La parade des malades
Des héros se racontent
Transcription
Quand je disais les Forces spéciales, ça marche pour eux autres,
pourquoi ça marcherait pas nous autres, fait qu'on disait telle heure,
tel jour, on fait des «parades des malades».
Fait qu'on avait un médical avec nous autres, fait que notre petite enceinte qu'on était,
il y avait pas grand-chose, quelques blocs que les ingénieurs avaient été capables de mettre,
puis il y avait une petite barrière avec un véhicule devant,
on aurait pu se faire péter la face là,
des centaines de fois puis ça aurait été un échec,
mais on a prouvé notre approche, tu sais il ont du dire, crime,
ils sont pas méchants et puis en plus ils doivent être hot si ils font ça !
I : C'est quoi la parade des malades ?
JV : La parade des malades, c'est qu'on disait, comme à l'unité ici,
on dit la parade des malades, c'est parce que ici, sur la base de Valcartier,
supposons de 7h à 9h, quand tu es malade,
tu te présentes à l'hôpital puis le médecin te vois,
c'est pour ça qu'on dit la parade des malades.
En exercice ou en opération c'est la même affaire, ok,
tu te présentes à telle heure devant le médical, tu t'assis, comme chez le médecin.
Mais nous autres on a dit à la population, on fait une parade des malades !
Fait qu'un moment donné ça a commencé à un, une madame avec son bébé,
ils rentrent, fait rentrer dans le camp, ça sort du médecin, le bébé ça pleure,
la bouette, sort de là, un plasteur, une Cépacol, c'était bien basic,
un toutou, le petit gars repart le gros sourire, la madame nous regarde.
Là le monde se parle, fait que là un moment donné, le matin,
«parade des malades» !
C'est sûr, probablement, on se disait, quelqu'un peut rentrer se faire péter ici,
on meure tous, mais on a fait le risque.
I : Donc, vous aviez une personne médicale qui ?
JV : Deux, mais vraiment un personnel médical avec un chauffeur puis son petite équipe
mais c'était un personnel médical, un Caporal, ou un Caporal-chef,
ça dépendait des fois puis lui, il rentrait,
il avait un petit local pour lui dans une de nos huttes,
nous autres on vivait dans une ancienne école,
fait que la police restait dans une ancienne école,
c'était un dépotoir quand on est arrivés,
on a tout nettoyé puis on a montré à vivre aux Afghans,
à la place de pitcher leurs affaires dans la cour,
mais là on disait Hey, met ça dans la poubelle.
Puis quand je vous dis on les traitait comme des enfants,
eux autres avaient pas le courant,
on leur a mis le courant comme nous autres avec nos génératrices,
puis quand ils faisaient de quoi de pas correct, on leur enlevait.
Fait que là ils ont connu ça, les lumières, le radio, on fournit même une petite radio,
et un moment donné on leur donne de la musique, puis là ils écoutent pas, clac !
Le chef de police, s'il vous plaît ? Non, t'as pas écouté.
À soir, tu vas l'avoir si tu écoutes.
Vraiment comme des bébés ! «OK, on le fera plus!»
Puis un moment donné, à la fin du tour,
les polices étaient respectées dans le village,
puis le monde les appelait par leur noms,
tu sais, la dynamique avait complètement changé.
I : Donc combien de temps ça a pris avant de ?
JV : Ça a pris, je vais vous dire là, de juillet, village fantôme quand on se promenait
il y avait pas un chat puis quand ils nous voyaient ils se cachaient,
à novembre, au mois de novembre quand je suis parti,
je faisais le change over avec les autres, le PPCLI,
puis quand on se promenait, c'était foule, comme le Vieux-Québec,
puis même les enfants se promenaient main dans la main.
Puis un moment donné, c'est ça, je trouve ça cute quand je la conte,
cette histoire là, mais un moment donné, on marche, puis là j'entends «Halte !»
Là, j'ai dit non, non, non. J'ai dit ça va bien, ça fait quatre mois que ça va bien,
il ne faut pas qu'il y ait une attaque à cause que l'autre gang qui arrive,
mais tu sais, parce qu'on dit souvent ça, nous autres, les observateurs,
probablement talibans ou insurgés regardent puis ils savent
qu'il y a une dynamique qui se fait,
fait qu'ils disent qu'ils vont en profiter quand la gang change,
comme dans n'importe quel principe de guerre,
quand ça change on va aller les attaquer, j'ai dit ah non!
Là je regarde mon Sergent, qu'est-ce qu'il y a ?
Il dit «Check !» Check quoi ? «Check les madames!» Oui ?
«Bien crime, elles sont pas voilées!» Bien oui, regarde donc.
