Au début, le monde se cachait. Après - on a une bonne
réputation, le Canada, je peux le dire, je l'ai vu là de mes
propres yeux - après un mois, quand ils ont su que c'était les
Canadiens qui étaient là, les femmes ont commencé à sortir avec
des... on va employer un mot acadien, des trâlées d'enfants...
avec des dix, douze enfants. Ils sortaient du bois puis ils
rentraient dans la ville tranquillement, parce qu'ils savaient
qu'on était là. Il y avait l'armée ougandaise qui était là mais
les Ougandais c'était des Africains. Possiblement qu'eux
autres, ils ont été attaqués par des Africains. Possiblement
que les Ougandais les auraient protégés mais ils auraient peur
de ces soldats-là. Pas capable de différencier, si vous aimez
mieux....Exactement. Nous autres on est blanc, c'est facile de
nous différencier. Mais ça a pas été long, ça a commencé par
les enfants qui sont venus nous voir à la course, puis après ça,
ça a été des femmes. Puis à mesure que la mission avançait,
puis à mesure que les Canadiens arrivaient, il y avait de plus
en plus de monde qui revenait. Il y avait un camp de réfugiés à
Goma - ça je pense que c'est juste sur la frontière entre
l'Ouganda puis le Rwanda - où est-ce que... il y avait des
Canadiens là aussi... il y avait un bataillon de... un bataillon
de service mais, c'étaient des médecins militaires avec des
infirmiers militaires qui étaient là puis des infirmières
militaires aussi, qui ont fait un boulot terrible là-bas. Moi,
j'ai été les voir deux fois puis je peux te dire que s'il y a
quelqu'un qui est sorti de là traumatisé, ma grande foi du bon
Dieu, c'est eux autres ! Là aujourd'hui, ces personnes-là, ils
n'ont plus peur d'une piqûre ni d'une plaie ouverte parce que,
s'ils passaient leur temps à rafistoler des enfants avec des
bras coupés, des jambes coupées à la machette, des femmes, des
vieillards, qui avaient reçu des coups de machettes. Ils ont
passé six mois eux autres à mettre des pansements là-dessus et
désinfecter ça. Moi j'ai été là une demi-heure puis j'ai sorti
de là... j'en avais assez vu. Puis je leur lève mon chapeau,
qu'eux autres ils ont réussi à faire six mois là-dedans. Mais
il y a beaucoup de ce monde-là qui était là, que quand ils ont
su que les Canadiens étaient entrés, ils se sont mis à marcher
sur le bord du chemin. Ils sont partis à pied de l'Ouganda à
aller jusqu'à Kigali qui est en plein milieu du Rwanda, à pied
sur le bord du chemin. Pour eux autres, c'était une vingtaine
de journées de marche. C'était dur. À chaque fois que moi
j'allais chercher de l'eau potable, je faisais à peu près 23
kilomètres sur la route qui est, qu'eux autres empruntaient. À
chaque jour, je passais et il y avait des familles qui se
mettaient à l'ombre, qui étaient épuisées, qui s'assoyaient
en-dessous des palmiers. Puis le lendemain je repassais puis il
y avait des enfants qui avaient été laissés là, ils étaient
morts pendant la nuit. C'était plein, plein d'enfants qui
mourraient partout. Sur le bord de ce chemin-là, il y en a eu
du monde de mort.