Camp de concentration
Des héros se racontent
Transcription
Interviewer : En Allemagne, quand vous étiez en
territoire allemand, est-ce que vous avez rencontré des
camps de concentration ?
Non. Non... Oh un ! Oui, un. Bien sûr. Ça c’était avant
nous. C’était en forêt. (Inaudible) C’était en forêt
puis... je crois qu’il s’agit de la Forêt Noire mais j’en suis
pas sûr parce que quand on est au front, on n’a pas
toujours la carte là. On nous dit « Tu vas là. » On va où
on nous dit. « Tu t’en vas par là. Tu prends ce chemin
là. Tu t’en vas là. Tu prends ça. » On ne sais pas où on
va mais je sais qu’on était en forêt. Puis, un moment
donné, on peut dire qu’il a commencé à paraître...
qu’on a commencé à entendre crier d’abord, des bruits,
des criages... appelons ça insolites, indescriptibles, de
panique ou de je ne sais pas quoi. Il n’y a pas de mots.
Il n’y a pas de vrais mots pour décrire ça. Il a commencé
à apparaître, il a commencé à nous apparaître des...
J’aime pas traiter des humains de... comme ça mais... il
y a pas d’autres mots donc je vais m’en servir des mots
que je vais trouver. Une horde de bêtes sauvages à
forme humaine, deux bras, deux jambes comme tous
les humains, qui marchait debout comme des humains.
C’était pas à quatre pattes, c’était pas des... c’était pas
des quadrupèdes si on peut dire. C’était des bipèdes
puis ça s’en venait en criant sur nous. On se demandait
« qu’est-ce que c’est ça ? » Comme les Allemands...
puis nous autres on avait jamais entendu parler des
camps de concentration là. Moi, du moins, j’avais
aucune idée de ça. J’avais pas entendu parler de ça du
tout, aucune notion de ça. Puis finalement, on a décidé
de ne pas tirer. On se demandait si on devait tirer là-
dessus. « Qu’est-ce qu’on fait ? C’est-tu un camouflage ?
C’est-tu un truc allemand ? C’est-tu... C’est quoi !? »
Puis, on a pris la chance de laisser faire. Heureusement,
on s’est presque tous entendu parce qu’on se faisait des
signes, puis... bon, j’imagine qu’on s’est compris parce
que, à m’a connaissance, personne a tiré là-dessus.
Mais ça s’est avéré que c’étaient des gens que le... il y
en a qui parlaient français, qui nous comprenaient là-
dedans, qu’on comprenait ce qu’ils se disaient. Il y avait
une femme en particulier qui s’est accrochée après moi
comme... ouf... en tout cas. (Soupire) C’était...
finalement il s’est avéré que c’était un camp de
concentration, que les Allemands s’étaient sauvés
quand on a approché, à notre approche. Ils avaient
ouvert la barrière puis ils les avaient laissés sortir.
C’est affreux. (Soupire) Quand on est rentré là-dedans
bien... ces gens-là d’abord étaient tellement contents
de voir du monde qui ne leur tirait pas dessus que... ouf !
On peut dire qu’ils avaient l’air de plus en plus de bêtes
sauvages par leurs émotions incontrôlables. Je me
demande si mes paroles s’adaptent à des situations...
En tous cas, je fais de mon mieux. Finalement, on est
entré dans la fameuse barrière puis... on a vu ce qu’on
aurait jamais dû voir. Des tas de cheveux... J’imagine
qu’on leur rasait tous la tête avant de les passer au four
crématoire. Parce qu’il y avait des fours de crémation
là. Des cordés... vous savez que c’est que la pitoune...
bien c’était des corps cordés comme des cordes de
pitoune, puis des bulldozers à côté prêts à les... à
pousser ça dans une espèce de ravin qui avait été
creusé, qui semblait avoir été creusé du moins.
(Soupire) Fort heureusement, on n’est pas resté
longtemps là-dedans. C’est d’autres qui... je ne sais pas
si c’est la police militaire ou... en tout cas. Fallait
avancer nous autres puis heureusement on a continué à
avancer. On aimait mauditement mieux faire face à
l’ennemi que de faire face à ça, parce que ça c’est...
l’ennemi est moins pire que ça. Bien qu’eux autres
c’était amical et non pas... c’était le contraire. C’est ça.
Interviewer : Les francophones, est-ce qu’ils vous ont
parlé un peu, les francophones ?
Oui mais très peu. Ils étaient surpris de voir qu’on les
comprenait. Parce qu’il y en avait beaucoup là-dedans,
beaucoup de Juifs qui venaient de France. Ils venaient
de... Ils parlaient beaucoup français les Juifs. Ça a du
être tous des Juifs, j’imagine. J’ai pas des cas
particuliers, tu sais mais ils y en avaient beaucoup qui
nous comprenaient quand qu’ils voyaient qu’on parlait
le français, ils parlaient français. Ils se lamentaient en
français. Ce qu’ils nous disaient c’était des
lamentations. Ils nous disaient rien de concret, si tu
veux. C’était tout... c’était de l’émotion. C’était des cris
d’émotion, des espèce de cris au secours, des cris de
désespoir, de... je sais pas. J’en trouve pas de mot. Je
ne les ai pas les mots, ça sert à rien. Je peux pas, tu
sais... je ne peux pas en dire plus. Je n’ai pas de mots.
Je pense que c’est un mélange de désespoir puis de...
de bonheur si on peut dire, en même temps, de trouver
enfin quelqu’un qui ne leur tire pas dessus, surtout, je
pense. Une très très grosse partie de ça qui augmente
l’émotion, je pense. Parce que j’imagine qu’ils doivent
se dire « Je m’en suis sorti. » Je ne le sais pas. Ça
s’explique pas ça. Ouais, c’est ça. C’est ce que j’ai vu de ça.
Description
M. Lafrance décrit la misère des gens dans le seul camp de concentration qu’il a libéré.
Benoît Lafrance
M. Benoît Lafrance est natif de Hull, Québec. À l’âge de 18 ans, il s’enrôle avec l’armée canadienne; une décision qui changera sa vie à jamais. Il débute son instruction militaire à Ottawa, puis se rend en Écosse à bord du Queen Elizabeth. Encore de l’instruction militaire jusqu’au 6 juin 1944 lorsqu’il participe enfin au débarquement de Normandie. M. Lafrance sera au front un peu partout en Europe avant son retour au pays. Ses rêves le hantent toujours.
Catégories
- Médium :
- Vidéo
- Propriétaire :
- Anciens Combattants Canada
- Date d’enregistrement :
- 14 avril 2011
- Durée :
- 2:00
- Personne interviewée :
- Benoît Lafrance
- Guerre ou mission :
- Seconde Guerre mondiale
- Branche :
- Armée
- Grade militaire :
- Soldat
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- Date de modification :