Étude de 2019 sur la mortalité par suicide chez les vétérans

Période de suivi de 1976 à 2014

Auteurs :
Kristen Simkus, MPH, épidémiologiste, ACC
Amy Hall, chercheuse principale, ACC
Alexandra Heber, MD, FRCPC CCPE, psychiatre en chef, ACC
Linda VanTil, D.M.V., M.Sc., épidémiologiste principale, ACC

Résumé

Le suicide chez les vétérans canadiens est un problème de santé publique extrêmement préoccupant pour Anciens Combattants Canada. En collaboration, Anciens Combattants Canada, le ministère de la Défense nationale et Statistique Canada ont produit une série de rapports intitulés Étude sur la mortalité par suicide chez les vétérans (EMSV). L’EMSV de 2017 portait sur l’ampleur du risque de suicide chez les vétérans canadiens. Celle de 2018 définissait les sous-populations au sein de la collectivité des vétérans qui présentaient un risque élevé de suicide.

Le présent rapport, l’EMSV de 2019, couple les dossiers de carrière militaire de plus de 230 000 anciens membres des Forces armées canadiennes aux actes de décès canadiens recueillis par Statistique Canada pour la période allant de 1976 à 2014. Les suicides ont été repérés selon la classification de la cause du décès dans les rapports du coroner provinciaux et territoriaux. Des taux ajustés selon l’âge ont été calculés pour examiner les tendances au fil des ans. Des rapports de mortalité standardisés (RMS) ont été calculés pour estimer l’ampleur du risque excédentaire auquel sont soumis les vétérans par rapport à la population canadienne en général.

L’EMSV de 2019 a permis de tirer trois grandes conclusions :

  1. Pour la période d’observation entière de 39 ans, on a constaté que le risque de suicide était systématiquement plus élevé parmi les vétérans, hommes comme femmes, qu’il ne l’était au sein de la population générale canadienne. Le risque observé au cours des deux années supplémentaires pour lesquelles des données étaient maintenant disponibles (soit les années 2013 et 2014) était semblable à celui observé pour les périodes précédentes. Le risque de suicide observé n’a ni augmenté ni diminué pendant cette période de 39 ans.
  2. Les hommes vétérans présentaient, en général, 1,4 fois plus de risque de suicide, comparativement aux hommes canadiens en général, les hommes les plus jeunes étant les plus à risque.
  3. Les femmes vétérans présentaient, en général, 1,8 fois plus de risque de suicide, comparativement aux femmes canadiennes en général, ce risque demeurant relativement uniforme d’un groupe d’âge à l’autre.

Ces constatations sont cohérentes avec celles des précédents rapports de l’EMSV, ainsi qu’avec celles d’études semblables effectuées aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie. Les constatations de l’EMSV de 2019, en tandem avec les résultats d’autres recherches effectuées par Anciens Combattants Canada et le ministère de la Défense nationale, seront utilisées pour établir l’orientation des activités de prévention du suicide parmi les vétérans canadiens. À l’avenir, les rapports de l’EMSV comprendront les données sur la mortalité par suicide pour des années supplémentaires aussitôt que celles-ci deviennent disponibles afin de continuer à gérer le risque de suicide parmi les vétérans au fil du temps.

Introduction

La surveillance et la recherche en matière de suicide sont une priorité de santé publique pour Anciens Combattants Canada (ACC). La surveillance et l’analyse des suicides parmi les vétérans effectuées afin d’aider à comprendre les tendances au fil des ans et les facteurs de risque possibles font partie de la stratégie d’ensemble de soutien des activités continues de prévention du suicide.

L’Étude sur la mortalité par suicide chez les vétérans (EMSV) est le fruit d’une collaboration entre ACC, le ministère de la Défense nationale (MDN) et Statistique Canada. Ses objectifs sont de mieux comprendre les facteurs associés au suicide parmi les vétérans des Forces armées canadiennes (FAC), de fournir des mises à jour sur les tendances en matière de suicide au fil des ans, d’orienter les activités de prévention du suicide ainsi que de répondre aux attentes de la population en matière de reddition de compte en temps opportun sur les indicateurs de santé parmi les vétérans.

