« C’est lui ou c’est toi ! »

Des héros se racontent

« C’est lui ou c’est toi ! »

Transcription

Interviewer : Est-ce que c’était plus difficile quand vous pouviez voir l’ennemi, quand que vous le voyiez dans les yeux ? Si c’était plus difficile quand on le voyait ? Tout dépend. Il y a eu une place, par exemple, que j’ai vu, un moment donné, puis j’étais sniper hein, j’étais franc- tireur. Et puis... je voyais du long d’un champ de blé d’Inde, bien je dis blé d’Inde... quelque chose de haut en tout cas, tu sais, comme du blé d’Inde, disons que c’était du blé d’Inde. Il marchait une patrouille, une patrouille ou... ils étaient sept ou huit Allemands qui marchaient du long de la clôture. Ils étaient juste sur mon bord, j’avais beau à les tirer là. Hé, je me disais dans ma tête « Je prends celui d’en arrière pour pas que le premier voit, puis, je te les descends un par un. » Essaie de tirer, puis essaie de tirer. Il mouillait à seaux, mouillait, mouillait, mouillait, mouillait. On était dans la boue par-dessus la tête. La carabine voulait pas marcher. J’en ai pas touché un. J’ai jamais été capable de tirer une cartouche seulement. Ça a jamais voulu partir. Il y avait pas moyen, c’était tout bloqué, c’était... c’était kaput ! (Rires) Mais ça coudonc, hein ? Mais quand on les voyait, fallait se dépêcher. C’est lui ou c’est toi. Il est là pour te descendre. Toi t’es là pour le descendre, puis s’il te descend pas... bien, coudonc... descends-le parce que tu vas l’avoir. Mais il faut dire que directement en face là, on l’a pas tellement souvent. C’est plutôt les canons qui les descendent, puis des avions, puis les... On s’en va en tirant... comment que je dirais bien... en tirant un peu partout pour leur faire baisser la tête, si tu veux... pour les... on dit pin down. On appelait ça, on était pinned down. Ça veut dire que les Allemands tiraient tellement sur nous autres qu’on pouvait pas se lever la tête, elle aurait parti. Donc, t’es pinned down. Le mot français là... c’est un terme. En tout cas, puis on essayait de les mettre pin down. Quand qu’on avançait sur eux autres, bien on essayait de les mettre pin down, si tu veux. On tirait en masse pour pas qu’ils peuvent grouiller. Puis quand on arrivait là, bien il y en avait plusieurs de blessés. Mais qui... qui l’a frappé ? C’est-tu moi ? C’est-tu toi ? Je le sais pas. C’est-tu les canons ? C’est-tu... bon ! Puis t’as pas le temps de regarder, pas le temps de niaiser là, tu sais ? Puis t’as pas le temps de ramasser un blessé, ou de, de... C’est les autres en arrière, c’est les autres qui font ça. T’as pas le temps, toi. Toi t’as le temps de sauver ta peau puis essayer de passer au travers, hein. C’est ça que t’as le temps de faire. Tu sais... dans mon cas toujours, moi je pensais à moi. Je pensais pas à... Il y en avait des chums que j’aurais pu... mais je pouvais pas. Impossible. Pas par sans coeur là. Pas parce que j’étais sans coeur, tu peux pas. Si tu te penches dessus, tu vas l’avoir toi itou. Si tu t’arrêtes là, il est là lui, l’ennemi est là, là. Il te regarde dans sa mire, hein. Il a un canon lui itou, puis il a un lance- flamme, puis il a tout le bazar. C’est une autre affaire ça le lance-flamme qui est pas drôle, tu sais ? On n’a pas eu... heureusement qu’on ne se servait pas de ça souvent parce que... fiouff... ça c’était pas un cadeau, hein.

Description

Rien n’est facile à la guerre. M. Lafrance nous parle de la vie de tireur d’élite et partage aussi certaines autres techniques de combat.

Benoît Lafrance

M. Benoît Lafrance est natif de Hull, Québec. À l’âge de 18 ans, il s’enrôle avec l’armée canadienne; une décision qui changera sa vie à jamais. Il débute son instruction militaire à Ottawa, puis se rend en Écosse à bord du Queen Elizabeth. Encore de l’instruction militaire jusqu’au 6 juin 1944 lorsqu’il participe enfin au débarquement de Normandie. M. Lafrance sera au front un peu partout en Europe avant son retour au pays. Ses rêves le hantent toujours.

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