fait brûler tous les lampions à l’église au
Bas-Caraquet.
La première des choses, j’avais jamais sorti de ma place
natale. Et je suis arrivé à Saint-Jean, Québec, pour mon
cours de recrue. Ça a été assez raide, merci. En
arrivant là-bas, la première chose, ils nous ont fait
débarquer de l’autobus puis on a été reçus par un
sergent de l’infanterie qui arrêtait pas de nous crier
après et de nous traiter de vauriens puis toutes sortes
d’affaires de même - je dirais pas les mots à la caméra là
mais il nous traitait dur - puis ça pas été long qu’on a
passé. La première chose qu’ils nous ont fait après nous
avoir dit qu’on allait faire notre temps, comme ils
disaient dans le temps, ils nous ont alignés vers un
barbier qui était dans un, c’était dans un genre de drill
hall. Même pas dans un office. C’est là qu’on a perdu
nos beaux grands cheveux bouclés parce que dans le
temps, j’avais des cheveux jusqu’icitte... comme tout le
monde, d’ailleurs. On s’est ramassé tous avec des
cocos. Puis après ça, ça s’est déroulé assez vite. C’était
go, go, go puis fallait qu’on... c’était plus le temps de
marcher là, il fallait courir, fallait se déplacer. Ils nous
criaient après puis là on est allé chercher notre
équipement, pour dormir seulement, pas l’équipement
militaire, pour dormir puis ils nous ont donné des
dortoirs. Après ça ils nous ont tenu tranquilles, ils se
sont tenus tranquilles jusqu’au lendemain matin. J’ai
trouvé l’entraînement dur. J’ai pas trouvé ça si le fun au
début. J’avais le goût de retourner chez nous. Mais, on
a de l’orgueil. Pour rester, ça prenait vraiment de
l’orgueil, puis on avait signé, parce qu’on avait déjà
signé, j’ai signé à Bathurst au centre de recrutement.
En tout cas, on avait déjà signé notre engagement là,
c’était plus question de, c’est plus le fun juste pour
essayer là. On était enrôlé, puis ils nous le faisaient
comprendre en arrivant. On était 47 et on a fini 22, ça
fait qu’il a perdu plus que la moitié. Puis, je vais vous
dire une chose, il y en a là qui ont tout fait pour sortir
de là. J’ai vu un gars, moi, manger cinq pains de savon.
Pourquoi il a fait ça ? Parce qu’il voulait s’en aller puis
ils nous laissaient pas partir, ça c’est sûr. Ils nous
laissaient pas partir, on avait un contrat. C’est dur,
vraiment dur puis il y a une raison pour ça, ils sont
obligés de casser ton caractère, ton caractère que ta
mère et ton père t’ont forgé puis que, ton temps de vie
a fait, les petits garçons gâtés là-bas c’est pas long
que tu dis pas non là, tu sais. Tout ce qu’ils te
demandent, faut que tu dises oui. Quand tu es chez
vous et que ça te tente de dire non, tu dis non, mais là
non ça marche pas, c’est oui. Puis il faut qu’ils
t’amènent action-réaction, ils n’ont pas le choix de te
pousser. Aujourd’hui, je le comprends. Sur le coup, tu
le comprends pas mais caline que tu es fier quand ça
finit... quand tu as gradué là puis que tu es sur le
peloton de graduation là - faut pas dire le peloton
d’exécution - faut pas mélanger, le peloton de
graduation. Tu es fier, ça n’a pas d’allure. Tu viens
d’oublier toutes les misères que tu as eues avant. Ça
vient d’être oublié. Puis la seule chose que tu as hâte
c’est d’arriver à ton unité puis commencer à être un vrai soldat.