Par le passé, les tentatives d’étudier le risque de suicide parmi les vétérans des Forces armées canadiennes étaient entravées par la disponibilité limitée des données, notamment sur le plan de l’identification des vétérans dans les bases canadiennes de données statistiques sur la santé et l’état civil. Afin de venir à bout de cet obstacle, ACC et le MDN ont travaillé de concert dans le but de cibler une grande cohorte de membres actifs ou libérés du personnel militaire des FAC. Statistique Canada a relié cette information aux actes de décès provenant des bases de données des statistiques de l’état civil dans l’entièreté des provinces et territoires. Le couplage de données ainsi créé a été utilisé en 2010 dans le cadre de l’Étude du cancer et de la mortalité chez les membres des Forces canadiennes (Statistique Canada, 2011). En 2017, les données et les méthodes d’étude épidémiologique ont connu une amélioration, entraînant le lancement de l’Étude du cancer et de la mortalité chez les membres des Forces canadiennes 2 (axée simultanément sur les membres actifs et libérés des FAC) et l’EMSV (portant uniquement sur les militaires libérés) [Rolland-Harris, 2018a].

L’EMSV de 2017 a permis de constater que les vétérans, qu’ils soient hommes ou femmes, étaient exposés à un risque de suicide plus élevé que celui observé pour la population canadienne en général. Ce risque de suicide élevé est demeuré assez stable pour la période allant de 1976 à 2012 (Simkus, 2017; VanTil, 2018). L’EMSV de 2018 avait pour but d’examiner les caractéristiques des vétérans qui couraient le plus important risque de décès par suicide, et la variation du risque de suicide au fil du temps après la libération (Simkus, 2018).

En 2019, les données sur la mortalité pour deux années supplémentaires (2013 et 2014) sont devenues disponibles à des fins de couplage aux données sur la cohorte de vétérans. Le présent rapport sert de mise à jour des tendances observées relatives au risque de suicide au fil du temps, en fonction de l’âge et du sexe.

Méthode

L’EMSV de 2019 suit une cohorte de membres de la Force régulière et de la Force de réserve en service de classe C libérés par les Forces armées canadiennes entre 1976 et 2014 (annexe A). Ces personnes ont été repérées à l’aide des données du système d’administration de la paye du MDN. Les membres de la Force de réserve en service de classe A et B utilisent un système de paye séparé et ne pouvaient donc pas faire l’objet de l’EMSV.

Plusieurs sources de données ont été utilisées pour créer la cohorte. Les données des dossiers du Système central de calcul de la solde, qui comprennent des renseignements sur les antécédents professionnels et l’historique des déploiements de chaque vétéran, ont été appuyées par des données du système de gestion des ressources humaines du MDN dans le but de créer un historique exhaustif du travail militaire du personnel. Statistique Canada a couplé la cohorte aux actes de décès de la Base canadienne de données de l’état civil, qui comprenait des renseignements sur la date et la cause du décès provenant des bases de données provinciales et territoriales de statistiques de l’état civil. Les décès par suicide ont été codés dans les actes de décès selon la Classification internationale des maladies (CIM) de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). L’annexe B fournit des détails supplémentaires sur les sources de données.

Une fois achevé, l’ensemble de données couplées a été anonymisé et conservé en lieu sûr à Statistique Canada, où il a fait l’objet d’une analyse par les épidémiologistes du MDN et d’ACC. Statistique Canada a également fourni des données agrégées sur la population canadienne en général, qui servait de population de référence pour cette étude. La période de suivi de l’étude était de 39 ans, car la date la plus ancienne pour laquelle on pouvait repérer des vétérans pour la cohorte était 1976 et la date la plus récente pour laquelle des données sur la mortalité étaient disponibles au moment du couplage était 2014. Des détails supplémentaires sur le couplage sont fournis dans d’autres publications (Rolland-Harris, 2018a).

Les distributions de l’âge et du sexe dans la cohorte de vétérans et dans la population générale canadienne (PGC) sont très différentes. Pour cette raison, des analyses séparées ont été effectuées pour les hommes et les femmes. Chaque groupe a fait l’objet de deux types d’analyse visant à évaluer le risque de suicide et de décès dans la population de vétérans tout en tenant compte des différences d’âge : des rapports de mortalité standardisés (RMS) et des taux ajustés selon l’âge. Les groupes ont été divisés en tranches d’âge de 5 ans, sauf dans les cas où un regroupement était nécessaire pour préserver l’anonymat des membres d’un groupe d’âge.

Les RMS ont été calculés pour chaque groupe d’âge afin de comparer les risques de suicide parmi les vétérans à ceux dans la population générale. Un RMS d’une valeur de 1,0 indique que la mortalité observée chez le groupe de vétérans était la même que celle observée au sein de la PGC. On a calculé des intervalles de confiance (IC) à 95 % pour illustrer la variabilité aléatoire potentielle dans les estimations; des IC qui chevauchent 1,0 indiquent que les RMS ne sont pas statistiquement significatifs par rapport à la PGC.

Les taux de suicide ajustés selon l’âge pour les vétérans et la PGC ont été calculés. Ces taux ont été ajustés en fonction de la répartition selon l’âge de la population canadienne en 1991.

