On s’est débrouillé, on s’est débrouillé, on n’a pas eu le
choix. C’est là que vraiment moi, que je me suis rendu
malade parce que j’ai tombé dans un conflit où est-ce
que j’ai été obligé de protéger... en tout cas, j’ai protégé
des enfants. C’est de ça que j’ai resté marqué, c’est de
ça que j’ai été post-traumatisé. Ah, j’ai eu beaucoup de
choses. Ça a été les deux premières semaines qui ont
été cruciales pour moi. Mais, j’ai fait ce que tout bon
soldat aurait fait à ma place, puis quand j’en ai parlé aux
psychologues, ils m’ont tous dit la même chose. « Si
j’avais été à ta place, Étienne, j’aurais fait la même
chose. » C’est la plus dure mission au point de vue
morale. Au point de vue physique, ça il n’y avait pas de
problèmes parce qu’on est bâti pour ça. L’armée est
bâtie pour ça. On est bâti pour avoir des longues
heures de travail puis, tu sais, on se sent bien là-dedans
quand on est soldat. Mais, au point de vue moral, ça
été vraiment dur. J’étais Senior NCO. Je ne pouvais
pas, là-bas, laisser mes émotions paraître. J’avais des
soldats à qui - pour moi j’étais leur boss - il fallait que je
montre l’exemple. C’était moi le patron, pas le tough,
mais le Senior NCO, le boss. Si je m’étais écrasé là-bas -
il y a des bouts où j’avais le goût de pleurer comme tout
le monde - et j’ai vu M. Dallaire, moi, je l’ai vu détruit,
puis c’était quand même un général. C’est parce qu’il
en a vu des atrocités pour être détruit de même. C’est
sûr que nous autres - moi j’étais peut-être plus jeune
que lui, plus endurant sur ce côté-là - mais j’en ai vu
moins, beaucoup moins. Puis je ne pouvais pas, là-bas,
montrer mes sentiments, je ne pouvais pas montrer ça
à mes hommes. Je ne pouvais pas. Sinon à eux autres,
qu’est-ce qui serait arrivé d’eux autres ? Je les aurais
détruit avec moi. J’ai été obligé de faire mon tough. J’ai
viré ça, pas en joke, mais j’ai viré ça autrement. Puis
même dans les moments les plus durs, il y a toujours de
quoi en tirer. Il y a toujours un bon morceau... tu en
tires du bon tout le temps. Quand tu prends un petit
peu de recul et que tu analyses, tu as toujours de quoi
en tirer. L’expérience de vie, de misère là, c’est pas
pareil à l’expérience de vie du gars qui travaille chez
Wal-Mart là. C’est pas la même chose, ça fait qu’il faut
tirer du bon dans ce qui arrive. Dans ce qui arrive, il
peut arriver du très mauvais, des fois. Je ne suis pas le
seul à être fier, il y en a qui sont sorti de là brisés et qui
en veulent à l’armée, mais, l’armée c’est l’armée. Tu ne
rentres pas dans l’armée en pensant que ça va tout le
temps être beau, tout le temps être le fun.
Interviewer: C’est pas une partie de plaisir.
Non, et ça, tu le réalises. Ça va leur servir. Moi, en tout
cas, je ne regrette rien de ma carrière militaire. J’ai
sorti de là malade mais je ne regrette rien
de ma carrière militaire.