C'est pour ça qu'il avait arrêté la patrouille, c'est pas parce qu'il y avait une attaque.
Lui il en revenait pas, il dit regarde, les femmes !
Fait qu'il y avait des femmes qui marchaient pas voilées,
qui étaient dans leur portique pas voilées.
Là tu te dis crime, la dynamique a changé,
c'est comme si on fait partie des meubles, ils sont habitués de nous voir,
puis on est bienvenus dans le village.
Puis quand on est arrivés au tour, c'est pour ça que je dis les mentalités changent,
on aurait pu se faire péter la fiole mais on a prouvé que ça marche en baissant sa garde,
pas en désobéissant mais en gérant le risque.
Des fois on voulait pas que le monde, au début du tour,
puis il y a certaines gangs, tu sais les guns dans la face,
dégagez, dégagez, mais nous autres un moment donné c'était, pas trop proche,
mais tu sais, le monde passait en moto, le monde venait nous voir.
Il y a peut-être un taliban qui est passé à côté de moi, il a peut-être pris ma photo,
je le sais pas, mais ça a bien marché parce que le monde,
on vivait comme dans le Vieux-Québec.
Fait qu'ils ont dit eux autres, c'est des gars habillés de même qui font notre sécurité,
ils savent leurs limites, puis quand on leur disait arrête, arrête,
là ils arrêtaient puis on faisait nos petites affaires,
mais tu sais je pointais pas le gun dans la face, fait que ça allait super bien.
Puis les enfants, on se promenait, on leur donnait des petits cadeaux ou des affaires,
comme moi mes enfants un moment donné, ils m'avaient envoyé par la malle des vieux jouets,
fait qu'un moment donné on donnait des jouets aux enfants
fait que là eux autres ils trippaient…
Des crayons, eux autres ils appelaient ça kalam puis ils faisaient ça
kalam! kalam!, crayons, kalam!
fait que là tu donnais un crayon mais un moment donné,
j'en ai plus de crayons, moi il m'en restait un crayon,
c'est pour ça je dis l'histoire que je trouve cute, il m'en restait un crayon
puis je dis là faut pas qui me le parte,
parce que ça c'est des crayons que tu peux écrire partout, fait que
si on se fait attaquer moi j'ai besoin d'un crayon pour écrire, pour appeler.
Fait que le petit gars il dit kalam, kalam. Puis je dis non…
Tu sais, c'était quasiment main dans la main avec nous autres,
ils se promenaient, eux autres ils trippaient, fait qu'à un moment donné,
il me fait une diversion de quelque chose en tout cas
puis il me pique mon crayon !
Là j'étais en tabarouette puis je le regarde,
Ah, mon petit maudit, là tu peux pas, c'est un enfant…
I : Il savait qu'il y avait un kalam dans la poche…
JV : Il le voyait parce que j'avais mon cap qui dépassait rouge, fait qu'il le voyait.
Puis là j'ai dit mon petit maudit, mais tu sais,
OK, mais j'étais vraiment fru, j'ai dit tabarouette, j'ai plus de crayon,
j'en revenais pas, j'ai dit maudit mal élevé, mais tu sais…
plein de commentaires, mon petit maudit…
je t'ai donné tous mes crayons puis c'était pas assez.
Fait qu'un moment donné on marche sur la patrouille encore,
fait qu'un moment donné, je revois le petit gars encore, qui marche,
puis tu sais, on a l'air de robots, on a nos lunettes, nos casques,
on se ressemble tous, tous habillés pareils, puis on marche,
puis je vois le petit gars qui marche, qui regarde, il regarde partout les monsieurs,
puis un moment donné il me regarde puis il me voit puis il arrête,
puis il me donne une pomme grenade !
Là, ça fait, ouais, mon crayon… ouais… merci… là je me sentais cheap… ouais, merci !
Description
M. Vachon décrit ce qu’est la parade des malades, l’impact de cette activité pour la dynamique dans le village ainsi que les relations positives entre les militaires canadiens et les villageois afghans.
Jean Vachon
Jean Vachon est né à Thetford Mines, au Québec, en août 1970. Enfant, il a toujours souhaité devenir un soldat. Il s’est enrôlé en 1989 à 18 ans et a été déployé entre autres en Allemagne, dans le golfe Persique, en Yougoslavie et en Afghanistan.
Catégories
- Médium :
- Vidéo
- Propriétaire :
- Anciens Combattants Canada
- Date d’enregistrement :
- 5 décembre 2013
- Durée :
- 5:39
- Personne interviewée :
- Jean Vachon
- Guerre ou mission :
- Forces armées canadiennes
- Emplacement géographique :
- Afghanistan
- Branche :
- Armée
- Grade militaire :
- Major
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- Date de modification :