Plusieurs constatations du présent rapport se basent sur des petits chiffres, ce qui cause en partie les intervalles de confiance importants. Conformément au règlement sur la protection des renseignements personnels de Statistique Canada, les RMS et les taux ont été regroupés et présentés dans des catégories d’âge ou de période permettant de veiller à ce que le nombre de cellules minimal soit 10. Lorsque le regroupement n’était pas possible, les points de données ont été supprimés (ces cas sont indiqués par le symbole *). Ces cas comprennent les situations où le nombre de nouveaux décès ayant eu lieu depuis la publication de l’EMSV de 2017 était inférieur à 10. La mise à jour des dates de libération (en raison du réenrôlement au sein de la cohorte) et les améliorations du traitement des données ont entraîné la révision de certains chiffres publiés dans les précédents rapports.

L’annexe C fournit des détails supplémentaires sur les analyses.

Résultats

Sommaire de la cohorte

La dernière cohorte couplée de l’EMSV comprenait 231 733 vétérans canadiens à la fin de la période d’étude en 2014 (annexe A). La cohorte de vétérans était composée d’hommes à 89 %, de militaires libérés en tant que militaire du rang subalterne à 60 % et de militaires libérés depuis 2000 à 29 %. Certains membres de la cohorte avaient une combinaison d’expériences de service dans la Force régulière et dans la Force de réserve en service de classe C au cours de leur carrière. La majorité des membres de la cohorte (95 %) avaient fait partie de la Force régulière à une période ou une autre de leur carrière militaire, et 15 % avaient au moins servi dans la Force de réserve de classe C. Le tableau 1 fournit des renseignements supplémentaires sur les caractéristiques militaires de la cohorte.

Tableau 1. Caractéristiques militaires de la cohorte de 1976-2014 de l’EMSV
blank Hommes Femmes
N % N %
Total dans la cohorte 206 765 89,2% 24 968 10,8%
Toujours en vie en date du 31 décembre 2014 183 490 88,7% -* -*
Décédé pendant la période d’étude 23 275 11,3% -* -*
Grade à la libération
MR subalterne 122 166 59,1% 17 038 68,2%
MR supérieur 46 904 22,7% 2 795 11,2%
Officier 37 515 18,1% 5 123 20,5%
Manquant 180 0,1% 12 0,0%
Total 206 765 100,0% 24 968 100,0%
Élément
Force régulière seulement 176 626 85,4% 19 726 79,0%
Force rég. et Force de rés. C 20 173 9,8% 3 163 12,7%
Force de réserve C seulement 9 966 4,8% 2 079 8,3%
Total 206 765 100,0% 24 968 100,0%
Période du premier enrôlement
Avant 1976 73 062 35,3% 3 231 12,9%
De 1976 à 1987 85 560 41,4% 13 251 53,1%
De 1988 à 1999 27 913 13,5% 5 266 21,1%
De 2000 à 2014 20 230 9,8% 3 220 12,9%
Total 206 765 100,0% 24 968 100,0%
Période de libération
De 1976 à 1987 87 518 42,3% 8 578 34,4%
De 1988 à 1999 60 444 29,2% 7 477 29,9%
De 2000 à 2014 58 803 28,4% 8 913 35,7%
Total 206 765 100,0% 24 968 100,0%

*Supprimé en raison de la faible importance des changements depuis le rapport de 2017

Mortalité par suicide parmi les hommes au fil du temps

En tenant compte des différences d’âge, les hommes vétérans présentaient, dans l’ensemble, un taux de risque de décès par suicide 1,4 fois supérieur à celui de la population générale canadienne. Le risque était supérieur à celui observé dans l’ensemble de la population canadienne pour toutes les périodes examinées, et ne variait pas grandement d’une période à l’autre. Le risque de suicide parmi les hommes vétérans était à son minimum pendant les années les plus récentes pour lesquelles des données étaient disponibles (soit 2013 et 2014), néanmoins, la différence par rapport aux périodes de temps précédentes était négligeable (tableau 2).

Tableau 2. Comparaison du risque de décès par suicide parmi les hommes vétérans à celui au sein de la population générale canadienne calculé à l’aide de rapports de mortalité standardisés (RMS) selon la période, entre 1976 et 2014.
Période N RMS – suicide (IC de 95 %)
De 1976 à 1982 94 1,33 (1,07 – 1,62)
De 1983 à 1987 154 1,44 (1,23 – 1,69)
De 1988 à 1992 217 1,59 (1,39 – 1,82)
De 1993 à 1997 260 1,52 (1,34 – 1,71)
De 1998 à 2002 244 1,35 (1,19 – 1,53)
De 2003 à 2007 221 1,23 (1,08 – 1,41)
De 2008 à 2012 265 1,34 (1,19 – 1,51)
De 2013 à 2014 107 1,21 (1,00 – 1,47)
Total 1 562 1,39 (1,32 – 1,46)
 

Période de 5 ans, à l’exception de la première période, qui est de 7 ans afin d’éviter la suppression de données, et de la dernière période, qui englobe les 2 années pour lesquelles des données sont devenues disponibles depuis le rapport de 2017.

