Retour à la vie civile
La force francophone
Transcription
Retour à la vie civile
On était pas préparés pour revenir, tsé. C’est drôle à dire, mais on dirait
qu’on était pas prêts. On aurait dit que, pour moi, pareil comme si
j’avais pas été fait pour revenir, tsé. Il aurait fallu que je reste là, tsé. Me semblait
que mon ouvrage était pas fini, tsé. Mais ils ont décidé la guerre est finie, bon.
C’est ben beau tout ça, mais là tu vois, tu t’en vas en civil.
Ça te tente tu d’être en civil? Ça fait cinq ans que
t’es dans l’armée, ça fait quatre ans que t’es dans l’armée.
Puis, moi je pouvais pas rester dans l’armée, j’avais pas d’instruction.
Il aurait fallu que j’aille à un cours universitaire.
Là peut-être que j’aurais resté, faire une carrière pour, peut-être.
Ça m’aurait tenté, mais j’avais pas d’instruction. J’avais juste une sixième année,
c’était pas les chars, ça. C’était bon pour faire de la chair à canon,
puis c’est tout. Quand tu rentres dans l’armée, tu fais un entraînement
qui voulu. Mais quand tu reviens à la vie civile, ça coupe carré.
L’armée coupe carré puis là, là t’es comme tout le monde, puis faut que
tu te trouves une job. C’est ça qui est dur. Puis à par de ça, regardez
bien ça, l’injustice. Nous autres, vu qu’on est sur la première ligne,
au lieu d’être ravitaillés les premiers, on est ravitaillés les derniers. Même tout ceux
qui ont resté au Canada, ils se sont trouvé des jobs. Nous autres quand on est
arrivés avec nos médailles, toutes les jobs étaient prises, il y avait plus rien.
Moi, ils ont dit qu’ils me donneraient une maison, là, je l’attends encore.
Je l’aurai jamais, je le sais. Mais j’ai fait des applications comme au Bell, le Postes Canada,
j’ai jamais eu de réponse. Ben non, tout ceux qui étaient au Canada, puis moins loin,
ils ont tous, ils ont tous, ils les ont embauchés, ils avaient besoin du personnel.
Nous autres quand on est arrivés, il y avait plus rien. Il y avait plus rien.
Qu’est-ce que vous avez fait?
Ben, j’ai… une journée ils m’ont appelé pour aller au DVA, à Montréal,
puis j’ai eu une mauvaise surprise, je suis arrivé là, c’était une
ambulance qui arrive, les gars arrivaient en panier, pas de jambes, pas de bras.
Je me suis regardé, j’ai dit j’ai mes deux jambes, mes deux bras…
J’ai même pas rentré, j’ai même pas rentré au DVA je me suis en allé chez nous.
J’ai dit je va me trouver une job. Puis là, j’ai rentré, j’ai commencé,
je me suis trouvé une job dans la chaussure. J’ai travaillé
trente-huit ans dans chaussure. Je faisais des patins de hockey.
Mais j’ai pas été fin, parce que y aurait fallu que je rentre, là ils m’aurait
évalué mon état de santé, parce que j’étais pas serviable.
Premièrement, je mangeais pas, je dormais pas, je faisais rien.
Tsé, j’étais saigné à la corde. J’ai fait quatre pays à quatre pattes.
J’étais usé! Puis j’ai pas rentré. Physiquement, j’avais l’air correct,
j’avais. Mais mentalement, puis mon corps en avait souffert.
Puis j’ai pas rentré. J’ai dit j’ai mes deux bras, mes deux jambes,
j’ai vingt-trois ans, j’ai dit je suis capable de travailler.
Mais je pensais, moi, que j’aurais toujours été à vingt-trois ans, moi.
Mais j’ai vieilli depuis ce temps-là. Ouain, c’est la
vie civile en revenant qui est le pire.
Les réflexes restent
Chaque fois qu’il passait un train, un avion, j’ai déjà vu une fois,
ça faisait à peu près un an que j’étais revenu à Montréal, j’étais sur la
rue Ste-Catherine, dans le bout de chez … il a passé un avion au bout de chez Eaton, là…
On était deux, on s’est jetés à plein ventre dans le plein milieu de
la rue Ste-Catherine. On pensait que c’était un raid, tsé.
Tsé, ça s’est fait vite. Le subconscient a travaillé, bang, il s’est jeté à
terre. Puis à part de ça, quand on allait, mettons que
j’allais manger au restaurant, je mangeais pas contre la porte.
J’allais toujours manger la dernière cabine au fond pour qu’il y ait un
mur, pour pas qu’il y ait personne en arrière de moi, tsé.
Pour voir le monde, tsé, pour les voir. Si il m’arrivait un
coup croche, ben faut que je les vois faire. Je me faisais
pas prendre de dos. Puis c’était toujours pareil, au théâtre,
dernier banc en arrière, toujours accoté au mur,
puis dans ce temps-là, il y avait ma blonde, tsé : « pourquoi tu fais ça? »
« Ben, j’ai dit, je suis pas capable, ça sert à rien, je suis pas capable de
rester en place. Parce que tsé, t’as encore c’est le, la… la mentalité que
il peut arriver quelque chose, puis tsé… Moi je voulais pas, mais mon
système commandait. Moi je touche pas aux armes, hein. Parce que j’ai
un gendre, moi, que… chez eux il a des armes, puis tout barrées, puis
des fois il m’amène, puis j’y dis : « ah oui, elles sont belles ».
J’ai jamais touché à une arme, moi, puis j’en toucherai jamais parce que
je sais pas qu’est-ce que mes mains vont faire, tsé.
Tout d’un coup mon cerveau déclenche, je sais pas moi.
Parce que ça tire, ça (rire). Ah oui, dans les premiers temps que je
travaillais dans la bottine, on faisait des souliers de femmes, puis ça
avait un talon à un moment donné. J’accrochait le talon,
avec le… eh! Je tirais avec la… sur la bottine! Pareil comme
si ça serait un trigger, un chien! (rire) Puis, c’était un talon avec
une bottine. Pour moi c’était encore tsé, les mains étaient encore là!
Ah oui, on dirait que ça partait pas, ça.
Description
Revenir à la vie civile après plusieurs années dans l’armée ne semble pas avoir été facile pour M. Lanouette. Les réflexes ne disparaissent pas du jour au lendemain.
René Lanouette
M. Lanouette est né à Montréal, son père était livreur de pain. Il a été appelé par l’armée en 1939, ses parents s’y opposaient parce qu’il était le seul garçon de la famille. Arrivé en Angleterre, à Aldershot, il a d’abord été affecté à un régiment de langue anglaise. Ayant trop de difficulté à bien comprendre les instructions, il a été transféré au Régiment de la Chaudière. M. Lanouette est resté 11 mois en Europe. Il a participé à plusieurs batailles en France, en Belgique, en Hollande et jusqu’en Allemagne.
Catégories
- Médium :
- Vidéo
- Propriétaire :
- Anciens Combattants Canada
- Durée :
- 5:00
- Personne interviewée :
- René Lanouette
- Guerre ou mission :
- Seconde Guerre mondiale
- Emplacement géographique :
- Canada
- Branche :
- Armée
- Unité ou navire :
- Régiment de la Chaudière
- Grade militaire :
- Soldat
- Occupation :
- Fantassin
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- Date de modification :