Mortalité par suicide parmi les hommes selon le groupe d’âge

Bien que le taux de risque de décès par suicide parmi les hommes vétérans dans l’ensemble était 1,4 fois supérieur à celui dans la population générale canadienne, le risque culminait dans les groupes d’âge les plus jeunes et se résorbait au fil de l’augmentation en âge (l’analyse en fonction de l’âge est décrite à l’annexe C). Les hommes âgés de moins de 25 ans présentaient un risque 2,5 fois supérieur à celui encouru par les hommes du même âge dans la population générale canadienne. Par contre, le risque de suicide était inférieur de 36 % à celui de la PGC parmi les hommes vétérans âgés entre 55 à 64 ans, et de 52 % parmi les vétérans âgés de 65 ans et plus (tableau 3).

Tableau 3. Comparaison du risque de décès par suicide parmi les hommes vétérans à celui au sein de la population générale canadienne calculé à l’aide de rapports de mortalité standardisés (RMS) selon le groupe d’âge, entre 1976 et 2014
Groupe d’âge N RMS – suicide (IC de 95 %)
Moins de 25 ans 180 2,52 (2,18 – 2,92)
25 à 34 399 1,87 (1,69 – 2,06)
35 à 44 447 1,65 (1,50 – 1,81)
45 à 54 366 1,20 (1,08 – 1,33)
55 à 64 122 0,74 (0,62 – 0,89)
65 ans et plus 48 0,48 (0,36 – 0,64)
Total 1 562 1,39 (1,32 – 1,46)
 

Mortalité par suicide parmi les femmes au fil du temps

En tenant compte des différences d’âge, les femmes vétérans présentaient, dans l’ensemble, un taux de risque de décès par suicide 1,9 fois supérieur à celui de la population générale canadienne. Ce risque ne variait pas grandement d’une période à l’autre (tableau 4).

Tableau 4. Comparaison du risque de décès par suicide parmi les femmes vétérans à celui au sein de la population générale canadienne calculé à l’aide de rapports de mortalité standardisés (RMS) selon la période, entre 1976 et 2014
Période N RMS – suicide (IC de 95 %)
De 1976 à 1990 -* 1,90 (0,98 – 3,33)
De 1991 à 1998 -* 1,46 (0,73 – 2,61)
De 1999 à 2006 -* 2,19 (1,39 – 2,54)
De 2007 à 2014 -* 1,71 (1,37 – 2,54)
Total -* 1,88 (1,47 – 2,38)
 

* Supprimé en raison de la faible importance des changements depuis le rapport de 2017

Mortalité par suicide parmi les femmes selon le groupe d’âge

Les femmes vétérans présentaient, dans l’ensemble, un taux de risque de décès par suicide 1,9 fois supérieur à celui de la population générale canadienne, et ce risque était élevé dans les trois groupes d’âge examinés. Le petit nombre de suicides parmi les femmes a limité l’analyse à seulement trois groupes d’âge (tableau 5).

Tableau 5. Comparaison du risque de décès par suicide parmi les femmes vétérans à celui au sein de la population générale canadienne calculé à l’aide de rapports de mortalité standardisés (RMS) selon le groupe d’âge, entre 1976 et 2014
Groupe d'âge N RMS – suicide (IC de 95 %)
16 à 34 -* 2,17 (1,34 – 3,31)
35 à 49 -* 1,66 (1,14 – 2,33)
50 et plus -* 2,12 (1,21 – 3,44)
Total -* 1,88 (1,47 – 2,38)
 

* Supprimé en raison de la faible importance des changements depuis le rapport de 2017

Comparaison de la mortalité par suicide chez les hommes et chez les femmes

Dans l’ensemble, les taux de suicide ajustés selon l’âge pour 100 000 années-personnes chez les vétérans des deux sexes étaient supérieurs à ceux de la population canadienne en général. Le taux de suicide des hommes vétérans était 3,8 fois plus élevé que celui des femmes vétérans (figure 5).

Taux de suicide ajustés selon l’âge des vétérans et de la population canadienne, 1976 à 2014; taux normalisés selon la répartition par âge de la population canadienne en 1991
  Hommes Canadiens
Vétérans 38,30 10,17
Canadians 24,14 6,90

Discussion

Le suicide figure parmi les préoccupations de santé publique les plus importantes pour ACC. Avec l’aide du MDN et de Statistique Canada, ACC a effectué des analyses du plus grand ensemble de données disponible contenant des renseignements sur la cause du décès et le service militaire des vétérans des Forces armées canadiennes. Les principales conclusions de l’Étude sur la mortalité par suicide chez les vétérans de 2019 sont les suivantes :

  1. Pour toute la période d’observation de 39 ans, on a constaté que le risque de suicide était systématiquement plus élevé chez les vétérans des deux sexes qu’il ne l’était au sein de la population générale canadienne. Le risque observé au cours des deux années supplémentaires pour lesquelles des données étaient maintenant disponibles (soit 2013 et 2014) était semblable à celui observé pour les périodes précédentes. Le risque de suicide observé n’a ni augmenté ni diminué au cours de cette période de 39 ans.
  2. Dans l’ensemble, les hommes vétérans présentaient un risque 1,4 fois plus élevé de mourir par suicide que les hommes de la population canadienne en général, le groupe le plus jeune étant le plus à risque.
  3. Dans l’ensemble, les femmes vétérans présentaient un risque 1,9 fois plus élevé de mourir par suicide que les femmes de la population canadienne en général, et ce risque demeurait relativement constant d’un groupe d’âge à l’autre.

Les rapports de mortalité standardisés présentés dans ce rapport indiquent que les vétérans présentent un risque accru de suicide comparativement à la population canadienne en général. Dans l’ensemble, le taux de suicide ajusté selon l’âge chez les hommes vétérans était de 38 pour 100 000 années-personnes; il s’agit là d’un risque de décès par suicide 1,4 fois plus élevé que chez la population canadienne en général. Chez les femmes vétérans, le taux de suicide ajusté selon l’âge était de 10 pour 100 000 années-personnes; il s’agit là d’un risque de décès par suicide 1,9 fois plus élevé que chez la population canadienne en général. Comme on a pu l’observer au sein de la population en général (Santé Canada, 1994; Navaneelan, 2016), l’Étude sur la mortalité par suicide chez les vétérans a révélé un taux de suicide chez les hommes vétérans 3,8 fois plus élevé que chez les femmes vétérans. Le risque global de suicide chez les vétérans des deux sexes au Canada est demeuré stable au cours de la période d’étude de 39 ans, y compris au cours de la période la plus récente de 2013 et 2014. Ces constatations concordent avec les constatations antérieures (Simkus, 2017).

Chez les hommes vétérans, le risque de suicide était le plus élevé dans le groupe le plus jeune; ceux âgés de moins de 25 ans étaient exposés à un risque de suicide 2,5 fois plus élevé que les hommes de la population canadienne en général. Un risque de suicide significativement plus élevé persiste jusqu’à l’âge de 54 ans. Le risque plus élevé chez les jeunes hommes vétérans correspond aux constatations antérieures selon lesquelles le risque de suicide est le plus élevé environ quatre ans après la libération (Simkus, 2018).

Chez les femmes vétérans, le risque de suicide ne change pas avec l’âge. Le risque était constamment élevé dans tous les groupes d’âge, comparativement à la population canadienne en général.

Le risque de suicide accru qui existe depuis longtemps chez les vétérans (hommes et femmes) comparativement à la population canadienne en général souligne l’importance de la Stratégie conjointe de prévention du suicide des Forces armées canadiennes et d’Anciens Combattants Canada (FAC-ACC, 2017). Les tendances différentes du risque de suicide selon l’âge chez les hommes et les femmes suggèrent que les facteurs de risque peuvent différer d’un sexe à l’autre. Les efforts de prévention et de traitement doivent tenir compte des différences sexuelles, tout en évitant de se concentrer uniquement sur les hommes ou les femmes. 

Des études sur le suicide chez les vétérans menées dans d’autres pays ont permis d’observer des constatations semblables à celles de l’EMSV, plus particulièrement en ce qui concerne le risque chez les jeunes hommes (Australian Institute of Health and Welfare, 2017; Kapur, 2009). Dans une étude sur les vétérans américains, les hommes vétérans étaient 1,5 fois plus susceptibles de mourir par suicide que prévu, et les femmes vétérans, 5,9 fois plus susceptibles (Hoffmire, 2015). Toutefois, la stabilité des taux de suicide chez les vétérans au Canada contraste avec les constatations faites aux États-Unis qui décrivent une augmentation des taux de 2001 à 2014 (USDVA 2017).

Forces et limites

L’une des principales forces de cette étude est l’exhaustivité de ses sources de données. L’utilisation des données sur la paie fait en sorte que toutes les personnes ayant reçu une solde militaire ont été incluses dans la cohorte, et l’utilisation des actes de décès officiels permet de s’assurer que les décès par suicide des vétérans sont tout aussi susceptibles d’être déclarés que les décès par suicide dans la population canadienne en général. Le grand nombre de vétérans dans la cohorte et la longue période de suivi fournissent le meilleur portrait possible du risque de décès par suicide chez les vétérans canadiens des deux sexes.

Toutefois, ces sources de données ne caractérisent pas l’ensemble de la carrière militaire des vétérans ni leurs expériences après leur libération des forces armées. Les constatations de l’EMSV devraient donc être prises en compte conjointement avec d’autres formes de recherche qui examinent les tendances suicidaires (idées suicidaires, tentatives de suicide et décès par suicide).

Conclusions

Le suicide chez les vétérans canadiens continue d’être l’une des principales préoccupations en matière de santé publique. Les efforts concertés d’Anciens Combattants Canada, du ministère de la Défense nationale et de Statistique Canada ont permis de coupler avec succès les dossiers de carrière militaire de plus de 230 000 vétérans aux actes de décès canadiens sur une période 39 ans. Les vétérans canadiens des deux sexes sont beaucoup plus susceptibles de se suicider que les Canadiens dans la population en général. Les hommes vétérans les plus jeunes sont particulièrement à risque. Les constatations de la présente étude peuvent servir à éclairer les activités de prévention du suicide chez les vétérans canadiens.

Références

Australian Institute of Health and Welfare. Incidence of suicide among serving and ex-serving Australian Defence Force personnel 2001-2015: in-brief summary report, cat no PHE 213, Canberra, AIHW, 2017.

FAC-ACC. Stratégie conjointe de prévention du suicide des Forces armées canadiennes et d’Anciens Combattants Canada, Ottawa, Forces armées canadiennes et Anciens Combattants Canada, 2017. Internet : https://www.canada.ca/content/dam/dnd-mdn/documents/reports/2017/strategie-conjointe-prevention-suicide-fac-acc.pdf

Hoffmire, C.A., J.E. Kemp et R.M. Bossarte. « Changes in suicide mortality for Veterans and nonveterans by gender and history of VHA service use, 2000-2010 », Psychiatric Services, vol. 66, no 9, 2015, p. 959-965.

Kapur, N., D. While, N. Blatchley, I. Bray et K. Harrison. « Suicide after leaving the UK Armed Forces – a cohort study », Public Library of Science (Medicine), vol. 6, no 3, 2009, e1000026.

Navaneelan, T. (2016). Suicide rates: an overview. Health at a Glance, Statistics Canada. Available online at https://www.statcan.gc.ca/pub/82-624-x/2012001/article/11696-eng.htm

Rolland-Harris, E., L. VanTil, M. Zamorski, D. Boulos, A. Reicker, R. Trudeau, H. Masoud, M. Weeks et K. Simkus. « The Canadian Forces Cancer and Mortality Study II: A Longitudinal Record-Linkage Study Protocol », Canadian Medical Association Journal, 2018a. DOI : 10.9778/cmajo.20170125

Santé Canada. Le suicide au Canada : Mise à jour du Rapport du Groupe d’étude sur le suicide au Canada, 1994.

Simkus, K. et L. VanTil. Étude sur la mortalité par suicide chez les vétérans 2018 : Identification des groupes à risque à la libération, Charlottetown (Île‑du‑Prince‑Édouard), Direction de la recherche, Anciens Combattants Canada, 4 décembre 2018. Rapport technique. Internet : https://www.veterans.gc.ca/fra/about-vac/research/research-directorate/publications/reports.

Simkus, K., L. VanTil et D. Pedlar. Étude sur la mortalité par suicide chez les vétérans 2017 (1976 à 2012), Charlottetown (Île‑du‑Prince‑Édouard), Direction de la recherche, Anciens Combattants Canada, 30 novembre 2017. Rapport technique. Internet : http://publications.gc.ca/site/fra/9.847963/publication.html

Statistique Canada. Étude du cancer et de la mortalité chez les membres des Forces canadiennes : causes de décès. Dans : Statistique Canada, éd., Ottawa, ministre de l’Industrie, 2011.

US Department of Veterans Affairs. Suicide Among Veterans and Other Americans 2001-2014, USDVA Office of Suicide Prevention, août 2017.

VanTil, L.D., K. Simkus, E. Rolland-Harris et D. Pedlar. « Veteran suicide mortality in Canada from 1976 to 2012 », Journal of Military, Veteran and Family Health, vol. 4, no 2, 2018, p. 110-116. DOI : 10.3138/jmvfh.2017-0045

Annexe A – Définition de cohorte

L’EMSV assure un suivi des vétérans canadiens de la Force régulière et de la Force de réserve en service de classe C qui ont été libérés des Forces armées canadiennes entre le 1er janvier 1976 et le 31 décembre 2014. La cohorte a été définie à l’aide des données sur la paie du système central de calcul de la solde du MDN et des actes de décès de la Base canadienne de données de l’état civil de Statistique Canada en fonction des critères d’inclusion suivants :

  1. les membres de la cohorte doivent avoir été libérés des Forces armées canadiennes en 1976 ou après;
  2. les membres de la cohorte ne doivent plus servir depuis le 31 décembre 2014 et doivent être vivants au moment de leur libération (c’est-à-dire qu’ils ne sont pas morts en service);
  3. Leur âge au moment de l’enrôlement et de la libération et les dates de décès doivent être logiques selon leur temps de service.

La cohorte est passée de 9 885 vétérans en 1976 à un total de 231 733 vétérans à la fin de 2014. Ce nombre comprend les vétérans qui sont décédés au cours de cette période, même si les vétérans ont été retirés de la population à l’étude à leur décès afin de calculer avec précision les RMS et les taux de suicide.

Étant donné que les membres de la Force de réserve en service de classe A et B sont rémunérés par l’intermédiaire d’un système différent, ces vétérans n’ont pas été inclus dans la présente étude.

Les données ont été examinées et épurées; lorsque les corrections nécessaires ne pouvaient être apportées, les critères d’exclusion ont été appliqués. Par exemple, l’âge minimum au moment de l’enrôlement et de la libération a été fixé à 16 ans et l’âge maximum au moment de l’enrôlement a été fixé à 60 ans. Tout militaire décédé pour qui un acte de décès a été délivré dans les 14 jours suivant sa libération a été désigné comme « décédé en service », plutôt qu’à titre de vétéran étant donné la grande possibilité d’une erreur dans la saisie de la date de libération; cette décision est appuyée par des données tirées d’études antérieures du MDN qui montraient une correspondance entre le nombre de suicides dans les 14 jours suivant la libération et le nombre connu de décès par suicide survenus pendant le service. Les « décès en service » comprenaient également les personnes dont le motif de libération était « décédé ».

Annexe B – Sources de données

Le système central de calcul de la solde est un ensemble de données électroniques du MDN qui comprend tous les membres de la Force régulière et de la Force de réserve en service de classe C (réservistes ayant participé à des opérations internationales ou à des missions) qui se sont enrôlés dans les FAC ou en ont été libérés depuis 1976. Le système central de calcul de la solde contient des données précises et exactes étant donné son mécanisme de rétroaction intégré, par lequel le personnel et l’employeur sont invités à corriger les erreurs de paie dès que possible. Les salaires et le montant des paies n’ont pas été communiqués à l’équipe de recherche; seules les dates de fin de la solde ont été utilisées pour établir la date de cessation d’emploi des FAC de chaque militaire (libération).

Ce fichier de cohorte a été complété et validé à l’aide des données du Système de gestion des ressources humaines. Le Système de gestion des ressources humaines est un autre ensemble de données administratives du MDN qui comprend des données démographiques et professionnelles sur les membres des Forces armées canadiennes en service. L’intégration de cette deuxième source de données a permis de réduire la quantité de renseignements manquants et de corriger les inexactitudes dans les rapports.

La Base canadienne de données de l’état civil, composée de données du bureau central de l’état civil de chaque province et territoire, fournit des renseignements sur la mortalité de 1950 à l’année la plus récente de données disponibles. Les variables sur la mortalité utilisées dans l’EMSV sont la date de décès et la cause initiale de décès, comme l’indique le code de la Classification internationale des maladies (CIM) attribué au moment du décès. Les codes de décès par suicide ont changé au cours de la période à l’étude :

  • 1976 à 1978 : Codes de la CIM-8 : E950-E959
  • 1979 à 1999 : Codes de la CIM-9 : E950-E959
  • 2002 à 2014 : Codes de la CIM-10 : X60-X84 et Y87.0

La définition de cas de décès par suicide de la Classification internationale des maladies concorde avec celle utilisée par le MDN (Rolland-Harris, 2016) et Statistique Canada (Navaneelan, 2016).

Le fichier de cohorte a été couplé de façon déterministe par Statistique Canada à la Base canadienne de données de l’état civil à l’aide d’identificateurs présents dans les deux ensembles de données (principalement le numéro d’assurance sociale). Les données couplées anonymisées ont été conservées en lieu sûr à Statistique Canada et n’étaient accessibles qu’aux chercheurs désignés du MDN et d’ACC. D’autres détails sur les données et la méthode de couplage sont publiés dans le cadre du protocole de l’Étude du cancer et de la mortalité chez les membres des Forces canadiennes II, qui utilise les mêmes sources de données couplées que l’EMSV (Rolland-Harris, 2018a).

Des données agrégées sur la population canadienne et des données sur les décès ont été fournies par Statistique Canada sous forme de rapports historiques et de tableaux CANSIM auxquels le public a accès en ligneNote de bas de page 1. Le nombre de membres de la population et de décès a été fourni en fonction du sexe, de tranches d’âge de 5 ans, de l’année et des codes de cause du décès de la CIM.

Annexe C – Analyse des données

Règlement sur la protection des renseignements personnels

Conformément aux exigences de la Loi sur la statistique, tous les nombres de décès inférieurs à 10 doivent être supprimés. Par conséquent, les groupes d’âge ou les périodes ont été regroupés, au besoin, afin de veiller à ce que les nombres de décès soient supérieurs ou égaux à 10. Quand il n’était pas possible de regrouper des sous-groupes, les nombres ou les taux ont été supprimés.

Description de la cohorte

On a rédigé un sommaire pour décrire la répartition de la cohorte des vétérans en fonction du sexe, de l’âge à la fin de l’étude, de l’âge au moment du décès, de l’élément, du grade, de la période d’enrôlement et de la période de libération.

Rapports de mortalité standardisés

On a utilisé les rapports de mortalité standardisés (RMS) pour comparer le taux de suicide au sein de la cohorte de l’EMSV avec celui de la PGC. Les taux de suicide ont été calculés séparément pour les hommes et les femmes, pour chaque période de suivi et pour chaque groupe d’âge de la cohorte de l’EMSV. Ces taux ont été comparés à ceux observés pour le groupe correspondant dans la population en général au moyen de méthodes de standardisation indirecte.

Un RMS de 1,0 indique que la mortalité observée chez la cohorte de vétérans était la même que celle observée chez la PGC. Des valeurs inférieures à 1,0 suggèrent une mortalité plus faible chez la cohorte des vétérans, tandis que des valeurs supérieures à 1,0 suggèrent une mortalité plus élevée que prévu chez la cohorte des vétérans. En plus des estimations ponctuelles, on a calculé des intervalles de confiance (IC) à 95 % pour illustrer le degré d’erreur aléatoire dans les estimations, ce qui est particulièrement utile lorsque le nombre de cas traités est faible. Le calcul des intervalles de confiance s’est appuyé sur une approximation de la loi normale (nombre de décès ≥ 100) ou sur la méthode exacte de Poisson (nombre de décès < 100). Les intervalles de confiance des RSM qui chevauchent 1,0 ne sont pas statistiquement significatifs.

Les rapports de mortalité standardisés permettent de faire des comparaisons avec la population canadienne en général et sont souvent utilisés dans les études sur la mortalité. Ils servent à estimer le risque excédentaire de décès dans une population d’intérêt; cette information peut être utilisée pour cibler les interventions et les ressources en santé publique.

Taux ajusté selon l’âge

Les taux de mortalité toutes causes confondues et de suicide ajustés selon l’âge pour les vétérans et la population canadienne en général ont été calculés pour examiner les tendances temporelles, à l’aide de la standardisation directe, avec la norme de population actuelle (PGC de 1991) pour les Canadiens âgés de 15 ans et plus comme référence.

En plus des taux globaux ajustés selon l’âge présentés pour la période d’étude de 1976 à 2014, les taux annuels ajustés selon l’âge sont présentés dans le présent rapport. Toutefois, un petit nombre de décès (le numérateur) ou des petites populations (les dénominateurs) peuvent mener à des taux statistiquement instables. Les catégories d’âge ont été assignées en utilisant la date de décès pour les numérateurs et l’âge (vivant) pour chaque année de l’étude pour les dénominateurs. Pour les taux, on a calculé des intervalles de confiance 95 % selon une approximation de la loi normale (nombre de décès ≥ 100) ou la méthode exacte de Poisson (nombre de décès < 100). Des tendances linéaires ont été produites et utilisées pour estimer les tendances temporelles en matière de suicide chez les vétérans et la population canadienne en général.

Logiciel

Toutes les activités d’épuration, de manipulation et d’analyse des données ont été accomplies au moyen de Stata 14 et du logiciel Excel de Microsoft. Les activités de couplage des données ont été menées à l’aide de SAS 9.3.